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Joël Meyolo : « L’enseignement de l’histoire du Cameroun souffre de la mise à l’écart d’un ensemble de préoccupations essentielles à la véritable connaissance du passé du Cameroun»

Universite de Yaounde I

Dans une tribune publiée sur la toile l’enseignant d’histoire parle du faible taux réservé à l’enseignement de l’histoire du pays à l’université mère du Cameroun. « L’enseignement de l’histoire du Cameroun dans cette institution souffre de la mise à l’écart d’un ensemble de préoccupations essentielles à la véritable connaissance du passé du Cameroun. Il se dégage l’impression d’un tri en bons et mauvais moments du passé. Que cela soit fait dans la perspective de la construction d’une identité narrative, ne poserait pas de véritables problèmes, tant plusieurs États au monde le font.», écrit-il.


Universite de Yaounde I
Université de Yaoundé 1 – DR

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la chronique.

Il y a longtemps je le disais déjà. La science doit être faite autrement.

L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE A L’UNIVERSITE DE YAOUNDE 1 : DE LA MINORITE A LA MAJORITE HISTORIQUE

Il est important dans la compréhension des développements qui vont suivre, de préciser la signification à laquelle renvoie la minorité historique. Elle est prise au sens de Kant qui la perçoit pour chaque homme comme ‘‘ l’incapacité à se servir de son entendement sans la direction de quelqu’un d’autre’’. Il faut aussi noter que dans une perspective plus proche de l’analyse ci-dessous, l’homme qui se trouve dans cette position, ‘‘ne la doit qu’à lui-même, cette minorité, lorsque la cause en réside dans un manque, non pas d’entendement, mais de la décision et du courage de s’en servir sans la direction de quelqu’un d’autre’’ (Langenbucher, al, 1976 : 62). La minorité historique dans l’enseignement de l’histoire à l’Université de Yaoundé I se comprend d’une part, par la mise à l’écart des problématiques dites dérangeantes et d’autre part, conséquemment, par le choix des problématiques qui s’éloignent de l’idéal de l’institutionnalisation du rôle social de l’histoire.

– Les problématiques qui dérangent : la mise à la retraite d’une partie de l’histoire nationale

L’enseignement de l’histoire du Cameroun dans cette institution souffre de la mise à l’écart d’un ensemble de préoccupations essentielles à la véritable connaissance du passé du Cameroun. Il se dégage l’impression d’un tri en bons et mauvais moments du passé. Que cela soit fait dans la perspective de la construction d’une identité narrative, ne poserait pas de véritables problèmes, tant plusieurs États au monde le font. En agissant tel que cela se constate aujourd’hui, la maison histoire yaoundéenne s’enferme volontiers dans l’univers de l’incapacité. Pourtant, au regard des écoles occidentales dans lesquelles la plupart des historiens de la première et de la seconde génération ont été formés, l’on se serait attendu à ce qu’ils veuillent exiger la pratique d’une autre façon de faire l’histoire. Comment en effet comprendre que les premières générations d’enseignants du département d’histoire (Engelbert Mveng, Onambélé, Adalbert Owona, Joseph Marie Essomba, Chem Langë), n’aient pensé à investir le champ de l’histoire politique du Cameroun, pour y faire ressortir la magnifique contradiction qu’il avait entre les nationalistes et les oppresseurs franco-britanniques ?. L’on pourrait mettre à leur crédit tout au moins, la vulgarisation de l’enseignement de l’histoire. Toutefois, il convient de reconnaître que dans leurs travaux individuels, certains d’entre eux ont abordé cette question, sans que cela ne soit malheureusement inscrit dans le processus de formation. Après ces pères fondateurs, sont venus des jeunes tous aussi inscrits dans la logique des premiers, avec plus d’aisance à communiquer à travers leurs travaux personnels. On peut citer le chef-d’œuvre de Daniel Abwa qui touche à une problématique absente des programmes, paradoxalement d’actualité. En décidant de mettre le doigt où ça fait mal, il replonge les Camerounais dans leur réalité. Car en fait, au-delà du discours ‘‘affectif’’ plein d’instrumentalisation d’une certaine classe de pseudo-intellectuels, il pose un postulat simple. Il n’y aurait ‘‘ni anglophones ni francophones’’ mais uniquement des ‘‘Camerounais ’’. Bien que cette position soit fortement discutable, il n’en demeure pas moins qu’elle exprime une prise de position claire dans un champ dénué de tentatives réelles, de porter des réponses aux attentes d’un pays à mal de son histoire. Pire encore, comment comprendre qu’aucun intérêt ait été accordé à la structuration d’une pensée historique, elle-même consécutive à la prise en compte de l’héritage franco-britannique ? De manière prosaïque, il aurait été nécessaire que les enseignements dispensés au Département d’histoire de l’Université de Yaoundé 1, eussent été orientés vers la construction d’une personnalité camerounaise en intégrant comme élément de base, la signification de certains faits historiques comme la Réunification intervenue le 1er octobre 1961. Car il est évident qu’elle est à la base de changements radicaux notamment sur la configuration physique du territoire, sur la forme de l’État, sur les institutions et leur mode de fonctionnement, ainsi que sur le comportement des Camerounais évoluant désormais dans un environnement bilingue et biculturel. Au-delà des frontières nationales, la Réunification a facilité l’orientation de la politique étrangère du Cameroun qui avait dès lors, la possibilité de surfer dans les espaces diplomatiques francophone et anglophone sans trop de peine. C’est dire que l’intégration des enjeux de la Réunification ainsi que ses implications dans les programmes d’enseignement contribueraient sans doute, à apporter plus d’éléments dans le voyage vers la construction d’une identité camerounaise. L’avènement de la crise dans la zone anglophone et l’incapacité de la communauté d’historiens à y apporter une solution, offrent l’opportunité d’observer ce manquement. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir des horaires d’enseignement susceptibles de véhiculer ce courant de pensée. En réalité, beaucoup de temps est consacré à l’étude des thématiques très éloignées de la construction de l’identité nationale, ou même quand elles le seraient, elles sont servies en repas fades.

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– Le manque de saveur du repas historique

Á partir de la seconde année de formation, les étudiants du département d’histoire de l’Université de Yaoundé 1, après avoir fleuré les mouvements migratoires et les peuplements du Cameroun anté-colonial en première année, sont initiés à l’histoire du Cameroun du protectorat allemand à la tutelle franco-britannique.

La première difficulté réside dans les horaires qui sont accordés à ces enseignements fondamentaux pour la construction de la citoyenneté camerounaise. Il s’agit pour ce qui est du protectorat allemand, d’une unité d’enseignement de 60 heures, auxquelles sont adjoints des travaux dirigés censés renforcer les capacités des étudiants. Ce dernier élément pourrait à lui seul faire l’objet de nombreuses publications, tant on y décèle des manquements liés soit à la nature des encadreurs, soit au temps imparti, soit à l’accès aux documents et enfin à la méthode utilisée.

Le deuxième écueil est lié à l’objectif à atteindre. On lit justement comme fin, la maîtrise par les étudiants, des réalités de la présence allemande au Cameroun. Or à ce niveau, se pose une constellation d’interrogations. Comment appréhende-t-on la présence allemande ? Est-elle limitée à la période de l’installation du protectorat ? Doit-on y voir uniquement l’organisation administrative du protectorat ? Peut-on retenir l’ingénierie économique allemande qui a commandé l’exploitation du territoire ? Est-il autorisé de s’appesantir stricto sensus sur l’implication des Allemands dans les domaines de l’éducation, de la santé et des infrastructures ? Toutes ces questions établissent le paradoxe entre la méthode utilisée et l’objectif énoncé. Á l’évidence, un développement même synoptique de ces différents questionnements fait émerger la nécessité de déconstruire l’option d’enseignement choisie.

Des productions scientifiques sur le processus ayant conduit au protectorat allemand au Cameroun, il est intéressant de retenir au moins quatre mécanismes. La signature des traités, l’achat des territoires, les conquêtes militaires et le don de terres. Ces formes supposent des enseignements spécifiques, allant de la stratégie de conquête militaire des territoires, aux techniques de négociations internationales, ceci d’autant plus que l’avènement du protectorat allemand est consécutif à la combinaison des démarches personnelles et des actions étatiques qui ont abouti à la Conférence de Berlin de 1884 (Adalbert Owona, 1996). Malheureusement, l’orientation du cours dispensé est celle d’une approche globale. Pourtant, il est évident que la période allemande est à la base de la construction territoriale du Cameroun.

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De la signature du traité entre les chefs Duala et les commerçants Allemands en juillet 1884 jusqu’au départ de l’administration allemande en février 1916, l’évolution du territoire s’est opérée à partir d’éléments liés soit à la conquête des territoires, soit à des négociations entre l’Allemagne d’une part et la France et l’Angleterre d’autre part. Ce faisant, l’organisation du territoire s’est constamment adaptée à la donne ambiante (Adalbert Owona, 1996 : 54-66). C’est pour cela que les enseignements sur l’organisation du territoire allemand devaient supposer au préalable la maîtrise des connaissances sur la problématique générale de l’organisation de la cité en se référant au modèle germanique dans un contexte de recherche des débouchés et du prestige. Chose inaccessible sans une connaissance du contexte politique, économique et social de l’Europe du 17ème, du 18ème, et du 19ème (Droz, 1990). Au-delà de la signification territoriale, l’analyse de l’action allemande au Cameroun semble fondamentale.

Le passage allemand au Cameroun a posé les bases du développement des infrastructures scolaires, routières et ferroviaires. Á travers ces infrastructures, les lieux de production étaient rattachés aux zones de débouchés, notamment les voies menant à la côte atlantique (Adalbert Owona, 1996 : 79-80). S’agissant des écoles, ils permettaient la formation d’auxiliaires de l’administration allemande. Dans une perspective stratégique des enseignements, il aurait été plus indiqué d’orienter les enseignements vers la politique infrastructurelle de l’Allemagne et leurs conséquences sur la situation actuelle. La même démarche aurait été également prise pour ce qui est de l’éducation, ainsi que pour les initiatives économiques allemandes. Á ce sujet, envisager l’introduction dans le cadre des enseignements des notions d’économie coloniale, d’économie politique ou étudier l’économie mondiale des 19ème et 20ème siècles, ne serait pas superflu.

Le départ des Allemands du Cameroun a ouvert la voie à la présence franco-britannique. Inévitablement, cette partie de l’histoire du Cameroun est partie prenante de l’ossature des enseignements dispensés. Si les horaires dédiés à l’étude de la présence allemande au Cameroun remplissent le quota réservé à une unité d’enseignement, ceux accordés à l’analyse de la période du Mandat de la Société des Nations accordé à la France et à la Grande-Bretagne sont à la limite du dérisoire. Comment en effet comprendre qu’une partie aussi importante de l’histoire de ce pays soit confinée à une seule Unité d’Enseignement ? N’aurait-il pas été plus évident de segmenter cet enseignement en sous-spécialisations ? Ce qui aurait l’avantage de former des spécialistes de l’histoire du mandat franco-britannique aptes à apporter des réponses aux vicissitudes contemporaines liées à cet épisode de l’histoire du Cameroun. Ce sont autant de questions qui valent également pour le Cameroun sous la tutelle des Nations Unies accordée une fois de plus aux deux États mandataires. La conséquence de cet état des choses explique que les questions aussi importantes comme la naissance des mouvements nationalistes et les actions qu’ils ont menées sont données à doses homéopathiques. Ce faisant, à la fin de la formation, l’étudiant se trouve à la croisée des chemins. Enseveli dans l’incompréhension entre le discours tenu dans les amphithéâtres et les contenus des productions personnelles de ses enseignements. D’où la nécessité de restructurer les paradigmes d’enseignement de l’histoire. Ceci passe inéluctablement par la construction d’une histoire stratégie.

LA SUITE DANS MON LIVRE

 


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