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[Tribune] Julien Engola : « Les acteurs de l’art lyrique au Cameroun cultivent un esprit d’individualisme et de sectarisme »

Institut musique choeur des xx Julien Engola art lyrique Cameroun

Dans une tribune  parvenue à notre rédaction, Julien Engola, Pédagogue et enseignant de musique générale autodidacte mène une réflexion et un plaidoyer sur l’art lyrique au Cameroun. Le Pianiste d’accompagnement pense que le Cameroun n’a plus besoin de ces cours périodiques de musique, qui ne sont pas les socles de formation à la base. Le Compositeur d’art dramatique autodidacte déplore l’absence de cohésion dans le domaine de l’art lyrique au pays, où chacun pense qu’il dénigrer un acteur pour exister plongeant le secteur dans un esprit d’individualisme et de sectarisme. Bien plus, il déplore le syndrome du colonisé qui habite encore certains acteurs du lyrique au détriment de la reconnaissance des valeurs et des compétences locales sans toutefois l’apport extérieure. Il invite les acteurs à créer un bloc que l’art lyrique camerounais atteigne sa splendeur.

Institut musique choeur des xx Julien Engola art lyrique Cameroun
Des étudiants d’un Institut d’art lyrique au Cameroun – DR

Lebledparle.com vous propose l’intégralité du texte.

 

Julien ENGOLA rompt le silence et cible les auteurs de la régression de l’art lyrique au Cameroun

De quoi sont-ils spécialistes ?

Oui, je dois nous poser ces questions :

  • De quoi sont-ils spécialistes s’ils donnent une épreuve de soprano à une contralto dans la finale d’un concours ?
  • Qu’ont-ils donc réellement à nous apprendre s’ils comptent sur nos élèves et sur les autodidactes aguerris pour faire la promotion de leurs concepts et leurs académies ?
  • Que font-ils de mieux si ce n’est organiser des master classes avec pour participants les autodidactes aguerris et les élèves de nos écoles dites en « haillon » ?
  • Pourquoi présenter nos élèves comme les leurs lorsqu’ils doivent parler de leurs académies ?

C’est contreproductif de vouloir à tout prix dévaloriser tout un peuple à des fins mégalomaniaques ; une mythomanie qui voudrait que miraculeusement, en quelques heures, un être humain ignare soit dégrossi, initié, formé et érigé en chanteur de haut niveau. C’est injurieux de penser que seul le « grand maître Occident » a la capacité et la crédibilité d’attester les atouts d’un belcantiste africain.

Pourtant, ils ne sont pas là lorsque nous donnons les bases à nos chanteurs, soit dans nos écoles dites en « haillon », soit dans nos chorales « minables » ; ils ne sont pas là lorsque je donne les techniques vocales et de chant à mes élèves ; ils ne sont pas là au moment où je donne à mes élèves les méthodes pour une interprétation indubitable ; mais ils sont là quand il faut les coopter pour les présenter au grand public comme leurs produits à vendre au marché de cancan, et surtout lorsqu’il faut les baratiner en invectivant ceux-là même qui leur ont donné des voix et des notoriétés.

Je ne dirai jamais que mon enseignement est meilleur, ou qu’il est parfait. Je pourrais simplement dire qu’il est sûr et sur la bonne voie pour offrir un meilleur lendemain aux belcantistes et cantatrices de mon pays. Il est ce qu’il faut pour garantir une autonomie de la pédagogie musicale et nous sortir d’une aliénation scabreuse, une aliénation qui voudrait qu’un Camerounais ne soit pas capable de former un chanteur d’opéra qualifié s’il n’est pas passé par les conservatoires d’outremer. Comme si les judokas ou les karatékas attendraient que leurs ceintures viennent de l’autre côté !

Oui, je suis autodidacte en matière de pédagogie musicale, et autant le vénéré Wolfgang Amadeus Mozart n’était pas diplômé de musique, autant je ne le suis point. Cela a-t-il donc empêché qu’il soit jusqu’à nos jours le légendaire grand esprit de la musique classique ? Si Jean Sébastien Bach est le seigneur du contrepoint et de la fugue d’orgue et qu’il n’a été formé que par son père et son frère, alors eux-mêmes autodidactes, il va sans dire qu’un Camerounais peut aussi être formé par un Camerounais autodidacte ou non.

Sans toutefois prétendre être à la hauteur de ces virtuoses du classique, je puis, sans orgueil, affirmer que j’ai au moins la capacité de reformuler chaque méthode d’enseignement musical pour l’adapter à notre environnement ; et mes œuvres, on peut le dire, sont appréciées à leur juste valeur.

Je ne saurais dire que mes élèves sont les meilleurs, mais je puis dire avec zèle qu’ils sont sûrs d’eux, chacun autant qu’ils sont. Ils savent où ils vont et comment aborder leurs sujets d’interprétation ; ils savent quel niveau ils ont et qui ils sont, sans jamais s’en vanter, ni se charger outre mesure. Je suis sûr et fier d’eux, car ils travaillent dur et parfois au péril de leurs encadrements familiaux. Incompris, intrigués et vilipendés par leurs camarades de chorale, ils ne baissent jamais les bras. Ils ne se laissent pas influencer par les bonimenteurs qui rodent avec des promesses de formation professionnelle ou des voyages à travers le monde. Le public qui les écoute ne s’ennuie jamais, car ils savent quel répertoire lui offrir.

Leur formation a une durée de 07 (sept) ans et ils comptent les terminer malgré tout ce qu’ils rencontrent comme difficultés. Ils savent aussi que leur premier objectif c’est de satisfaire le public de leur pays, afin de l’inviter au bal du développement par le chant lyrique et l’opéra.

Alors, cessez de les convoiter pour vos académies créées apparemment pour dénigrer et avilir nos écoles. Mes élèves n’ont rien à apprendre de vos académies. Ils obtiennent toutes les informations qu’ils veulent à l’Institut de musique Chœur des XX (20) qu’ils ont choisi de leur plein gré, sans avoir été baratinés comme des orphelins qu’on veut utiliser à des fins mercantiles.

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Ndi Samba, en créant son université, n’est pas allé vilipender Wouantou Siantou afin de récupérer ses étudiants, mais les deux universités, fonctionnant simultanément, ont toujours été pleines et chacune délivrant ses diplômes chaque année sans se faire concurrence ; Engola de l’Association musicale Chœur des XX (20) n’est pas allé chez Pende pour dévaloriser l’Association Arbre à musique et récupérer ses élèves. Ndoye de l’Académie Simon Pierre Ndoye ne l’a pas fait vis-à-vis d’Abanda d’Olialima, Bilongo de l’Académie Bilongo ne l’a pas fait à Aboudi de l’Association Métronome. Des écoles au Cameroun, sont construites les unes à côté des autres avec un comble d’effectifs, et les fondateurs ne se font pas la guerre.

Alors chers fondateurs et directeurs des grandes académies de musique, apprenez à former vos élèves à la base comme le font normalement les écoles d’art, faites des prospections auprès de n’importe qui, si votre discours est fiable comme les nôtres, vous pourriez avoir autant de candidats que possible. Cessez de cibler nos élèves aguerris pour vanter vos concepts.

L’Association musicale JASMIC est en train de construire une école de musique digne de ce nom, un projet, on peut le dire, sosie à celui de l’Association musicale Chœur des XX (20), mais avec des moyens de le bâtir. A son ouverture, j’ai, de la part du fondateur, jeune comme nous, entendu un discours patriotique et non une condescendance eschatologique… « Sans publicité ». C’est une école qui vise, comme la mienne, à fonder des infrastructures qui recrutent des musiciens afin de susciter des carrières et des salaires. Son fondateur n’est pas allé vilipender qui que ce soit pour conquérir ses élèves.

Cessez d’organiser des master classes aux issues aliénantes. Cessez d’amadouer nos artistes avec la présence de leucodermes dans vos organisations. Ils n’ont pas la science infuse.

Le but d’une master class est de donner des méthodes pour une application rigoureuse des techniques de chant et de la voix acquises lors des cours ordinaires, c’est une session qui s’organise lors de la préparation, soit d’un spectacle (concert, récital, opéra, etc.), soit d’un concours, soit d’un festival. Celle qui est organisée après un concours, ou un concert pourrait donc être de quelle utilité ? Celles qui sont organisées toutes les vacances (2 semaines) ont obtenu quel résultat jusqu’aujourd’hui ? A croire que les master classes de deux semaines par an auraient pu faire des ingénieurs en informatique au Cameroun !

Cessez de nous rabaisser à ce point ! Le Cameroun n’a plus besoin de ces cours périodiques de musique. C’est une totale régression vis-à-vis des efforts fournis depuis les années 1990, période de l’introduction du chant classique proprement dit dans le concert camerounais. Les élèves de Maître René Esso du Chœur Madrigal ainsi que Maître Ele Ntonga ont dû sacrifier beaucoup dans leur vie pour cela ; les années 2000 ont marqué l’ébullition de ce genre musical et le niveau a été justifié aux années 2010 ; donc aux années 2020, le Cameroun est en mesure de vanter le mérite des encadreurs et des acteurs du chant lyrique sans le secours de vos dieux inéluctables.

Mon interrogation de départ a pour fondement le concours Vita Pavarotti organisé par l’Académie Sainte Cécile depuis le mois d’octobre 2021 et qui a eu sa finale le dimanche 19 décembre. C’est là une goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

En effet, Victoria Lingock est une élève cantatrice Contralto à l’Institut de musique Chœur de XX (20), Catégorie Supérieure Degré I, donc 5ème année de chant lyrique option opéra. Elle a présenté sa candidature au concours de chant lyrique de l’Académie Sainte Cécile, et a été qualifiée pour la finale. Enregistrée comme Contralto, son registre le plus incontestable, deux épreuves de soprano lui sont attribuées sans aucune explication : « Una Voce Poco Fa » de l’opéra le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini et « Non Piu Mesta Accanto Al Fuoco » de l’opéra La Cenerentola du même auteur. Ces rôles que même les plus grands opéras au monde attribuent difficilement aux sopranos 2 si elles doivent les interpréter dans la tonalité d’origine. Pourtant les maîtres de l’art ont jugé bon de donner ces extraits sans transposition à une contralto.

Victoria a dû se plier en quatre malgré elle pour atteindre régulièrement et spontanément les notes Si bémol et Si 4 du piano à cinq octaves.

Elle a interprété ces deux extraits, je puis vous l’assurer, avec beaucoup de peine, mais camouflées dans une technique que nous leur donnons dans notre Institut. Elle en a souffert et a été mise en observation jusqu’au 23 décembre, afin de reposer ses cordes vocales.

Si elle a été déterminée à le faire, ce n’est certainement pas pour gagner la modique somme de 100 000 FCFA mise à la cagnotte, mais parce qu’elle a tenu à honorer son école, sa maman qui la soutient et aussi pour sa carrière dans laquelle elle ne lésine sur aucun moyen pour parvenir à un résultat élitaire.

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Elle est quatrième du concours sur six candidats, elle aurait pu être deuxième et qui sait… si elle avait eu un répertoire correspondant à son registre vocal. Ça n’a vraiment pas été juste de la part du jury sur le choix des chants, cependant, la justice du travail et de la volonté s’est montrée au-dessus de la fantaisie marginale.

André Cattin le fondateur et chef de chœur de l’Ensemble vocal Cattin n’a pas hésité à se montrer dubitatif par rapport au choix de ces extraits d’opéra alloués à Victoria. Il a dû interpeller Victoria courant déjà à son taxi course qui l’attendait avec sa maman, pour l’encourager et lui avouer qu’elle est la seule voix de toute la soirée fiable pour un opéra…

Il faut rappeler que le Suisse André Cattin est un ténor, chef de chœur et professeur de chant diplômé de conservatoire. Donc il ne s’agit pas d’un autodidacte qui ferait l’objet de débat d’illettrisme.

Nous pouvons être fiers de nous-mêmes et plus encore fiers de la cantatrice Victoria Lingock.

La musique classique et l’insertion des TIC ont approximativement le même âge au Cameroun ; nous avons aujourd’hui des ingénieurs et professeurs d’informatique, pourtant rien qui encourage un parent à orienter son enfant en musique. Un artiste ne peut pas vivre que de « farotage » ou des quelques motivations au rabais des soirées de gala et des veillées funèbres.

Les acteurs de l’art lyrique au Cameroun cultivent un esprit d’individualisme et de sectarisme au point où ils finissent par confondre la pédagogie à la vedette, la formation au recrutement, un amalgame dissuasif pour un embrouillamini chaotique. Nul n’adhère au concept de l’autre, mais chacun s’indigne lorsque son projet est trouvé impertinent aux yeux de l’autre. L’hermétisme de l’information est caractérisé au haut débit, et je peux parier que si les fondateurs de l’Académie Sainte Cécile avaient été au courant de l’issue surprenante du concours, le concept n’aurait pas été ouvert au grand public, mais à quelques amitiés, ou sinon avec des conditions comme savent le faire les Camerounais lorsqu’ils possèdent le train qui mène vers la terre promise.

Heureusement c’était une surprise pour tout le monde quand le jury en ligne, depuis la France, annonce que le premier de la course est admis directement à la finale du Concours international « Rolando Nicolosi » à Rome !

A l’issue de cette nouvelle, je ne peux que féliciter Mireille Assena (première du concours) qui a mérité sans conteste ce phare. Autant Jacques Greg Belobo est notre porte étendard des chanteurs lyriques et Simon Pierre Ndoye celui du piano concerto, autant Mireille Assena est la vitrine des sopranos. J’ose espérer qu’à son retour, puisqu’elle aura déjà fait un tour de « l’autre côté de la mer », elle fera partie des membres du jury dans les concours de chant lyrique dits internationaux au Cameroun.

Mireille Assena est un exemple d’autodidacte qu’on a pu, étant au Cameroun, sélectionner pour la finale d’un concours en Italie. C’est en effet qu’elle est une des personnes qui ont commencé dans une chorale classique dont les maîtres sont autodidactes, et se sont mises à part pour accroitre leurs talents dans le belcanto. Mireille n’a eu de véritables encadreurs que ses maîtres de chant, sa sœur jumelle et elle-même ; le reste ne lui a servi qu’à affirmer ce qu’elle savait déjà faire, juste une mise en confiance. Elle a dû faire le Concours Aguimucla plusieurs fois par défi avec elle-même, et on peut être sûr qu’elle s’est présentée au Concours Vita Pavarotti non pas pour la modique somme de 100 000 FCFA, mais certainement parce qu’elle aime se défier. Comme cela se dit chez-nous : « Nul ne sait le caillou qui va tuer l’oiseau », voilà comment les multiples tentatives de Mireille la conduisent finalement à une belle aventure des plus inattendues.  

Avec cet exemple imminent, croyons-nous encore que les Camerounais ne peuvent pas s’auto-former dans le chant lyrique, présenter des concerts crédibles et pourquoi pas fonder des opéras dignes ? Pourquoi devons-nous toujours attendre que l’accréditation nous vienne de l’Occident pour nous considérer comme élites de la matière ? Nous avons le potentiel, il ne nous manque que des infrastructures et le matériel. C’est ce que nous devons solliciter si nous ne voulons pas demeurer dans l’aliénation et sombrer dans une régression séculaire.

J’invite les acteurs du lyrique du Cameroun à se réunir en un seul bloc, afin que cette méprise à l’encontre de leur autodidaxie ou de leurs centres de formation s’arrête définitivement. Ce qui ne voudrait en aucun cas dire qu’il faut exclure l’apport étranger ou la bourse au conservatoire. Il faut juste faire la part des choses et nous donner nous-mêmes de la valeur comme cela se fait avec les arts martiaux et l’athlétisme. Ce n’est point ici une question de race, mais simplement une question de valeur et même d’honneur.   

            Julien ENGOLA (Fondateur de l’Association musicale Chœur des XX (20))


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