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Lutte contre Boko Haram: Pourquoi je suis contre la collecte de fonds pour l’armée

Jean Takougang
Pr Jean TAKOUGANG ministre au Shadow cabinet en charge de l’Education et de la Formation au sein du Social Democratic Front (SDF)

Jean Takougang

Je suis contre la collecte des fonds soi-disant pour soutenir notre armée. Une armée se finance sur le budget du Mindef et Dieu sait que depuis 1960, c’est toujours le budget le plus élevé.

Encore plus, la voix la plus autorisée ne nous a pas encore dit que ce budget était épuisé. Quand bien même il serait épuisé, le Chef de l’Etat a le droit de réorienter certaines lignes budgétaires non prioritaires pour faire face au déficit. Au front, il n’y pas seulement l’armée. Toutes les populations et tous les autres fonctionnaires travaillant dans les zones de guerre sont même plus exposés que les militaires parce qu’ils n’ont pas d’armes pour se défendre. Penserons-nous à ces fonctionnaires quand on partagera le fruit de l’effort de guerre? Sinon, pourquoi risqueraient-ils leur vie à continuer à travailler au front si au front tout le monde n’est pas soldat?

Que des paniers soient placés dans des supermarchés pour demander l’aumône comme effort de guerre ne nous honore guère et ne soigne pas l’image du Cameroun aux yeux des étrangers et des investisseurs qui y entrent. C’est un acte qui présente nos vaillants soldats comme une armée de mendiants. Tout le boucan qu’on en fait finit par transformer l’opération en une compétition de patriotisme et de positionnement. Il détourne l’attention des soldats de la guerre qu’ils mènent pour la concentrer plutôt sur le partage des dons qui pleuvent. Pour être efficace et résolument patriotique, une telle opération aurait dû être discrète. La Bible dit de l’aumône que «la main droite ne sache ni combien ni ce que la main gauche donne». Mais, ici, rien ne se fait sans les caméras et la publicité! Cela n’est plus neutre!

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Je me demande d’ailleurs pourquoi la même opération n’a pas été organisée pendant la guerre de Bakassi et comment le gouvernement s’en était sorti avec le seul budget de la défense. Je crains que le chef d’un parti qui n’a pas cru devoir rassembler toutes les forces qui comptent au Cameroun pour les impliquer dans une réflexion sur cette lutte contre Boko Haram ne se serve de cette opération pour ressouder les morceaux d’une formation en lambeaux, déchiquetée par les scandales, les détournements, les luttes de positionnement interne et les frustrations diverses. L’Etat ne peut pas refuser de réduire son train de vie et organiser des opérations coup de cœur pour une armée en guerre. La France et les Etats unis ont à peine 20 ministères alors qu’ils comptent des centaines de millions d’habitants.

Le TCS peut reverser ce qu’il a déjà récupéré dans le compte de la défense. Quand l’ennemi se rend compte que c’est avec l’aumône qu’on finance notre armée, il reprend courage, se disant que nous sommes au bord de la rupture financière et que s’il tient encore un peu, nous craquerons. D’ailleurs, chaque fonctionnaire et agent de l’Etat est soldat à son poste et pour que le Cameroun avance, il doit combattre avec les armes de son métier. Chacun est payé pour rendre un service spécifique qui est tout aussi utile que celui de n’importe qui. Dans cette optique, tous les fonctionnaires se valent. Pourquoi ne faisons-nous pas autant de bruit quand les médecins soignent les malades, quand les journalistes informent, quand les enseignants enseignent, quand les agriculteurs cultivent, etc. Ne donnons pas l’impression qu’au Cameroun seule l’armée est utile et patriote. En 92-94, les fonctionnaires et agents de l’Etat ont donné 75% de leur salaire pour on ne sait quelle guerre et les autres ont été épargnés sous le prétexte qu’ils exécuteraient des missions difficiles.

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Il n’y a pas de métier à risque zéro. Quand le pilote décolle, il ne sait pas s’il atterrira. Des enseignants sont régulièrement agressés, battus et même abattus dans leurs salles de classes. Les médecins meurent quotidiennement contaminés par le sida, l’Ebola ou autres maladies qu’ils soignent et tous les travailleurs sont d’une façon ou d’une autre exposés à des risques insoupçonnés. Personne ne marche pour eux, personne ne cotise pour eux et il n’y a pas d’état d’âme quand il faut charcuter leurs salaires de 75%. Ne donnons pas à nos soldats l’impression que ce qu’ils font aujourd’hui ne fait pas partie du travail pour lequel ils ont été recrutés et pour lequel ils sont payés depuis. Cela ne veut pas dire que je ne soutiens pas notre armée.

Je la soutiens comme je soutiens tous les autres qui se sacrifient chaque jour pour que le pays avance. D’ailleurs, je suis officier de réserve et peux être mobilisé d’ici peu. A condition qu’au front, tout le monde soit soldat!

© Jean TAKOUGANG


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