Sous le protectorat allemand, de 1884 à 1914, le Cameroun totalisait 507 332 kilomètres carrés. A l’issue du premier conflit mondial, 80 % de ce territoire échoit à la France, et le restant au Royaume-Uni.
Le Cameroun britannique comprenait deux zones, dont l’une septentrionale reviendra au Nigéria, à l’issue d’un référendum organisé en février 1961 par les Nations unies. La partie méridionale optera pour un rattachement au Cameroun français au sein d’une fédération.
Du temps de la colonisation, la problématique de l’unification fut politiquement prise en charge par l’Union des populations du Cameroun (UPC), qui en faisait « la condition indispensable pour l’accession du Cameroun à l’indépendance » . Dans l’esprit du mouvement anticolonial, la réunification devait aboutir à l’établissement d’un seul pouvoir qui se substituerait aux deux administrations imposées par le partage franco-anglais.
La réunification de 1961 permit au président, M. Ahmadou Ahidjo, d’asseoir son pouvoir. La fusion survint en 1972, faisant de la fédération une République unie. L’homogénéisation des deux Etats fut accélérée. Contrairement aux affirmations de l’époque, la mutation constitutionnelle de 1972 ne se fit pas sans tensions. Ainsi que le rapporte Jean-François Bayart, l’électorat n’avait que le choix « entre le yes et le oui (1) ». L’intelligentsia du Cameroun occidental, déjà inquiète des modalités de l’intégration culturelle, ne tarda pas à exprimer ses désaccords, qui prendront un tour de plus en plus politique.
Les frustrations s’aggravent avec la nouvelle modification constitutionnelle introduite en 1984 par M. Paul Biya et qui a entériné le retour à la dénomination « République du Cameroun », celle du seul ex-Cameroun français ; le terme de « unie » est abandonné. Les anglophones perdent tout espoir de gestion autonome de leur région, alors que la mise en exploitation des gisements pétrolifères, en 1977, avait relancé la polémique sur la décentralisation. Dans un mémorandum remis au chef de l’Etat, les élites anglophones avaient proposé la constitution d’une commission technique indépendante chargée d’assurer la gestion des richesses pétrolières (production, vente, recrutement de la main-d’oeuvre, redistribution des profits…) et l’institution d’un « Auditor General for the Republic », une sorte de cour des comptes qui veillerait sur l’utilisation des ressources de la nation.
Les Camerounais occidentaux se plaignent aussi de la marginalisation de leurs traditions politiques héritées de l’époque britannique : relative liberté de la presse, indépendance judiciaire, possibilité d’interpeller les élus et le gouvernement, franchises universitaires, sensibilité aux droits de l’homme… Comment s’étonner alors de l’influence croissante des idées radicales de M. Fongum Gordji Dinka dans les milieux étudiants et au sein de la petite bourgeoisie ? Cet ancien avocat, emprisonné depuis plusieurs mois – et dont les conditions de détention ont suscité une intervention d’Amnesty International, – est l’auteur d’un opuscule ; The New Social Order , dans lequel il préconise purement et simplement la sécession du Cameroun anglophone et l’établissement, entre le Nigéria et le Cameroun francophone, d’une République d’Ambazonie (du nom de la baie d’Ambas, signalée sur les cartes des navigateurs qui sillonnèrent la région aux seizième et dix-septième siècles). L’exacerbation des frustrations peut même prendre des chemins religieux, puisque M. Dinka affirme être sous l’inspiration de l’esprit de Dieu et qu il s’adresse à M. Biya dans les mêmes termes que Joseph le fit autrefois à Pharaon durant la captivité du peuple d’Israël en Egypte…
SI cette « turbulence » a des racines lointaines, elle a aussi des aspects externes. La Grande-Bretagne a renoncé depuis longtemps à jouer un rôle au Cameroun. En revanche, nombre de cadres – y compris des francophones – rêvent d’équilibrer l’influence de Paris par celle de Washington et de Bonn. Les relations commerciales avec la RFA se développent, et la période du protectorat allemand tend à être idéalisée, même parmi la jeunesse fascinée par la puissance économique de ce pays. Quant à la pénétration américaine, elle se fait par le biais des banques et des investissements privés, notamment dans les secteurs du pétrole et de la pêche. Un important flux financier transite par l’Agence américaine pour le développement international (USAID). La récente rencontre entre MM. Biya et Reagan, à Washington, reflète le « mirage américain » qui hante une partie importante de la classe politique. Mais pourra-t-il vraiment prendre corps ?