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Me Claude Assira : « dans ce pays si fragmenté on a besoin de la justice comme élément de régulation de la vie sociale »

Une ordonnance de mise en liberté provisoire de Jean Pierre Amougou Belinga et Maxime Eko Eko a fuité vendredi, mettant le sérail en branle et l’opinion publique dans l’imbroglio. Dans un entretien accordé à RFI, l’Avocat Claude Assira revient sur le énième rebondissement autour de l’affaire Martinez Zogo.

Assira Claude Me

Vous écrivez dans votre tribune publiée lundi, le « rétropédalage de la justice » de vendredi passé est une « nouvelle catastrophe » ?

Une catastrophe parce que cela se déroule dans un domaine de la vie particulièrement sensible : la justice. L’homme de radio, Martinez Zogo, a trouvé la mort dans des conditions d’une exceptionnelle cruauté, faisant croire à un règlement de comptes impliquant des moyens très importants. La procédure judiciaire consécutive aurait dû théoriquement permettre au public tout entier, à la communauté à la fois nationale et internationale, d’espérer avoir la vérité sur les circonstances et les mobiles de cet assassinat. Mais lorsque cette justice est la première à se prendre les pieds dans le tapis… vers qui se tourner ?

C’est une catastrophe d’abord pour la mémoire et les proches de Martinez Zogo. On a un peu le sentiment qu’on l’a tué une deuxième fois. C’est une catastrophe pour l’idée qu’on peut se faire de la justice, de son utilité dans ce pays si fragmenté où on a besoin de la justice comme élément de régulation de la vie sociale.

Pour vous, l’ordonnance initiale de mise en liberté de Jean-Pierre Amougou Belinga et Léopold Maxime Eko Eko était « incontestablement authentique » ?

Le juge a effectivement rendu une décision motivée en s’appuyant de façon bien circonstanciée sur des éléments qui ne laissent aucun doute sur le fait qu’il est bel et bien l’auteur de cette décision, qui a ensuite été communiquée – dans le jargon, on dit “notifiée” aux parties par le greffe, qui, faut-il le rappeler, est une institution en marge de la juridiction qui fait à la fois le secrétariat, mais ayant aussi la mission d’authentification des actes rendus par les juridictions. Le Greffe a appelé les avocats auxquels il a notifié formellement ces actes de façon séparée, l’un après l’autre. J’insiste là-dessus.

Mieux encore : dans une affaire comme celle-là, il est difficilement imaginable que le juge d’instruction ait rendu son ordonnance sans que le parquet, c’est-à-dire le commissaire du gouvernement, y ait été associé à un moment ou un autre.

Dans cette affaire, l’orientation de l’enquête vers le tribunal militaire est le fait de la présidence de la République du Cameroun. Donc, il n’est pas concevable une seule seconde que le juge d’instruction ait pu prendre sur lui de concevoir et mettre en œuvre l’idée d’une mise en liberté sans qu’il ait eu l’occasion de solliciter l’avis du parquet, c’est-à-dire de la présidence de la République, puisque c’est le président de la République via le ministre délégué à la Défense qui est le vrai chef du parquet.

C’est donc sur la base d’une décision concertée avec le parquet, que l’ordonnance du juge d’instruction est prise, puis transmise au greffe, lequel notifie la décision aux avocats dans les conditions que je vous ai indiquées. Il s’agit, dès lors, d’une décision rendue dans des conditions normales… Puis, après, tout s’est emballé sans qu’on comprenne exactement pourquoi, même si on peut deviner un peu ce qui a pu se passer. Cela conduit naturellement à s’interroger sur l’intervention de tiers qui ne sont pas directement concernés par le rendu de la justice, c’est-à-dire les acteurs du champ politique. Devant la juridiction militaire, ce n’est que le ministre délégué de la présidence en charge de la Défense qui peut avoir eu l’occasion de faire changer sa position au juge, avec les manœuvres qu’on a pu entrevoir par la suite : la lettre du juge d’instruction au commissaire du gouvernement pour dire que l’ordonnance en circulation n’est pas authentique… puis la lettre du commissaire du gouvernement au régisseur pour bloquer le processus de levée d’écrous. C’est cela que j’ai appelé le rétropédalage.

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Si pour vous, l’ordonnance de mise en liberté de Jean-Pierre Amougou Belinga et de Léopold Maxime Eko Eko est authentique, vous dîtes toutefois que son contenu pose question.

Pourquoi ces deux protagonistes ? Tous les deux sont poursuivis pour « complicité » de filature, enlèvement et torture. Or, en droit pénal camerounais, la complicité est une infraction « accessoire ». Ça veut dire que le juge a pris le temps au préalable d’examiner le fait principal : la torture. Donc, pour arriver à s’intéresser aux cas de gens qui auraient eu une participation accessoire, il faut au préalable régler le cas de ceux qui ont eu la participation principale. Pourquoi dans ce cas ne pas avoir pris une décision globale, c’est-à-dire clore l’information judiciaire [NDLR: l’instruction préparatoire] et prononcer, si telle est son orientation, des non-lieux ou des renvois devant le tribunal pour jugement. Sa façon de faire a plutôt donné le sentiment d’une décision de faveur, orientée vers ces deux personnes. Quand on lit l’ordonnance, on a le sentiment que le juge a la connaissance globale de l’affaire et on ne comprend pas qu’il se soit contenté de prendre une décision qui ne concerne que deux personnes.

Est-ce que, en droit, le parquet avait la possibilité de faire appel de cette mise en liberté ? 

Évidemment que le commissaire du gouvernement avait la possibilité de contester cette décision par une voie légale. Mais il aurait fallu d’abord qu’elle soit exécutée, donc que les deux protagonistes soient remis en liberté.

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Qu’est-ce qui est abîmé par cet épisode ? 

Pour moi, le pire, est que cela jette le doute sur l’avenir, le doute sur la justice. Comment avoir la certitude qu’une décision qui a été prise l’a été ? Et ayant été prise, comment savoir qu’elle va avoir les conséquences qui sont attachées normalement à une décision de justice ? Je suis extrêmement choqué. J’appelle l’État, et je dis bien l’État, pas le chef de l’État, et tous les autres acteurs de la justice, les organisations de la société civile, les avocats… à se coaliser pour un aggiornamento. Comment faire pour que ce genre de situation ne se reproduise plus jamais ?

Et pour l’enquête en elle-même ? 

Dans l’immédiat, pour moi, il faut tout remettre à plat, repartir sur une nouvelle enquête, avec un nouveau juge d’instruction qui poseraient des actes nouveaux, des actes forts. À ce stade, il serait catastrophique de laisser les choses en l’état, des têtes doivent tomber.

Est-ce que vous pensez qu’on peut savoir un jour la vérité sur la mort de Martinez Zogo ?

En l’occurrence, à partir du moment où les choses sont mal parties, on peut difficilement imaginer que l’enquête puisse donner lieu à un résultat positif. Quand on retrace l’histoire de la filature, la capture, la torture infligées à Martinez Zogo, tout laisse à penser qu’il y avait de toute manière une intention d’homicide dès le départ avec préméditation et faite en réunion avec des moyens de l’État. On se serait attendu que, comme conséquence à tout cela, à ce que l’information judiciaire fut ouverte sur les qualifications d’assassinat et que par la suite peut-être que, au terme des investigations dûment menées par le juge d’instruction, il se rende compte qu’il ne s’agissait pas d’un projet d’homicide. Autre exemple : j’ai cherché, mais dans notre architecture pénale, je n’ai pas vu une infraction de filature. Donc, quand vous avez une infraction a minima de torture et une infraction qui n’existe pas, cela brouille les choses. Quant au scénario d’un deuxième commando dont il est parfois question, là encore, pour moi, c’est encore une façon d’embrouiller les choses. Je ne pense donc pas qu’il y ait une volonté orientée vers la recherche de la vérité. Peut-être que celle-ci dérange.


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