Les Décoloniales constituent un mouvement dédié à la décolonisation du monde. Nous avons observé la chute de statues glorifiant des individus ignobles de l’ère coloniale, des mouvements pour la restitution des objets acquis durant la période coloniale en Afrique, tout en regrettant que cette restitution ne s’accompagne pas également de la restitution des connaissances prélevées en Afrique, des connaissances qui ont permis à l’Amérique coloniale, moins développée que l’Afrique coloniale à l’origine, de devenir une puissance, tandis que l’Afrique est restée marginalisée. Nous connaissons la réponse, l’Afrique a été punie d’avoir osé demander l’indépendance. Les Décoloniales n’ont certes pas accompli une décolonisation totale, mais il est étonnant de constater que, malgré le spectacle des mouvements artistiques et intellectuels décoloniales financés par les institution internationales , avec des figures de proue de l’art et de l’intellect africain, l’aspect essentiel, à savoir la décolonisation du pouvoir politique en Afrique, a été oublié, là où il aurait fallu commencer pourtant.
Les grandes fondations et institutions occidentales qui ont soutenu les Décoloniales peuvent être hypocrites, c’est leur nature, mais qu’en est-il des artistes et des intellectuels ? Où sont-ils dans la lutte pour la décolonisation d’un pouvoir politique africain, qui est comme disait Fanon un grand théâtre où on singe le blanc? La leçon nous vient désormais des jeunes soldats du Burkina Faso et du Mali, dépourvus du bagage qui confère le statut d’artistes et d’intellectuels renommés. J’ai été profondément interpellé en entendant la question posée par le jeune président du Burkina Faso, nous demandant quelle grandeur vous reste-t-il si l’on vous retire la langue de l’autre? Meme en tant que cinéaste, possédant un langage visuel différent, j’ai dû admettre que je me suis senti désemparé. Oui en effet, sans le français, l’anglais ou l’espagnol, qu’est-ce qu’un intellectuel ou un homme politique africain ? Voici un exemple de projet concret de décolonisation nécessaire.
Bien que Mudimbe nous fait comprendre dans « L’Odeur du Père » que l’Afrique ne peut plus se défaire de l’Occident, parce que justement elle est déjà aussi occidentale, le seul projet valable pour ceux qui utilisent l’Afrique comme terrain de reconnaissance lorsque l’Occident les dépasse, en acceptant de s’acoquiner avec hommes politiques sans scrupules au pouvoir alors que les leurs sont des miséreux… car eux ont un endroit où retourner , l’Europe, l’Amérique… après avoir pris de belles photos, à ceux-là, je dis que le seul projet véritablement digne d’intérêt en Afrique est la décolonisation de ce pouvoir politique qui est l’alpha et l’omega de la transformation de l’Afrique. Si on a pensé à tout décoloniser et pas le pouvoir politique c’est bien parce qu’il a cette « Odeur » qui nous attire toujours.
Jean-Pierre Bekolo