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[Tribune] « Rentrez chez vous » : Un couteau à double tranchant

Le 28 juin 2023, Jean Marie Nzekoue, Editorialiste à Cameroon Tribune à Société de Presse et d’Editions du Cameroun (SOPECAM) parle de l’idéologie rentrez chez soi. Le journaliste pense que c’est un couteau à double tranchant. Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

Jean Marie Nzekoue
Jean Marie Nzekoue, journaliste - DR

« Chacun chez soi ». Tel est le mot d’ordre qui fait des gorges chaudes depuis un certain temps sur les réseaux sociaux comme dans le débat public.  Selon certains observateurs une telle posture trahit  le caractère essentiellement égocentrique des Africains et des Camerounais en particulier. Confrontés au difficile pari du partage équitable des maigres ressources accaparées par une minorité de riches et en l’absence de la création de nouvelles richesses, nous avons tendance à rejeter nos difficultés  individuelles ou collectives sur les « autres » considérés tantôt comme des dangereux concurrents à éliminer et tantôt comme des  boucs émissaires sur qui évacuer nos frustrations ou déverser nos colères.  Curieusement, personne ne parle des millions d’étrangers venus surtout d’un pays voisin i qui exercent un quasi-monopole sur certains secteurs d’activités, achetant des terrains et construisant à tout va, même dans nos sous-quartiers. C’est tout à  l’honneur des Camerounais réputés pour leur hospitalité envers…les autres !

De loin, les  « Blancs » observent, amusés, ces  » Nègres » qui s’invectivent et s’interpellent par tous les noms d’oiseaux au lieu de se consacrer aux priorités du développement et à la recherche du bien-être collectif. Les Africains ont la fâcheuse tendance de se présenter comme des victimes des injustices et d’autres maux attribués à l’Occident tout en oubliant qu’ils sont eux-mêmes des bourreaux pour leurs propres frères.  Si prompts à condamner le racisme anti-noir qui sévit ailleurs dans le monde, les Africains gagneraient pourtant à se regarder dans le miroir, à faire  leur auto-critique.

En Europe, aux États-Unis ou ailleurs, de nombreux ressortissants du continent profitent de l’hospitalité et vivent parfois au crochet de l’État-providence. Paradoxalement certains sont les premiers a haïr leurs frères restés en Afrique. Chaque année, des dizaines de milliers d’Africains tentent, au péril de leur vie, de traverser les océans à la recherche d’une vie meilleure en Europe ou ailleurs. Qu’adviendrait-il si subitement, sous la pression des partis politiques extrémistes, des pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie, la Grande Bretagne ou les États-Unis décidaient de renvoyer vers leurs pays d’origine des centaines de milliers d’Africains de la diaspora installés sur place depuis des décennies ? On voit d’ici des « panafricanistes », des pseudos intellectuels africains et autres défenseurs des droits de l’homme crier à la discrimination et au racisme anti-noir. Pourtant, nous faisons  pire en Afrique. Lorsque dans un pays il est demandé à des personnes ou à des communautés de retourner dans leur région d’origine, on est en droit de  s’interroger sur le statut, la place, les droits et les devoirs des citoyens dans une République qui se veut exemplaire. Tous les grands pays avancés défendent leurs citoyens en détresse, indépendamment de la race, du faciès ou de l’extraction sociale.  En Afrique nous en sommes encore à savoir qui mérite d’être protège ou pas en fonction des affinités ou des états d’âme.

Spirale infernale

La récurrence d’un discours haineux de plus en plus décomplexé devrait d’autant plus nous interpeller qu’il a toujours été plus facile de manipuler des concepts sulfureux  que d’en assumer les conséquences.  Tous ceux qui prônent le retour de chaque Camerounais dans son terroir d’origine ont-ils assez réfléchi sur la spirale infernale que pourrait déclencher ce mouvement du Grand Retour ? Dans le confort douillet du moment et dans l’illusion de l’impunité, ils ne s’imaginent pas un seul instant les drames sociaux et les catastrophes économiques que pourraient provoquer des mots d’ordre dont la dimension  populiste n’échappe à personne. Le phénomène migratoire est assez complexe.  Dans l’histoire de l’Humanité, la dynamique qui sous-tend le déplacement des populations d’un endroit à un autre est aléatoire voire imprévisible.  Certains idéologues du « chacun chez soi » se comportent comme si leurs propres communautés étaient tombées directement du Ciel pour occuper leur terroir actuel. En Afrique comme sur d’autres continents, si on remonte plusieurs siècles en arrière, on se rendra compte que la plupart des habitants actuels sont venus d’ailleurs, par migration pacifique ou par conquête. Avec les bouleversements sociologiques  inhérentes à l’existence humaine il peut arriver que les « autochtones » ou des « allogènes »   d’aujourd’hui ne le soient plus demain. Si dans le cas du Cameroun des recherches historiques et des enquêtes anthropologiques  permettaient d’en savoir plus sur ceux qui étaient les tous premiers habitants des localités comme Douala, Yaoundé, Bafoussam, Foumban, Bertoua , Garoua, Maroua, N’Gaoundéré…les théoriciens de la haine intercommunautaire seraient plus mesurés et prudents.

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Car à bien y regarder, le  « chacun chez soi » ressemble à un couteau à double tranchant.  En fonction des circonstances on est toujours autochtone ou allogène quelque part. Dans la plupart des localités d’une certaine importance, il existe des zones d’habitation relativement anciennes qui ont accueilli de nombreuses populations en provenance d’autres régions du pays. D’où des noms comme  « quartier bami », « quartier haoussa », « quartier bafia », « bassa », « camp Yabassi », etc. Une fois installés sur place, les « éclaireurs » ont attiré dans leur sillage beaucoup d’autres personnes proches au  plan ethnique ou culturel. Par la force des choses il s’est ainsi créé progressivement au cœur des grandes villes ce qui est considéré par certains comme des sortes d’enclaves socio-culturelles dont la présence n’est pas toujours tolérée par des communautés dites « autochtones » surtout en ces temps de repli identitaire exacerbé.  Si des adeptes du nettoyage  ethnique venaient à mettre leurs menaces en exécution  qu’adviendrait-il aux personnes de toutes origines qui peuplent tous  ces « ghettos» urbains condamnés à disparaître ? Comme tout citoyen du monde nous serons confrontés, tôt ou tard,  à certaines situations dont nous n’avons pas le courage de dénoncer parce qu’elles nous arrangent pour le moment. Mais a-t-on songé un seul instant au sort de ces milliers de fonctionnaires (administrateurs civils, magistrats, inspecteurs des impôts, personnel de la Défense, dirigeants d’entreprises publiques…) qui exercent actuellement sur toute l’étendue du territoire national et hors de leurs régions d’origine ? Que ferait-on de tout ce monde si chacun devait réellement rentrer chez lui ?

Au-delà de la polémique, le débat actuel soulève un double problème apparemment contradictoires. D’abord celui de l’accès à la terre pour les plus démunis et surtout les jeunes désœuvrés  La  principale menace sur les terres  ne vient pas des personnes à bas revenus qui achètent quelques centaines de m2 pour offrir un toit à leur petite famille. Les véritables prédateurs des terres ce sont des multinationales de l’agro-alimentaire, les hautes personnalités du monde de la  politique ou de la finance qui s’accaparent des dizaines de milliers d’hectares  sur des villages entiers, parfois au franc symbolique.  Le deuxième problème est celui de l’insécurité foncière qui est au cœur de la problématique du développement économique. Quel grand investisseurs peut-il prendre le risque d’acquérir en toute l’égalité des terres dans un pays qui ne lui offre pas suffisamment de garantie  pour protéger sa propriété ?  Le Cameroun qui n’est déjà pas bien classé au niveau des IDE  (investissements directs étrangers) en Afrique n’a plus interet à envoyer des mauvais signaux aux opérateurs économiques qui ont le choix d’aller investir dans les pays voisins.

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Il faut toutefois reconnaître qu’en dépit de toutes les dénonciations, de tous les discours moralisateurs, la terre reste un bien économique dont la cession permet de subvenir à certains besoins essentiels dans les familles.  C’est pourquoi elle fait l’objet des transactions fréquentes et difficiles à contrôler.  Dans les régions les plus exposées à la vente des terrains l’unanimité n’est pas de mise  chez les populations locales. Face  aux difficultés de la vie quotidienne les jeunes générations qui  ont assisté impuissants à la braderie des terres par leurs  parents et aînés auront du mal à accepter des restrictions que leur imposent ceux-là mêmes qui n’ont pas montré le bon exemple en matière de préservation du patrimoine familial.  Il faudrait aussi que ceux qui revendiquent les « terres spoliées » apprennent à les mettre en valeur. L’une des erreurs commises  consiste à croire qu’il suffît de s’approprier, par voie légale ou non, d’un patrimoine foncier pour le fructifier et devenir aussi riche sinon plus que  l’ancien propriétaire.  C’est vite oublier que dans les affaires comme dans d’autres domaines tout ne se règle pas comme d’un coup de baguette magique.  L’équation personnelle, la capacité à combiner les différents ingrédients constituent   les principaux facteurs de la réussite ou de l’échec.

Des conséquences à assumer

Autant la question foncière est d’une brûlante actualité, autant  elle doit être abordée par le bon bout. Elle nécessite par conséquent  un diagnostic sans concession, un examen approfondi et  méthodique des pouvoirs publics en vue d’y apporter des solutions appropriées. Ce qu’il faut surtout éviter c’est la passion aveugle et le populisme de bas étage car la manipulation d’une telle bombe sociale par des mains inexpertes est à proscrire pour ne pas décourager l’investissement productif et rendre plus explosive une situation déjà suffisamment complexe. Si malgré tout le mouvement du Grand Retour devenait effectif, il faudrait que l’Etat se prépare à assumer les lourdes conséquences en termes de  pertes  d’emplois, de chômage forcé dans certains corps de métier,  de baisse de  l’investissement productif et des recettes fiscales sans oublier la poussée inflationniste, la pénurie de certains produits de première nécessité et le retentissement de l’activité  économique en général.

 


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