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Burkina : Comment une nation se réconcilie avec elle même

fespaco 2021

Immersion. Le Fespaco s’est achevé il y a deux jours, avec l’étalon d’or de Yenenga remporté par  » La femme du fossoyeur », un film du somalien Yahmed Khadar. Le pays qui a accueilli ce festival traverse une période compliquée de son histoire.

fespaco 2021
Fespaco 2021 – DR

Ouaga 2000: une de ces  » nouvelles villes » construites pour désengorger les vieilles capitales africaines bâties par le colonisateur et dépassées par les avancées démographiques et leurs besoins… Les avenues sont larges et entrecoupées en damier par des rues de 6 mètres ( ici on dit simplement  » 6 mètres ») et il y a peu de bâtiments en hauteur. Au petit matin, dans la rue, l’automobiliste ralentit pour saluer d’un geste amical, le passant. Les deux roues ont leur bonheur ici: on leur a aménagé des voies prioritaires et, motos mais surtout petits scooters made in China sont rois. Des femmes passent sur leur vélo, avec leur bébé sur le dos, une charge dans un panier à l’avant du guidon, affairées dès le lever du jour qui s’annonce avec le soleil dont les rayons ardents annoncent déjà une journée chaude, comme d’habitude.   » Vous êtes invités »: c’est ainsi qu’ici, on vous convie à partager son repas. Même le modeste gardien de  villa n’entend pas vous laisser passer ainsi, sans avoir à partager sa pitance avec vous .La circulation est déjà dense mais il n’y a pas de klaxon.  » Si tu klaxonnes quelq’un ici, tu auras affaire à lui » explique en souriant, Vivianne, une jeune journaliste. Les gens sont polis. Très polis, trop polis…

C’est lorsqu’on écoute le rappeur vedette Smartie, que l’on percute sur ce qui pourrait se cacher derrière ces sourires convenus. Salif Kiekieta de son vrai nom, la quarantaine, appartient à cette partie de la population qui n’a pas vraiment vécu les années de revolution Sankariste, ( 1983-87), mais qui ont grandi nourris des discours du leader assassiné, et qui aujourd’hui regardent avec circonspection l’évolution de leur pays. Dans  » Le chapeau du chef » l’un de ses titres, il chante :

 » Le chapeau du chef flotte dans l’air. Les têtes se cognent pour savoir qui va le porter.

Que la paix aille mourir à la guerre

Pourvu qu’il y ait une tête qui soit couronnée roi.

Petit à petit chaque notable découvrait sa différence ethnique

A chaque enfant on contait l’ingratitude de la race du Nord ou de celle de la race venant du Sud.

Les machettes étaient aiguisées chaque matin.

Ça viendra, le jour où je vais découper le voisin »

Des propos qui révèlent de manière à peine couverte, les luttes de pouvoir et même les lézardes qui existent dans la belle toile de la patrie des Hommes Intègres.

Jusqu’alors, le roman national du Burkina Faso se déclinait en trois grandes périodes : la première, celle des indépendances et de la dictature de Maurice Yameogo, remplacé par le général Sangoule Lamizana et sa  » dictature débonnaire ». La deuxième, la plus radicale, qui consacre le changement de nom du pays : le Burkina Faso naît de la Haute-Volta ;  la révolution sankariste,  » rectifiée » par son camarade d’armes Blaise Compaoré qui prend et exerce le pouvoir pendant 28ans, et qui le perd lors d’un renversement populaire au moment où il tentait de s’octroyer un troisième mandat par le truchement d’une Assemblée Nationale à sa solde. Et la troisième, depuis 2015, l’avènement d’une démocratie issue d’élections libres, en tous cas dont le résultat a été accepté par tous…

Tout irait bien dans le meilleur des mondes, s’il ne s’invitait pas à ce tableau d’iddyle,  des attaques terroristes, débordements de l’essor du djihadisme armé dans la bande soudano sahélienne. C’est dans ce contexte que survient le drame de Yirgou, le jour de l’an, en 2019. Une attaque attribuée à les assaillants peuls, et une réplique des  » chasseurs traditionnels  » (kogwolego) Mossi, et voilà le Burkina au rang des pays africains avec leur part de guerre ethnique. La société burkinabè toute entière s’est mobilisée à l’époque, pour tenter d’expurger le ver du fruit.  » Mais il y aura dans notre histoire, un avant et un après Yirgou,  souligne Viviane Tiendrebeogo, cheffe de la deuxième chaîne de la Radio télévision nationale du Burkina. En effet, dans toute l’histoire mouvementée de ce pays contrairement aux clivages les plus courants en Afrique, on n’avait jamais parlé de conflits ethniques et la cohabitation de la soixantaine d’ethnies que compte le pays, se faisait jusqu’alors en sympathiques plaisanteries et cousinnages…

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Réconciliation

Le temps de Blaise Compaoré s’est achevé comme il a commencé : dans le sang. Son long règne aussi a été marqué d’épisodes dans la même trame : l’assassinat de Norbert Zongo en 1998…  » le crime de sang de trop, dans l’histoire de notre pays » s’exclame Zephirin Diabré le ministre de la réconciliation Nationale, en expliquant l’origine et le bien-fondé de la mission qu’il accomplit depuis ses bureaux isolés, dans un no man’s land,  situé à proximité de la présidence du Faso.  » Il fallait trouver des solutions pour se pardonner les crimes de sang. Une commission fut mise sur pied, présidée par mgr Anselme Sanon, alors évêque de Bobo Dioulasso. Il s’agissait déjà d’une réconciliation entre l’ État et les populations. Une journée du pardon eut lieu le 1er mars 2001. Puis il y a eu de nouveaux crimes on organisa une autre journée du pardon le 14 mars 2014…On a compris que l’on n’avait pas utilisé la bonne approche. On avait indemnisé et rétabli des gens dans leurs droits, mais on  n’avait pas dit la vérité. On a alors créé un Haut Conseil de la Réconciliation et de l’unité Nationale en Février 2016. Le président Roch Marc Christian Kaboré a demandé une réouverture de tous les dossiers, avec une approche holistique » . Le professeur d’Economie et de Gestion, ancien leader de l’opposition, décline alors de manière didactique sa mission :  » C’est dans 6 grandes catégories que nous avons décidé d’explorer cette question. 1) la catégorie socio politique : tous les épisodes traversés par la nation et leurs conséquences.2) la catégorie socio communautaire : les frictions entre les communautés, leurs affrontements sur le foncier et autres ressources, les questions de chefferies traditionnelles  3) La catégorie socio sécuritaire : des gens ont tué, attaqué leur propre pays. 4) la catégorie économique et financière : où les gens ont détourné des biens publics 5) la catégorie socio- administrative. Où l’État a lésé des gens, par exemple, ces types qui sous Sankara ont perdu leur emploi pour  » incapacité notoire à suivre le rythme de la révolution »…6) la catégorie socio civique : qui concerne la facherie des populations contre l’État… Ma mission est de proposer une démarche pour aboutir à un forum d’où il sortira  des solutions concrètes à appliquer ». Un vaste programme. Qui, partout, ne récolte pas la même vision comme chez ces jeunes rencontrés dans un atelier de ferronnerie, qui écoutent, entre le bruit de leurs scies à métaux, non pas le dernier tube de Floby, mais plutôt, un discours de Thomas Sankara, vieux de trente cinq ans. Pour eux,  la politique au Burkina aujourd’hui se résume à un jeu de chaises musicales entre  » les enfants de la révolution », qui sont entrés en politique avec la révolution sankariste, et qui ont cheminé avec  » Blaise », comme tout le monde appele ici, l’ancien chef de l’État. Une certaine jeunesse, comme quoi, regarde avec distance le jeu politique, que certains assimilent même à une question de moyens : « C’est celui qui a le plus d’argent à dépenser qui gagne », affirme l’un des jeunes ferronniers. Des propos que nuance » Zéphyrin Diabré :  » la jeunesse urbaine n’est pas la jeunesse rurale. Il y a plein de jeunes dans le jeu politique aujourd’hui. Il n’y a plus à l’ Assemblée Nationale, plus de 10 personnes, ayant connu la Révolution. Le personnel politique se renouvelle ». Les jeunes contempteurs de la classe politique actuelle enfoncent le clou :  » ce sont les mêmes qui interdisaient les manifestations sankaristes hier, qui construisent le Mémorial aujourd’hui ». Un mémorial qui ne désemplit jamais. Et où il y a un projet futuriste qui a déjà annoncé la couleur, avec cette imposante statue réaliste de Thomas Sankara, le poing droit levé. On attend ce que dira le procès de son assassinat, et de ses compagnons d’infortune. Cette démarche procède de cette nécessaire catharsis collective…

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Bonne santé économique

Si l’on s’en tient aux dires des spécialistes des économies de la sous-région, le  » Pays des hommes intègres » se tire plutôt bien, malgré les soubresauts dû à la crise COVID-19. Contrairement aux pays alentour, les burkinabé mangent ce qu’ils produisent et produisent ce qu’ils mangent. C’est un atout majeur pour une économie et une balance commerciale. La croissance économique relativement élevée de ces dernières années du pays a hélas connu une forte régression en 2020 sous l’effet de la COVID-19. Seulement, cette dynamique économique n’a pas ruiselé jusqu’à la base: il y a eu peu de création d’emplois productifs. Par ailleurs, comme tient à le souligner un proche du dossier Burkina, cette croissance soutenue a été très inégalement distribuée. Très concrètement, le Burkina Faso a connu une croissance économique constante entre 2015 et 2019, après la légère décélération de son rythme de croissance en 2015 (3,9% après 4,3% en 2014), imputable principalement aux effets de l’insurrection populaire de 2014, l’épizootie de la grippe aviaire, le coup d’État manqué du 16 septembre 2015 et une campagne agricole difficile. Le taux de croissance du PIB réel a affiché un niveau soutenu en passant de 5,9% en 2016 à 6,3% en 2017 et à 6,8% en 2018 puis s’établirait à 6,0% en 2019, à la faveur du retour à une vie constitutionnelle normale, une pluviosité favorable et le retour de la confiance des investisseurs. L’économie a connu une croissance de 2,0 % en 2020, soit 4 points de pourcentage de moins que prévu avant le début de COVID-19. Le secteur primaire a progressé de 5,2 %, grâce aux bonnes performances des cultures de subsistance et du coton. Le secteur secondaire a progressé de 12,8 %, grâce à l’essor de l’industrie aurifère. Le secteur tertiaire, la plus grande composante de l’économie, s’est contracté de 4,9 % en raison des mesures de distanciation sociale prises dans le cadre de la lutte contre la COVID-19…Somme toute, une bonne  tenue, dans des circonstances où tout le monde a plongé.

Ce que veulent les jeunes

La vingt septième édition du Fespaco s’est achevée il y a deux jours. Le seul film burkinabè en sélection n’est pas monté au podium. Mais les Burkinabè en ont cure: ils sont allés en masse regarder  » Les trois larcars » une œuvre de Boubacar Diallo. L’histoire est simplette : trois maris décident de partir en weekend avec leurs  » Tchizas » ( maîtresses) , en mentant à leurs épouses légitimes. S’en suit un chapelet de péripéties toutes aussi désopilantes les unes que les autres. On voit dans ce film un Burkina qui fait la fête, qui rit, qui profite des joies de la vie. L’engouement des burkinabè pour cette production sans prétention politique ni idéologique d’aucune sorte est-elle une indication de ce que les gens veulent réellement ici ? C’est même une forme de tendance, comme l’explique un critique de cinéma : » c’en est fini du cinéma-calebasse des années antérieures. Nos publics veulent un cinéma qui leur ressemble, qui leur parle de leur vie de tous les jours… »

On l’a compris ici : lorsque vous investissez dans la culture, vous investissez deux fois. La première fois, dans les artistes et toute la chaîne des travailleurs de la culture, la deuxième, dans la paix sociale que tout cela procure ensuite. Lors de la clôture du Fespaco, Roch Marc Christian Kabore avait un hôte de marque, le président Macky Sall du Sénégal. Au cours de la conférence de presse finale, il a encore insisté sur la nécessité qu’ont les États, à investir dans la culture…Il a fallu qu’il s’implique personnellement, afin que se tienne cette édition de la biennale africaine du cinéma.

Haman Mana

A Ouagadougou


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