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Eric Essono Tsimi : « la meilleure option, face au désespoir est d’accepter le successeur potentiel »

A Paris, dans le cadre du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, Rodrigue Tongue, journaliste à Canal 2 international s’est filmé avec Franck Biya, fils ainé du président de la République. Franck Biya s’est également filmé avec d’autres compatriotes esquissant du joli sourire. Ces images font le tour de la toile. Dans un texte publié sur la toile, l’universitaire Eric Essono Tsimi fait une analyse sémioticopolitique de l’image. Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

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Rodrigue Tongue et Franck Biya - DR

Un Sourire de Duchenne

Le sourire de ces deux personnalités est évidemment sincère: l’exposition des dents, l’extension des lèvres, dont les commissures sont relevées, le coin des yeux: tirés de la psychologie des émotions et de la communication non-verbale, ce ne sont pas des indices infaillibles, mais bien les caractéristiques du sourire de Duchenne (sincère).

Auparavant discret, secret, et même surprotégé, Franck Biya accepte donc désormais les poignées de main avec le « citoyen lambda » et plus étonnamment avec un journaliste, une tribu qu’on a tenu loin de tout au Cameroun. Il serait donc devenu facile voire commun de le croiser dans la rue ou de prendre une photo avec lui.

Cette photo est une très mauvaise nouvelle pour le Cameroun, parce qu’elle confirme au moins deux choses, d’abord un épuisement des ressources de la contestation. La mort récente de John Fru Ndi est presque un symbole. Les mouvements de contestation dépendent des ressources disponibles (argent, temps, énergie, etc.). Selon cette théorie de l’épuisement des ressources, après des années de résistance, les ressources peuvent s’être raréfiées, réduisant ainsi la capacité à s’opposer et laissant la place à la résignation. L’impuissance fatigue, de ne pouvoir rien faire pendant trop longtemps abime. Il ne s’agit pas d’un renoncement individuel de Rodrigue Tongue, journaliste à juste titre respecté, d’ailleurs il n’a pas à aimer ou ne pas aimer tel ou tel pour continuer de bien faire son travail.

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Toutefois derrière (devant ou au-delà si vous voulez) cette photo plane le désespoir collectif. Cette photo parle de gens qui ne sont pas sur cette photo, des classes de Camerounais, du pouvoir, de la jeunesse, et illustre pour ceux qui n’y appairassent pas une forme de détresse partagée. Comme une réponse à un passé traumatisant, un présent stressant et un avenir incertain. Les Camerounais ressentent du désespoir en raison de la durée prolongée du règne du président Biya et de leur incapacité à influencer le moindre changement. Ce qu’ils ressentent ne se traduit pas par la tristesse, mais par l’acharnement à trop-vivre, le choix de sourire, voire celui de « voir ses enfants grandir ».

Et puis, la meilleure option, face à ce désespoir qu’on peut aussi appeler pragmatisme, devient d’accepter le successeur potentiel. Le fait de se ranger du côté du pouvoir en place est un moyen de maximiser les avantages personnels et de minimiser les risques. De plus, si certains individus estiment que la transmission dynastique du pouvoir est probable, ils peuvent choisir d’appuyer le successeur désigné par fatigue. La fatigue (mentale) éteint la motivation à s’opposer au successeur ordonné de Biya, surtout s’ils perçoivent que l’opposition ne renouvelle ni ses armes ni son offre. N’ayant pas la volonté ou les moyens d’incarner eux-mêmes cette succession, ils se laissent aller, attendant simplement qu’on leur dise qui, quand et où se trouve la nouvelle personne à adorer pour aller se prosterner. Ce qu’on voit enfin à travers cette photo, c’est le phénomène de « normalisation de la déviance », où des scénarios autrefois considérés comme inacceptables deviennent tolérés ou acceptés à cause de la répétition constante de leur plausibilité, par effet de matraquage, en raison de la production scientifique du désespoir.

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