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[Tribune] Les attentes de l’Afrique face au monde multipolaire en gestation

Dans une réflexion publiée le lundi 03 juillet 2023, Caroline Meva, analyste sociopolitique ressort les attentes de l’Afrique dans le contexte de multipolarisation à venir. Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

Caroline Meva famous

L’histoire de l’humanité est émaillée de guerres, et celle qui se déroule en Ukraine en ce moment est, non seulement riche en enseignements, mais elle marque également un tournant décisif dans l’instauration d’un nouvel ordre mondial. Le monde semble aujourd’hui suspendu dans un équilibre précaire, retenant son souffle entre l’ancien modèle, notamment le système unipolaire occidental avec à sa tête les Etats-Unis d’Amérique, et son basculement vers une nouvelle organisation géopolitique multipolaire avec l’organisation d’un groupe de pays émergents formé par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) créé en 2009. D’aucuns parlent de « great reset » ou de « grande réinitialisation », à savoir la remise de toutes les pendules à zéro, après le chaos qui succède à l’effondrement de l’ordre ancien, de ses principes, valeurs, us, coutumes devenus obsolètes, ayant perdu toute signification et toute crédibilité. L’Afrique est concernée au premier chef par les bouleversements idéologiques, militaires, politiques, économiques et sociaux induits par ce basculement géopolitique et géostratégique.

Les déclencheurs de la crise de confiance vis-à-vis du système géopolitique unipolaire en vigueur

Les tares, faiblesses et abus perpétrés par le système unipolaire occidental auront été les principaux déclencheurs de la contestation et de la rébellion d’une bonne partie du monde, qui jusque-là subissait stoïquement l’hégémonie dictatoriale des USA et de ses alliés occidentaux. La puissance américaine prend le pouvoir et marque sa domination sur l’Europe et le reste du monde aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, du fait de sa contribution déterminante dans la victoire des alliés ; ensuite sur le plan économique et financier par la réalisation du Plan Marshal pour la reconstruction de l’Europe après la guerre. Le nouvel ordre mondial est mis en place lors de la rencontre de 44 Etats occidentaux à Bretton Woods aux Etats-Unis, et la création du Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale en juillet 1944. La valeur des devises est alors adossée sur l’or.  Afin de contrer l’inflation consécutive au premier choc pétrolier intervenu dans les années 1970, les pays exigent l’échange de leurs dollars contre l’or. Le 15 août 1971 Richard Nixon, Président des Etats-Unis, décide unilatéralement de suspendre la convertibilité du dollar en or, pour éviter l’épuisement des réserves fédérales américaines. En 1973, Henri Kissinger, le Secrétaire d’Etat américain aux affaires étrangères et le Roi Fayçal d’Arabie Saoudite signent un contrat historique en créant le pétrodollar, à savoir que toutes les transactions concernant les hydrocarbures saoudiens se feront désormais en dollars US, en échange de la protection militaire des champs pétrolifères saoudiens par les Etats-Unis. Le dollar américain est ensuite institué comme monnaie de référence et de réserve mondiale.

Lors de la guerre froide aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, l’on assiste à une sorte d’équilibre de la terreur dans un monde bi-polarisé, entre le bloc occidental avec à sa tête les Etats-Unis, et le bloc de l’Est dirigé par l’Union Soviétique. Mais après la chute du mur de Berlin le 09 novembre 1989 et la dislocation de l’URSS le 26 décembre 1991, qui constituait un contre-pouvoir régulateur, les Etats-Unis règnent désormais en maîtres absolus du monde sur le plan militaire, économique et politique, avec comme corollaire les dérives, les tares et les excès qui caractérisent tout pouvoir totalitaire. Commence alors une période mouvementée dans le monde, marquée par les guerres punitives, les sanctions, les procédures judiciaires abusives fondées sur l’extra-territorialité du droit américain, les assassinats ciblés contre les individus, les coups d’Etat fomentés contre les dirigeants qui osent contrecarrer les intérêts des puissances occidentales en général, et ceux des Américains en particulier. On peut évoquer à cet effet, la guerre au Vietnam, en Syrie, en Lybie, en Afghanistan, la partition du Soudan, du Kossovo, etc. la guerre contre la Russie en Ukraine, qui est en préparation depuis le coup d’Etat de 2014, sera le point d’orgue d’une situation de crise qui existait déjà depuis quelques années entre les dirigeants du monde unipolaire et le reste du monde. Les sanctions économiques et les mesures abusives prises contre la Russie et les citoyens russes apparaissent alors comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase déjà plein à ras bord de la rancœur des victimes de l’hégémonie du système géopolitique unipolaire occidental.

La guerre en Ukraine entraine un choc monétaire et une inflation records dans le monde entier, consécutifs aux sanctions économiques, telles que le gel des avoirs infligé à la Fédération de Russie par des institutions bancaires occidentales, la plupart en violation flagrante des accords et traités internationaux. La conséquence directe de ces saisies abusives est la méfiance, la perte de confiance des investisseurs et des créanciers du reste du monde face à l’incertitude du sort réservé à leurs avoirs placés dans les pays et institutions financières occidentales, lesquels sont susceptibles d’être saisis à tout moment. Résultat des courses. Les poids lourds économiques tels que les BRICS, ainsi que le Venezuela, l’Arabie Saoudite et le Qatar, s’organisent et cherchent d’autres voies de contournement pour échapper à cette éventualité. Ils se détachent de l’euro et du dollar comme monnaies de référence et optent de plus en plus pour les échanges en leurs monnaies respectives, à savoir en roubles, yuans, roupies, rands, ryals, pesos, toutes adossées sur l’or. L’on assiste ainsi à un processus de dédollarisation des transactions à l’échelle mondiale et la mise sur pied de plateformes d’échanges pour remplacer le système de paiement international SWIFT : la Chine met sur pied son système CIPS (China International Payment System) ; la Russie adopte le système de transfert de messages financiers SPFS et la carte de paiement MIR pour contrer Visa, Mastercard et autres. Après le coup de massue désorganisateur du covid-19, cette amorce de dédollarisation de l’économie mondiale entraine la fragilisation et la faillite de grandes banques occidentales telles que la Silicon Valley Bank américaine, le Crédit Suisse, la BNP Paribas, Le Crédit Lyonnais ou la société Générale français.

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La guerre en Ukraine aura été celle de tous les abus et de toutes les violations, où l’on a vu les puissances occidentales fouler aux pieds leurs propres principes et valeurs, notamment : la violation de la liberté d’opinion et d’expression et l’instauration de la dictature de la pensée unique par une censure à géométrie variable, le musèlement de la presse libre, notamment les sanctions contre les journalistes, la suspension abusive et illégale des organes de presse Russia Today (RT) et Sputnik ; la violation du principe de non-politisation des domaines sportif et artistique ; la violation de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété, par le gel abusif des avoirs ( qui s’apparente à un vol) de la Russie et des hommes d’Affaire russes dans les pays occidentaux ; la violation des accords de Minsk 1 et 2, ainsi que des autres accords et traités relatifs à la non-extension de l’OTAN et de l’influence du bloc occidental vers les territoires limitrophes de la Russie, afin d’éviter une crise comparable à celle des missiles soviétiques à Cuba en 1962.

La guerre en Ukraine a agi sur le monde et principalement sur l’Afrique comme un électrochoc, qui a permis aux africains de découvrir les mensonges et les trahisons des responsables politiques du monde occidental concernant des principes et des valeurs auxquels ils ont toujours cru. Le déséquilibre et l’iniquité des échanges entre les puissances occidentales et l’Afrique est établie et reconnue officiellement par d’Antonio Guterres, Secrétaire Général des Nations Unies, lors de l’ouverture du sommet pour Un Nouveau Pacte Financier Mondial qui s’est tenu du 22 au 23 juin 2023 à Paris. Ce dernier avoue publiquement que l’architecture financière internationale « a failli à sa mission de fournir un filet de sécurité global aux pays en développement ». Il ajoute que « Beaucoup de pays africains dépensent aujourd’hui plus d’argent pour rembourser leurs dettes que pour les soins de santé », par exemple. Il appelle les Etats à opérer d’urgence une importante réforme des institutions financières internationale afin d’alléger les conditions de remboursement de la dette colossale sous laquelle croulent les pays en développement, pour plus de justice et d’humanité. Les BRICS également, sensibles à la situation dramatique que vivent les pays africains, ont fait des propositions concrètes pour une coopération gagnant/gagnant avec ces pays.

Les propositions des BRICS pour une coopération gagnant/gagnant avec les pays africains

Lors de leur 5e sommet tenu en 2013 à Durban en Afrique du Sud, les BRICS ont manifesté leur intérêt pour l’Afrique. Les débats ont porté sur le renforcement de la coopération dans les domaines des infrastructures et de l’industrialisation afin de booster le potentiel de développement durable, de promouvoir des échanges égalitaires, l’interconnectivité et l’intégration entre les Etats. Pour soutenir et financer tous ces projets, lors du 7e somment tenu à Oufa en Russie le 09 juillet 2015, les BRICS créent une banque de développement (NBD), présidée par Dilma Roussef depuis le mois d’avril 2023, dont le siège est à Shanghai en Chine, ainsi que le fonds de réserve d’urgence CRA (Contingent Reserve Arrangement). La NBD aura pour rôle de servir d’alternative à la Banque Mondiale et au FMI, ; de corriger leurs effets pervers dans les pays en développement, notamment en Afrique. Cette banque va servir de palliatif à une dette colossale assortie de conditionnalités de remboursement rédhibitoires qui la rendent exponentielle et par conséquent inextinguible.  La monnaie des BRICS, le BRICS coin, servira de solution de substitution au dollar US. Lors de la visite de la délégation des BRICS à Bangui le 11 avril 2023, cette capitale a été désignée pour héberger le futur siège sous-régional de cette institution en Afrique centrale, faisant ainsi du Centrafrique la tête de pont pour le développement de l’Afrique centrale. Face aux difficultés rencontrées dans le système de financement du FMI et de la Banque mondiale, la NBD offre de nouvelles perspectives aux pays africains, et le bon sens élémentaire recommande d’essayer d’autres solutions en cas d’échec des initiatives précédentes ; la NBD apparait ainsi comme une proposition innovante et intéressante. Toutefois, il sera difficile, voire impossible pour les pays de la zone franc CFA de bénéficier des avantages de cette nouvelle plateforme de développement. L’abandon du franc CFA et la création de monnaies nationales s’imposent donc aux pays qui souhaitent profiter de cette nouvelle opportunité.

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L’enjeu est de changer le regard négatif que le monde porte sur l’Afrique comme étant un continent pauvre et arriéré, une vache à lait, qui possède des matières premières et d’immenses richesses profitant essentiellement aux puissances occidentales et à leurs sociétés multinationales, au détriment des Etats et des populations africains qui croupissent dans la misère. La création d’un monde multipolaire est un gage de justice, d’équité, de paix et de stabilité, un contrepoids nécessaire visant à éviter les abus, tares et travers d’un ordre unipolaire occidental dictatorial. A cet effet, le système néocolonial de la Françafrique devrait être aboli afin de restaurer l’indépendance, l’autonomie de gestion et de décision des Etats africains subissant encore l’hégémonie des puissances occidentales. Par ailleurs il est primordial pour les Etats Africains de promouvoir la bonne gouvernance, le mérite et la compétence ; de combattre la corruption endémique dans ces pays, ainsi que les autres comportements déviants tels que le tribalisme, le népotisme, le clientélisme.

L’Afrique, qui se présente aujourd’hui comme pourvoyeuse de matières premières et de richesses dont elle ne tire que peu de bénéfice en raison d’accords commerciaux inégalitaires, devrait avoir à cœur de renverser la vapeur. Aussi, lors des échanges internationaux, les dirigeants africains devraient-ils privilégier les intérêts de leur pays et de leurs populations par rapport à ceux des organisations et des pays étrangers. Le monde semble à l’aube d’un basculement historique des équilibres géopolitiques en faveur du bloc de l’est, mettant ainsi fin à des siècles d’une hégémonie occidentale prédatrice, inhumaine et destructrice pour l’Afrique des peuples. Le contre-pouvoir que constituent les BRICS face au système unipolaire occidental est une aubaine pour les Etats africains, une chance, si minime soit-elle, qu’ils se doivent de saisir pour se libérer du joug de la domination qu’ils subissent, notamment au sein du système néocolonial de la Françafrique. Dans les échanges internationaux, les pays africains devront désormais bannir les rapports de dominant/dominé, ou de maître à esclave et opter pour des partenariats gagnant/gagnant, imposer des relations de respect mutuel, d’égal à égal et gagnant-gagnant avec des partenaires librement choisis. Ils ne devraient pas ménager leurs efforts pour occuper la place qui leur revient de droit en tant qu’importants pourvoyeurs de richesses dans le concert des nations du monde multipolaire plus juste, plus équitable, plus équilibré en gestation.

Caroline Meva

 


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