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Mathieu Olivier-Jeune Afrique : « Luc Sindjoun, l’homme qui murmure à l’oreille de Paul Biya »

Lucsoi

Dans un article publié sur le site internet de Jeune Afrique le 7 avril 2022, Mathieu Olivier dresse le portrait de Luc Sindjoun, l’homme qui occupe le poste de conseiller politique du président Paul Biya depuis au moins deux décennies.

Lucsoi
Pr Luc Sindjoun (c) Droits réservés

Cameroun : Luc Sindjoun, l’homme qui murmure à l’oreille de Paul Biya

Conseiller du chef de l’État depuis près de vingt ans, il est l’une des têtes pensantes du palais et de la réforme constitutionnelle que celui-ci pourrait lancer prochainement. Portrait.

Luc Sindjoun est radieux. En ce 24 mars, il est de retour chez lui, à Baham, dans sa région natale de l’Ouest. Au cœur des Hauts-Plateaux, le conseiller politique de Paul Biya est venu célébrer le 37ᵉ anniversaire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). La Maison du parti, qui accueille les festivités et qu’il a contribué à financer, n’est pas encore totalement achevée, mais les militants s’y rassemblent déjà.

Le préfet Nji Yampen Ousmanou est présent, ainsi que le roi des Baham, le sénateur Pokam Max II. Mais personne ne doute d’une chose : l’invité d’honneur, c’est bien Luc Sindjoun, ce professeur de sciences politiques qui a, depuis deux décennies, les faveurs et l’oreille du chef de l’État. À la tribune, l’ex-universitaire de 58 ans ne manque d’ailleurs pas de saluer Paul Biya.

« Ce 24 mars est un jour de fierté, celle d’appartenir à un parti qui, sous l’impulsion du président Paul Biya, a entraîné le Cameroun vers la démocratie, la paix, le progrès et l’unité. Nous devons œuvrer au quotidien pour préserver ces acquis et contribuer à l’émergence de notre pays », lance Luc Sindjoun. Quelques minutes plus tard, les cadres du parti valident une motion de soutien au chef de l’État, avant d’entamer une marche dans les rues de Baham. Autour des cous des participants, des écharpes aux couleurs du RDPC datant de la présidentielle 2018 et sur lesquelles s’étalent le slogan électoral d’alors : « La force de l’expérience ». Les robes bleues et costumes orange vif à l’effigie de Paul Biya sont également ressortis. La journée a des airs de précampagne.

Le penseur d’Etoudi

Au palais d’Etoudi, Luc Sindjoun prépare-t-il déjà la prochaine élection ? Selon plusieurs sources, il est l’un des principaux penseurs de la réforme constitutionnelle que Paul Biya pourrait mettre en place dès cette année. Celle-ci viserait notamment à réinstaurer le poste de vice-président et à le confier à un Camerounais anglophone, une réponse au conflit qui touche les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis 2016.

Le natif de Baham planche aussi à la présidence sur les scénarios de la succession du chef de l’État, parmi lesquels l’éventualité d’une présidentielle anticipée, qui aurait alors lieu avant la date prévue de 2025. « Il est le penseur numéro un de Paul Biya, pour tout ce qui touche à la forme de l’État et aux élections », résume un proche de la présidence.

Titulaire d’un doctorat en sciences politiques obtenu en 1991 à l’université de Yaoundé, Luc Sindjoun s’est d’abord fait connaître au sein des cercles académiques africains et français. Mais le monde politique l’a rapidement rattrapé. À la fin des années 1990, il fait partie d’un groupe d’intellectuels, baptisé « Club de Paris », regroupant notamment Adolphe Minkoa She, l’actuel recteur de l’université de Yaoundé II, l’économiste Jean-Claude Ayem ou encore Mathieu Mebenga. Or ce dernier, surnommé « Benson », s’est rapproché de Jean-Marie Atangana Mebara.

L’art d’éviter le conflit

Devenu ministre de l’Enseignement supérieur en 1997, Atangana Mebara cherche à s’entourer de jeunes universitaires. Il recrute donc « Benson » comme secrétaire particulier et Luc Sindjoun comme conseiller. Cette nomination est un tournant. Quand le ministre est nommé secrétaire général de la présidence de la République en août 2002, Sindjoun le suit au palais d’Etoudi quelques mois plus tard, en 2003. Il y devient d’abord conseiller technique. « Atangana Mebara a amené “ses” intellectuels à la présidence. C’est comme cela que certains sont entrés dans le cercle de Paul Biya », explique un proche de Sindjoun. « Discret », « froid en public », ce dernier a l’art d’éviter le conflit dans un milieu où tant de requins ont tendance à s’entre-dévorer.

En 2008, Jean-Marie Atangana Mebara est rattrapé par l’opération anti-corruption Épervier. Luc Sindjoun pâtit-il de la perte de son premier protecteur ? « Pas du tout. Paul Biya l’avait déjà adopté et apprécié ses analyses et ses notes de travail », confie un de ses amis. Il poursuit donc sa montée en influence à Etoudi, aux côtés de Laurent Esso puis de Ferdinand Ngoh Ngoh au secrétariat général, et de Martin Belinga Eboutou à la direction du cabinet civil.

L’anti-Kamto

Année après année, Luc Sindjoun s’affirme comme l’un des rouages de la réflexion politique de Paul Biya. Devenu conseiller spécial, on le croise régulièrement dans les délégations lors des sommets internationaux où le président se déplace encore et où il n’est pas rare qu’il soit l’un des premiers rédacteurs de ses discours. Ce « dévoreur de livres » – il aime à partager ses lectures avec son ami d’enfance, le publicitaire Albert Osé Miambo, ou encore avec Narcisse Mouelle Kombi, l’actuel ministre de la Culture – travaille souvent avec une des communicantes de Paul Biya, la Française Patricia Balme. Toujours présent dans le milieu académique – il est professeur associé de Sciences Po Paris –, il intervient aussi occasionnellement dans les médias, où ses avis sur l’opposition et sur la longévité au pouvoir soulèvent approbation ou tollé.

Surtout, Luc Sindjoun, qui est membre du comité central du RDPC, devient le patron du parti dans les Hauts-Plateaux. Il reçoit dans sa résidence de Baham, où les notables se succèdent, avides de s’entretenir avec celui qui a su gagner l’estime de Paul Biya. Pour le président, cette influence locale ne manque pas d’intérêt : un autre natif du département, Maurice Kamto, a en effet entrepris de le défier et de lui contester sa place au sommet de l’État.

« Pour Paul Biya, Luc Sindjoun est un peu l’anti-Kamto. Il s’en sert pour contrôler l’avancée de son opposant au sein des élites de Baham », explique un proche de la présidence. Dans sa lutte d’influence avec Maurice Kamto, Luc Sindjoun a d’ailleurs reçu depuis des années l’assistance d’un autre universitaire devenu politique, Joseph Owona, son aîné siégeant aujourd’hui au Conseil constitutionnel.

« Dans l’Ouest, Biya a deux atouts principaux : Jean Nkuete, le secrétaire général du RDPC, et Luc Sindjoun », résume notre précédent interlocuteur. Chez les Bamilékés de l’opposition, on le voit comme un traître rallié au clan bulu du chef de l’État et comme un intellectuel qui a vendu son âme. »

Pas dans le jeu des amitiés politiques

Conseiller à la présidence depuis près de vingt ans, le discret Luc Sindjoun réfute en privé être « l’homme de » Paul Biya ou de qui que ce soit d’autre. À ceux auxquels il accepte de se confier, il affirme « faire son travail » et « ne pas chercher les amitiés ». « C’est quelqu’un qui affiche une certaine froideur en public et au travail et qui ne cherche pas à entrer dans le jeu des amitiés politiques. Il n’y a qu’en privé et avec un petit nombre de personnes qu’il peut partir dans de grands éclats de rire », décrit l’un de ses visiteurs.

« Ce n’est pas un mondain. Son plaisir est plutôt de rassembler chez lui quelques amis pour discuter politique et littérature », poursuit cette source. Lorsqu’il quitte son bureau de la présidence en compagnie d’un garde du corps en civil – et s’il ne passe pas par le supermarché de Bastos, où il a occasionnellement l’habitude de faire quelques courses –, Luc Sindjoun n’aime rien tant que regagner à bord de son pick-up son confortable domicile du quartier Emana. Voisine de celle du vice-amiral Guillaume Ngouah-Ngally, sa villa est particulièrement bien gardée. Dans cet antre sécurisé, au milieu de piles de livres et de revues qui s’entassent, l’éminence de l’Ouest conserve, fort de la confiance de Paul Biya, certains des secrets les plus convoités de la République.


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