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Tribune : « À bout de souffle, Le régime Biya opère dans la diversion pour jouer sa survie »

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Le camerounais Christian Alain Djoko, juriste et philosophe a envoyé à la rédaction de Lebledparle.com une tribune sur le mode de fonctionnement du régime de Yaoundé : la gouvernance par la diversion pour détourner le peuple de ses problèmes réels et durer le plus longtemps possible avec des velléités de perpétuation. Cette diver sion managériale est accompagnée d’une stratégie d’attrition. En un mot comme en plusieurs, le régime de Yaoundé à bout de souffle s’appuie sur la diversion et l’attrition pour jouer sa survie.


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Paul Biya – capture photo

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la tribune.

Penser les stratégies de diversion et d’attrition du régime Biya.

Disqualifié depuis longtemps par une mal gouvernance hybride, confronté au pourrissement continu du problème anglophone, acculé par le MRC et tiraillé en son sein par des batailles féroces  de positionnement, le pouvoir de Yaoundé est à bout de souffle. Fragile, rouillé et déliquescent, il est contraint comme jamais auparavant à négocier chaque jour sa survie. 

Cette survie constamment négociée est essentiellement construite autour de cinq axes: le soutien de certaines chancelleries occidentales, la violence institutionnelle (police, justice, sanction administrative, etc.), l’État patrimonialisé et ses corollaires (corruption, népotisme, etc.) la diversion et la stratégie de l’attrition. Même si les cinq axes ne sont pas sans lien, je ferai des deux derniers cités la thématique axiale de cette tribune. 

La diversion comme mode opératoire

Tactique militaire « inaugurée » par le général chinois Sun Tzu (IVe siècle avant J.C), la diversion visait à détourner l’attention de l’ennemi quant à ses véritables intentions. Représentez-vous l’image d’un magicien qui attire l’attention sur sa main gauche pour mieux réaliser son tour de passe-passe avec la main droite.

S’il est vrai que j’emprunte ce concept au domaine militaire, il n’a sans doute pas échappé à mon lecteur qu’il s’agit également d’une catégorie éminemment politique. Je mobilise la notion de diversion pour décrire le déluge continuel de distractions, désinformations et de situations insignifiantes constamment utilisées par le régime Biya pour essayer de détourner l’attention des journalistes et du public de la nuit de tous les possibles, à savoir l’alternance au pouvoir.

« Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser. » (Armes silencieuses pour guerres tranquilles)

Dans le déploiement de cette stratégie que les spécialistes du Marketing nomment encore syndrome des objets lumineux, le ministre de l’administration territoriale occupe une place centrale. À travers ses théories complotistes, ses proverbes louftingues, ses mensonges éhontés, ses menaces arbitraires et autres contemptibles, il parvient à chaque fois à provoquer un feu d’artifice médiatique. Il est assisté dans cette tâche par une presse à gage, une horde de communicants décérébrés et une brigade cybernétique de « ventriotes » nourries gracieusement aux frais du contribuable. Celles-ci disposent d’immenses tribunes et espaces pour claironner le bréviaire idéologique hardie, mensonger, impudent et tribaliste d’un régime aux abois.

Il importe de signaler au passage qu’en dépit de son actualité récente, la diversion une vieille tactique du Renouveau. Les remaniements ministériels, les prétextes politiques pour des retrouvailles alimentaires, le football (Panem et circenses) et surtout l’opération épervier ont souvent servi d’appât pour détourner l’attention du peuple des enjeux structurels. S’il est vrai que les camerounais ont fini par s’habituer aux silences présidentiels, il reste cependant friand des petites phrases présidentielles. Et ça, Paul Biya l’a bien compris. Au détour de ces discours anorexiques, il ne se prive jamais de lancer un mot, une phrase, dont la vacuité n’a d’égale que son caractère populiste. Telle une piaculaire sociale, ça fait mouche. C’est la griserie éphémère. Mêmes certains « opposants » sont sous le charme. Quant aux laudateurs de l’homme du 6 novembre, c’est le délire aux accents psychédéliques. Le président toujours « chaud gars » a mis les « petits partis politiques » et les « apprentis sorciers » « dans le sauce ». Qu’importe si au moment où ils le scandent, des milliers de Koumatekel s’éteignent dans nos hôpitaux ou qu’une eau d’aspect jaunâtre dégouline des tuyaux de la Capitale. Même coincés comme des sardines dans les contradictions, ils n’hésitent à entonner « Ayop Ayop ». L’essentiel est dans l’accessoire: « Le père là a fait fort ». Cela lui donne un entrain sympathique. Le syndrome de Stockholm dans toute son splendeur est consommé. 

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À l’échelle internationale c’est également la stratégie utilisée par Trump. L’émergence de ce dernier sur la scène politique a eu l’effet d’un magicien qui recourt à la prestidigitation pour distraire son public et dissimuler sa trumperie. Comme le souligne Gilles Vandal : « Sa tactique de diversion est très simple. Il n’a qu’à dire quelque chose de complètement faux, ridicule ou bizarre pour que les médias s’activent. 

Il fait alors les manchettes, car les différents médias débattent du sens de sa déclaration et se lancent dans le processus de vérification. Durant ce temps, ils cessent de couvrir les vrais enjeux ou questions qui préoccupent Trump. Ce procédé marche à tout coup, même si la déclaration est complètement farfelue. »

Il convient de noter cependant que la source de la diversion n’est pas toujours orchestrée par le régime. Les progressistes et autres forces vives de l’opposition se laissent eux-mêmes distraire quelques fois par les éphémérides du jour. Leur appétence pour les faits divers induit pour ainsi dire une attention diffuse. Ils retrouvent pris dans une boucle inépuisable de « japap », truismes, de banalités ou d’informations anodines auxquels ils attribuent péniblement une importance capitale pour penser l’alternance. 

Mais ce qui fait la spécificité voire l’originalité de la stratégie de la diversion employée par le régime Biya c’est son versant. Elle se double en effet d’une stratégie d’attrition. 

La stratégie d’attrition. 

Plutôt que de progresser sur leur terrain en vue d’une confrontation directe, cette stratégie emprunter également au milieu militaire, vise à fragiliser à distance ou indirectement les forces ennemies.

Cette stratégie utilisée par le régime de Yaoundé consiste à infiltrer l’opposition pour y créer et alimenter en son sein des dissensions internes. Il s’agit également pour le parti au pouvoir de débaucher quelques pseudo-opposants et d’entretenir financièrement une certaine opposition de façade. Le nombre exponentiel de partis politiques au Cameroun qui oscille constamment entre une collaboration incestueuse et une opposition mièvre au régime en place témoigne à suffisance de cette stratégie.

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Dans le processus de déploiement de la stratégie d’attrition, le régime Biya s’emploie surtout à instrumentaliser les passions troubles. Le tribalisme constitue à cet égard l’exemple le plus paradigmatique de cette stratégie. C’est le trait d’union le plus éloquent entre la diversion et l’attrition. Comme je l’ai à maintes occasions souligné, l’érection  constante et savamment calculée du tribalisme sur la scène politique a pour objectif de masquer la malgouvernance chronique et la corruption endémique du système Biya. Il s’agit d’un qui cherche des alibis 

Elle entend également instiguer des microbatailles résolument conflictogènes dont le but escompté est l’affaiblissement sans coup férir les forces progressistes. Beaucoup de partisans de l’opposition effective se retrouvent ainsi à jaspiner de manière interminable sur une question sans fin dans un pays à jamais multiethnique. 

Beaucoup tardent toujours à réaliser qu’aussi importante que soit la problématique du tribalisme, l’agitation du spectre des ethnicismes meurtriers, la saturation de l’espace public par le champ lexical qui lui est rattaché depuis au moins 2018, ne constituent rien d’autre qu’une diversion sociale et politique de masse. Autrement dit, la conversation nationale actuelle autour d’un tribalisme participe d’une stratégie d’attrition qui sert exclusivement les intérêts du pouvoir de Yaoundé. En dehors de l’argument de la force, il ne lui reste plus que la diversion, l’attrition, le bavardage gluant, le buzz tribal, un vaudeville hebdomadaire pour se maintenir et essayer de survivre à la disparition de sa figure tutélaire actuelle. 

Je soulignerai pour terminer que le recours à la diversion et à l’attrition comme stratégies, c’est aussi en filigrane le pari que font certains hiérarques du régime d’arriver à bout de toute opposition actuelle par l’usure du temps. 

Last but not least, nous sommes à la veille d’un des événements politiques les plus importants de l’histoire récente du Cameroun. Penser ce temps inédit qui vient et plus largement « une communauté d’hommes définis comme pairs, unis par un lien social qui s’établit au-delà de l’utilité économique de chacun dans une prodigalité sans cesse recommencée » (Eboussi Boulaga, Crise du Muntu) constituent le défi historique le plus important pour les véritables patriotes de ce pays. Au cœur de la nuit incertaine que traverse le pays (ambiance de fin de règne), cela implique une attention de chaque instant. « Si nous n’avons pu honorer notre devoir de mémoire, nous sommes dans l’obligation d’assurer notre devoir d’avenir » (Charly Gabriel Mbock).


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