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Répercussions économiques du Covid-19 : Un enseignant d’économie craint le pire pour le Cameroun

Bidiasse Honore

Le Pr Honoré Bidiasse, Chef de Département analyse et politique économique à l’université de Douala évalue les répercussions socio-économiques de la Covid-19 au Cameroun. Il propose des dispositions pour stabiliser l’économie du Cameroun fortement informel.


Bidiasse Honore
Pr Honoré Bidiasse, économiste – capture photo

En tant qu’économiste, quelle est votre première crainte sur le plan économique, avec l’épidémie du COVID-19 qui sévit au Cameroun ?

D’entrée de jeu, il faut souligner que l’activité économique est étroitement liée à la santé des individus, qui constituent les principaux acteurs soit en tant que ménages qui consomment et investissent, soit en tant qu’entrepreneurs : on parle d’ailleurs d’agents économiques. Il va donc de soi que la crise sanitaire consécutive à l’épidémie du COVID-19 puisse provoquer la crainte de l’occurrence d’une crise économique profonde d’envergure mondiale.

Car, les mesures de confinement, entre autres, nécessaires à la maîtrise de la propagation de l’épidémie contraint les ménages qui ne peuvent plus consommer les produits disponibles. Ceux-ci n’étant pas déstockés, ils vont constituer un coût pour les entreprises. Ces dernières pourront plus s’acquitter de leurs engagements : traites, loyers, redevances diverses, salaires, taxes, … Elles seront obligées d’arrêter leurs activités de production, ce qui va mettre une bonne partie de leurs effectifs au chômage. L’Etat sera privé de sa principale source de revenu que constitue l’impôt.

Par ailleurs, la fermeture des frontières bloque les importations, privant ainsi l’Etat des taxes douanières, les consommateurs de leurs produits et les entreprises de leurs facteurs de production. Les activités d’exportations ne pouvant se poursuivre, les entreprises concernées perdront toutes leurs recettes d’exportation et l’Etat des devises. Enfin, les recettes inhérentes aux activités touristiques aussi bien en interne que sur le plan international vont disparaître, avec toutes les conséquences que cela engendre pour le secteur concerné et pour l’Etat.

Avec la progression de la crise sanitaire, on est exposé à un recul des activités économiques. A quel niveau estimez-vous l’incidence de cette crise sanitaire sur l’économie nationale ?

En Afrique en général, on peut dire que la crise sanitaire actuelle liée au Covid-19 pèse fortement sur les économies, surtout celles qui ont axé leurs stratégies de développement soit sur le tourisme, soit sur les exportations des matières premières, notamment les hydrocarbures.

Le prix du baril de pétrole n’a cessé de baisser depuis le début de l’année, sous l’effet de deux chocs conjugués : un choc de demande précipité par la crise du Covid-19 et un choc d’offre lié à la guerre économique qui oppose la Russie et l’Arabie Saoudite, deux des plus grands producteurs mondiaux. Aujourd’hui, le prix se situe en dessous des 20 dollars alors qu’il était au-dessus de 60 dollars en janvier 2020. Si les pays comme le Nigeria, l’Angola, l’Algérie et l’Egypte sont principalement touchés, le Cameroun n’est pas en reste.

Le gouvernement a voté un budget sur la base du prix du bail du pétrole à environ 54 dollars. Aujourd’hui, il est à moins de 20 dollars. Les conséquences sont terribles sur l’exécution de ce budget 2020 : les recettes attendues ne peuvent plus couvrir les engagements de départ. D’autant plus que pour les pays comme le Cameroun, l’Etat s’est engagé depuis une dizaine d’années dans des projets de grande envergure, en droite ligne de sa « vision 2035 ». L’alourdissement du service de la dette, consécutivement à cette politique volontariste ne peut trouver des solutions viables dans cet environnement de crise. Par ailleurs, la diminution des échanges avec le monde extérieur a une incidence immédiate sur les importations et donc sur les recettes douanières, ce qui contraint fortement l’exécution du budget 2020.

Un autre aspect important à relever est la caractéristique particulière de nos économies : l’informel. L’économie camerounaise est informelle à près de 80%. Les mesures de confinement prises par le gouvernement ne sont pas de nature à entamer la viabilité de l’essentiel de ces activités, privant ainsi une bonne partie des agents économiques de revenus substantiels. La conséquence de cet état de fait c’est la diminution de la demande. C’est-à-dire que toutes ces populations privées de leur pouvoir d’achat ne peuvent plus consommer les biens et services disponibles, ce qui va aggraver la crise. C’est aussi le cas du secteur formel, où les travailleurs, déjà contraints par le fonctionnement rationné des marchés et supermarchés, ne peuvent plus s’adonner aux activités de loisir, mettant ainsi en péril le secteur de la grande consommation.

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Il est trop tôt pour donner des chiffres sur l’incidence de cette crise. Il faut dire que notre pays ne brille pas beaucoup par la disponibilité des statistiques officielles. Cependant, une illustration peut être faite dans le secteur du transport urbain, interurbain et international : les syndicats menacent de faire grève si des mesures d’accompagnement ne sont pas prises pour alléger les mesures gouvernementales de lutte contre la propagation du Covid-19.

Comment comprendre que les prix sur le marché ont plutôt augmenté alors que le pays est dans une situation de crise qui nécessite la mobilisation de toute la population ?

Vous abordez là une question essentiellement économique. Le prix de tout bien ou service est la résultante de l’offre et de la demande. Sans rentrer dans un cours d’économie, il est établi, à quelques exceptions près que, quand l’offre d’un bien ou service augmente, le prix de ce bien diminue et quand la demande augmente le prix augmente. La crise du Covid-19 et les mesures de confinement y relatives ont provoqué une augmentation de la demande des biens et services.

Le comportement observé sur les marchés est compréhensible. Les consommateurs, en voulant se prémunir contre l’occurrence d’une crise, se précipitent dans les marchés en vue de réaliser des stocks. Certains vendeurs vont profiter de cette situation pour faire de la surenchère et de la spéculation. Ils vont provoquer des pénuries dans le but de faire augmenter les prix et profiter de la situation pour engranger des bénéfices indus.

Il revient donc, dans cette situation, aux agents publics, par le truchement du ministère du commerce, de contrôler le comportement des commerçants véreux et de sanctionner le cas échéant.

D’après les prévisions de l’INS, le taux d’inflation devait passer de 2,5 % enregistré en 2019 à 2,0% en 2020. Est-ce qu’avec cette crise, le pays ne connaîtra pas plutôt une forte inflation des prix ?

La lutte contre l’inflation est l’objectif majeur de la politique monétaire dans la sous-région CEMAC. Cet objectif est largement atteint aujourd’hui. Mais nous sommes dans une situation de crise, il est donc à craindre que l’inflation augmente. Car, avec le recul de l’activité économique les autorités monétaires prévoient de soutenir les économies en injectant de la liquidité. Cette augmentation de la masse monétaire peut entretenir l’inflation déjà perçue depuis le début de la crise. Toutefois, son ampleur dépend de la durée de la crise sanitaire. Si la mesure radicale du confinement des populations est levée, il est attendu que l’inflation retrouve son niveau d’équilibre.

Le secteur informel occupe près de 80% de la population. Est-ce qu’avec les aléas de la crise sanitaire, qui s’ajoute à la crise sécuritaire, le pays peut aussi craindre une « crise de la faim » avec plusieurs secteurs d’activité qui tournent au ralenti ?

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Cela va de soi. Je l’ai évoqué plus haut. Les mesures de confinement empêchent de nombreuses populations de se mouvoir dans leurs activités économiques. Dans les zones urbaines notamment, les ménages se ravitaillent en majorité dans les marchés tropicaux implantés dans les métropoles. Or, les acteurs de ces marchés sont fortement contraints dans leurs activités. De plus, les acteurs des autres petits métiers dont les revenus ont diminué drastiquement ne peuvent plus acquérir les produits disponibles ; ce phénomène est renforcé par l’inflation. Il est évident que dans cette conjoncture, il est à craindre une « crise de la faim » au Cameroun. Il est donc impératif que la propagation de l’épidémie soit maîtrisée afin de revoir les mesures de confinement, dont l’allègement permettrait aux populations de reprendre leurs activités économiques.

L’OIT a alerté sur une perte conséquente des emplois, près de 25 millions, engendrée par la pandémie.  Le taux de chômage étant déjà inquiétant au Cameroun, doit-on craindre le pire ?

Nous venons d’évoquer précédemment le caractère informel de notre économie. La crise du Covid-19 met au chômage une bonne partie des travailleurs du secteur informel, qui constitue 80% de notre économie. C’est suffisamment évocateur pour craindre le pire. Si la crise continue avec le recul subséquent de l’activité économique, tous les secteurs vont connaître un arrêt total d’activités. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le gouvernement n’a pas suffisamment des moyens pour soutenir tous les secteurs d’activités. Quand bien même ce soutien serait possible, les acteurs du secteur informel oh combien nombreux ne sont pas concernés principalement.

Quelles sont, selon votre analyse, les mesures ou les dispositions que l’Etat peut prendre pour stabiliser l’économie afin d’éviter une dégringolade tragique, rassurer les opérateurs économiques et apporter des réponses durables ?

Les principales mesures que nous pouvons proposer ici ont une connotation financière. Tout d’abord, l’Etat doit se concerter avec ses différents partenaires au développement en vue de négocier des facilités de financement, avec en toile de fond une réponse globale.  Le Cameroun doit procéder de façon claire à une réallocation des ressources sur la base de nouvelles priorités imposées par la crise sanitaire. Nous pensons que le plus urgent est de dégager les ressources pour combattre la Covid-19. Et le faire de façon la plus décentralisée possible afin d’atteindre des objectifs clairement définis au préalable.

La deuxième priorité consiste à dégager des ressources pour soutenir le tissu économique. De nombreuses entreprises sont en difficultés et certaines au bord de la faillite. L’Etat doit absolument intervenir pour éviter le pire. Ces mesures nécessitent que le Cameroun se rapproche des institutions comme la BAD, la BEAC, la BDEAC en vue de rechercher, en accord avec les autres pays de la sous-région, des crédits afin de financer ces opérations.

Il convient également de négocier avec la BEAC, une réorientation de la politique monétaire en vue d’injecter des liquidités dans l’économie et relancer la demande dans une perspective Keynésienne. Il est aussi important que la politique monétaire s’oriente vers une facilitation des crédits surtout pour des entreprises en difficulté qui en feraient la demande. Bien entendu, il est plus que temps de renforcer une rigueur dans la gouvernance publique afin d’assurer l’efficacité de la dépense en générale et de la dépense publique en particulier.

Entretien réalisé par M.L.M.


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