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[Tribune] Brocantes : le grand bazar ?

Grégoire Djarmaila, journaliste en service de Cameroon-tribune exprime des préoccupations concernant la prolifération des brocantes en Afrique, en mettant l’accent sur le Cameroun, et examine les différents aspects de ce phénomène. Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

Brocante Cameroun

Il y a eu, au cours des décennies 1990 et 2000, le « success story » des voitures d’occasion communément appelées « congelés ». Du fait de la compression du pouvoir d’achat sous les effets conjugués de la crise économique, de la dévaluation du franc CFA et de la baisse drastique des salaires dans le secteur public, bon nombre de compatriotes ont opté pour les véhicules de seconde, voire de troisième main leur servant de moyens de locomotion. L’importation des voitures de tous âges a connu une telle fulgurance donnant l’impression que les pays d’Afrique subsaharienne étaient devenus de véritables dépotoirs de ces engins dont la plupart sont hors d’usage dans les pays d’origine. Mais alors que la prolifération des « congélés » fait encore débat relativement aux normes environnementales et de sécurité, l’Afrique fait face depuis quelques décennies à un autre phénomène tout aussi préoccupant : l’invasion des brocantes. La commercialisation des objets, articles usagés ou non utilisés mais présentant des défauts de fabrication ou de non-respect des normes, a envahi tous les espaces de nos principales métropoles. Dans ce fatras d’objets usagés venus d’Europe, d’Amérique du Nord ou d’Asie et qui cherchent une seconde vie sous nos cieux, la diversité se le dispute à la qualité et à la quantité. Des appareils électroménagers, des meubles, des ustensiles de cuisine, des bijoux et des matériels et consommables informatiques, des articles et des appareils de sport, des jouets, des outils et équipements divers font la pluie et le beau temps des bourses moyennes. Il n’est pas jusqu’aux produits cosmétiques et hygiéniques qu’on ne retrouve dans ce capharnaüm.

Si Douala et Yaoundé ont été les villes pionnières où le commerce des brocantes a connu un véritable boom, l’activité devenant de plus en plus rentable, presque toutes les autres cités du pays sont aujourd’hui touchées par les goûts du lucre et du luxe de la brocante. Si au départ ces « marchandises de la récupération » étaient embarquées dans des véhicules d’occasion importés, l’activité de la brocante a pris de l’envol au fil des ans et s’est muée en une filière bien structurée. Dans les pays de départ, des Camerounais venus pour les études ou en aventure, récupèrent les objets sortis du circuit de consommation ou se ravitaillent dans les marchés aux puces ou dans les vide-greniers et les expédient au pays pour faire de bonnes affaires. Ici au pays, la commercialisation des articles d’occasion importés devient un business florissant à nul autre pareil. Les magasins de brocante naissent les uns après les autres, dans chaque coin de la rue. Faute de moyens pour se procurer des articles neufs et de bonne qualité dans les grandes surfaces, une bonne frange de Camerounais y trouve ainsi son compte. Mais la donne a changé. Les clients se recrutent désormais dans toutes les strates de la société d’autant que le secteur comporte désormais des articles de haute facture. Mieux, avec « l’occidentalisation » des modes de vie et l’éblouissement du consumérisme vanté par la mondialisation, tout le monde veut vivre le luxe de « là-bas » même sans avoir eu la chance et l’occasion d’y aller.  Pour les abonnés de la brocante, malgré leur vieil âge, les articles sont plus durables que ceux fabriqués localement ou venus d’Asie. Sauf qu’ici, il faut compter sur la chance et savoir ouvrir l’œil car il y a un peu de tout dans cet univers comme à l’auberge espagnole.

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Mais la dynamique fulgurante de cette activité inquiète de plus en plus une partie de l’opinion attachée au patriotisme économique et soucieuse des risques environnementaux et sanitaires que charrie ce business. Pour les tenants de cette pensée, l’absence d’un véritable contrôle des normes de ces biens et équipements usagés, devenus très encombrants ailleurs et donc sortis du circuit de consommation, est en passe de transformer notre pays en une décharge géante ou un dépotoir pour les poubelles d’ailleurs. Ainsi, si les consommateurs trouvent leur compte par exemple dans le domaine vestimentaire, certains experts font des alertes sur les risques sanitaires. Ces derniers estiment qu’on ne devrait afficher aucune fierté à se coucher sur des draps ou des matelas usagés, ni à porter un sous-vêtement « d’occasion ».  Mais il y a pire. La pratique de cette activité engendre d’autres actions susceptibles de causer des impacts négatifs importants aussi bien sur le milieu physique que sur les humains. Il est par exemple démontré que les appareils électroménagers contiennent beaucoup de polluants et de toxines qui peuvent comporter des risques importants pour la qualité de l’air. Les principaux polluants concernés sont le plomb, le mercure et autres substances toxiques. Le rejet et l’incinération de ces déchets dans la nature et la qualité douteuse de certains produits ou leur mauvaise conservation constituent donc un danger pour la population. De même, le commerce des brocantes est cité parmi les activités qui produisent beaucoup de déchets dont certains sont non recyclables. Ces marchandises viennent de pays divers et subissent parfois de nombreux dommages au regard de la durée du parcours et des tracasseries liées à leur transport des lieux de collecte jusqu’aux lieux de vente. A l’arrivée, certains produits sont dans un état délabré et ne peuvent plus être récupérés. Les vendeurs n’ont pas d’autres choix que de les mettre au compte des déchets, qui devront par la suite, avec l’incivisme galopant, se retrouver dans les canalisations avec tout ce que cela comporte comme risques d’inondations.

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Sur le plan économique, cette activité qui a pignon sur rue en Afrique inonde le marché local avec des produits de « seconde main » en provenance de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie et d’ailleurs. Le développement galopant de ce commerce constitue un gros facteur inhibiteur pour l’éclosion de notre embryon industriel.

Au regard donc de l’expansion de cette activité et des impacts négatifs qu’il charrie, les pouvoirs publics devraient y mettre un peu de l’ordre, notamment en instaurant des normes qui permettent de filtrer ce qui mérite d’être importé et vendu sur l’espace économique national. Il est question de protéger, non seulement le tissu économique national, mais surtout de faire en sorte que notre pays ne devienne le dépotoir des produits exclus du circuit économique d’ailleurs parce que très dangereux et très nocifs pour la santé et l’environnement. On pourrait par exemple remettre à flots notre industrie textile en limitant l’importation de la friperie et des textiles qui inondent le marché local.

Grégoire DJARMAILA

 


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