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Jean-Pierre Bekolo : « la réalité camerounaise existe au-delà des clivages ethniques »

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L’acteur culturel remet sur la place publique son texte publié dans le jour, il y a quelques années au sujet de la manipulation tribale. Ce texte était adressé à Amadou Ali de regretté mémoire. Il transfère le contenu à Cabral Libii qui parle aujourd’hui de fédéralisme communautaire.

Lebledparle vous propose le texte

Il y a 11 ans, je disais que Amadou Ali Doit Des Explications Aux Camerounais. Je pensais qu’avec sa disparition l’homme qui affirmait que « le Nord va apporter son soutien à Paul Biya mais pas à un autre Beti ou un Bami », ce texte perdrait sa pertinence, mais malheureusement,  Amadou Ali est mort, vive Amadou Ali qui a désormais héritier avec qui les Bamilékés et les Nordistes auront leurs quartiers comme leurs équipes de football.   Ce que je demandais à Amadou Ali et que je transfère aujourd’hui à cet héritier adepte du « fédéralisme communautaire »  est que:

Quel sort Amadou Ali réserve-t-il à ce jeune camerounais né de père Bamiléké et de mère Bassa ayant grandi au nord parlant couramment le foufouldé et vivant aujourd’hui à Yaoundé qui se marie à une fille de père Maka de l’Est, de mère Douala ayant grandi dans le Mbam et parlant tous ces langues ? Quel sort Amadou Ali réserve-t-il à leurs enfants ? Aux enfants de leurs enfants ? Quand on sait en plus que le Nord dont il parle ne saurait être une entité homogène, que les Kotokos ne s’entendent pas avec les Arabes Choas, que les Peulhs ne s’entendent pas avec les Mundangs etc. On peut ainsi diviser et subdiviser à l’infini les camerounais et trouver à chaque fois un clan qui en aurait assez du supposé pouvoir d’un autre. Comment cette « politique ethnique » qui est légion au Cameroun s’envisage-t-elle dans l’avenir où le « métissage » camerounais rendrait les origines ethniques des uns et des autres moins évidents ? Quelle est la vision du Cameroun de Amadou Ali à l’horizon 2035 ?

Si personne ne peut douter du patriotisme de ce dernier, l’ambiguïté de notre histoire coloniale avec laquelle le pouvoir actuel a du mal à marquer une rupture malgré les luttes des héros nationalistes fini par le rattraper. Si on peut dire que Amadou Ali appartient à une autre époque, il n’est pas plus vieux que certains de ces nationalistes camerounais qui voulaient en leur temps déjà, dépasser la gestion du pays sur une base ethnique. Ce que ces propos révèlent tout simplement, c’est que le modèle appliqué actuellement est un prolongement du modèle colonial dont l’objectif était avant tout l’aliénation et non l’émancipation de l’Africain. Il serait intéressant de savoir si cette vision de Amadou Ali est en phase avec les valeurs et idéaux de son parti le RDPC car à mon sens ce regard ferait de ce parti un parti « ethiniciste » donc raciste. Sauf que contrairement aux partis racistes, le RDPC hébergerait à la fois des racistes-ethniques du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest qui se battraient tous entre eux. A quelques jours du congrès de ce parti au pouvoir, il est urgent que sa véritable nature se dégage et permette enfin aux camerounais de se positionner au delà de leur ethnie et de faire la politique comme elle se fait partout ailleurs, avec une gauche et une droite avant tout au service du plus grand nombre. Et surtout que soit redéfini la manière dont est pensé et géré notre diversité ethnique.

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Qu’est-ce qui a changé pour que cette magie de la « politique ethnique » qui a jusqu’ici semble-t-il garanti la paix soit entrain de se retourner pour devenir l’étincelle qui risque d’embraser le Cameroun ? Le temps. Le temps est passé par là.

Si Amadou Ali s’est retrouvé à un moment de l’histoire de notre pays parmi l’élite du RDPC (parti au pouvoir portant sa propre histoire et ayant commencé comme parti unique, lui-même issu d’un autre parti unique l’UNC construit sur la base des idées coloniales donc non-révolutionnaires) il a donc en tant que Ministre de la Justice et vice-premier Ministre, la charge du destin de ses compatriotes et selon ses propres termes des populations du nord, il n’y a aucune honte à cela car on ne choisit pas son époque, par contre on peut choisir de donner une chance aux générations futures afin qu’elles puissent s’inventer un autre destin.

Si l’idée de l’appartenance ethnique disparaît lorsque les Lions Indomptables entrent dans un stade de football, c’est avant tout parce que chacun de nous est convaincu que la réalité camerounaise existe au-delà des clivages ethniques et nous l’apprécions car c’est le Cameroun qu’il s’agit avant tout de faire gagner. Pourquoi refuse-t-on de faire la même chose avec la politique ? Il faudrait que notre politique arrête de faire gagner une tribu, que les élections et les nominations aient d’abord pour objectif d’améliorer la vie des camerounais en privilégiant la compétence et non l’origine ethnique. Il faut que ceux qui mettent l’appartenance ethnique en avant aient honte d’être camerounais. Il faut que la politique fasse d’abord gagner les camerounais.

Aussi vrai que nous savons ce qui nous uni et ce qui nous divise, il est important pour notre République d’aller officiellement à la rencontre avec l’AUTRE (l’autre qui n’est pas moi) et arrête de gérer dans le secret au sein du même espace géographique qu’est le Cameroun les Ministères de l’Intérieur (Nous) et de l’Extérieur (les Autres) liguant ainsi les camerounais les uns contre les autres. Organisons cette rencontre avec l’AUTRE, fusionnons ces Ministères de l’ombre en un seul où pourront vivre nos 280 ethnies. Créons ce grand Ministère des Cultures du Cameroun. Ne dit-on pas que la Culture est la rencontre avec l’Autre ?

Notre diversité culturelle doit être un projet national fondateur débarrassé du virus entretenu originellement par le colonisateur et par leurs adeptes néo-coloniaux d’aujourd’hui.

La vision d’Amadou Ali qui est celle des hommes politiques de sa génération et de son parti, pose sur la table une question qui sous d’autres cieux se discute en termes de droit du sol, de droit du sang, de préférence national etc. Mais la gravité est qu’elle se pose au Cameroun à l’intérieur de nos frontières, menaçant par-là l’unité nationale. En plus elle renie l’idée même du Cameroun comme un pays démocratique où les citoyens choisiraient librement un jour au suffrage universel, ceux qui les dirigent.

Nous savons que c’est en privilégiant l’acquis (l’éducation) sur l’inné (les gênes) que nous irons vers le progrès. Notre pays manque d’institutions qui nous réunissent comme le fait le football et vous devez être choqué vous aussi de savoir qu’il y a de nombreux centres dans nos villes où on enseigne le japonais, l’italien, le chinois, le russe, l’allemand alors qu’il n’existe aucun lieu pour apprendre nos 280 langues.

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Ce qui est en question ici est avant tout la manière dont on fait et on pense la politique au Cameroun. Les jeunes camerounais qu’il faudrait arrêter de sous-estimer crient tous les jours, à leur manière bien sûr, qu’ils ont besoin de nouveaux paradigmes car c’est de la gestion de leur avenir dont il est question. Pour eux un pays n’est pas un gâteau à partager entre les ethnies du nord, du sud, de l’est et de l’ouest. C’est une usine, une plantation qui avant tout a besoin de bras et de cerveaux, des idées et de savoir-faire pour que la production et la récolte soit abondante et qu’il y aie à manger pour tous et que tous ses enfants n’aient plus jamais faim.

La démission d’Amadou Ali serait une façon pour lui de dire à cette jeunesse que sa génération a fait son temps du mieux qu’elle a pu et que c’est à cette jeunesse de prendre le relai avec une autre vision.

La démission d’Amadou Ali serait une façon pour lui de dire qu’il voudrait d’un Cameroun uni sans une ethnie qui dominerait les autres, un Cameroun de paix où une seule ethnie serait en vue, celle des camerounais.

La démission d’Amadou Ali serait pour lui une façon de dire qu’il voudrait d’une véritable démocratie au Cameroun ou les manœuvres ethniques de succession dignes de chefferies n’auraient pas leur place.

S’il existe encore des camerounais qui voient avant tout derrière un président ou un serviteur du Cameroun son appartenance ethnique, c’est que notre république a pêché de n’avoir pas mis en place de manière prioritaire un vaste programme d’éducation permettant d’éviter une instrumentalisation de l’ethnicité et par conséquent de la démographie à des fins électoralistes et égoïste par une élite qui maintenant les populations de sa région dans la misère et l’ignorance. Car c’est à ce niveau que se situent les risques dont les crises post-électorales sont des exemple de manipulations de masses illettrées sur des bases ethniques.

La gestion de la dimension culturelle de notre pays doit être un véritable programme de développement. Elle doit être une affaire de tous régie par les principes d’une République moderne sinon le projet de l’édification d’une nation camerounaise même à l’horizon 2035 ne peut qu’apparaître apocalyptique.

A la place de ce fédéralisme ethnique non-démocratique arbitraire et inégalitaire sur fond de la 5ème République française au présidentialisme excessif en place au Cameroun, je prône la République Culturelle*. Une République où nous serons tous des nordistes, des bassas, des betis, des mbamois, des toupouris, des makas, une République où nous mangerons tous le Ndolè, le Folong, le Taro, le Kepen, le Okok ; une République ou nous danserons tous du Bensikin, du Makossa, du Bikutsi, de l’Assiko du Pinguisse !

*République Culturelle :

Proposition à tous les candidats à l’élection présidentielle de 2011 pour mettre la culture au centre du développement de ce pays sous forme de PACTE CULTUREL.

Le Jour Bekolo


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