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Cameroun : Canal 2 international, la chaîne privée sur qui personne n’aurait misé

Canal Presse sur Canal 2

Personne n’aurait parié, aux débuts de Canal 2, que la chaîne de télévision privée lancée par le câblo-distributeur Emmanuel Chatué deviendrait, quelques années après son lancement, la plus regardée dans les principales villes du Cameroun.


Canal Presse sur Canal 2
L’émission l’Arène sur Canal 2 – DR

Le document, distribué dans un réseau confidentiel en juin 2009, a provoqué un électrochoc dans le petit milieu des professionnels des médias et de la publicité du Cameroun. Intitulé « Etude d’audience au Cameroun, Douala – 11 au 17 décembre 2008 », il s’agissait d’une enquête réalisée par TNS Sofres pour le compte de Canal France International (CFI). Limitée à la capitale économique du Cameroun, elle portait sur une population de 15 ans et plus, estimée à 1 210 000 personnes. Un échantillon de 1 048 personnes avait été interviewé. Pour la première fois, une chaîne privée, Canal 2 International, devançait la chaîne à capitaux publics, le mastodonte CRTV, aussi bien en termes de notoriété qu’en termes d’audience, dans cette ville il est vrai réputée frondeuse et proche de l’opposition. Canal 2 enregistrait une « notoriété spontanée » de 91,74 % et une « notoriété globale » de 99,4 %, contre respectivement 76,3 % et 98 % pour CRTV. L’ampleur de l’écart concernant « l’audience dernière période » (des sept derniers jours) était encore plus spectaculaire : 93,1 % pour la chaîne privée, contre 72,2 % pour sa consœur.

Ce sondage a mis en lumière une double réalité. D’une part, la désaffection de bon nombre de Camerounais pour leur télévision publique, jugée ringarde, archaïque, trop fidèle au discours officiel et de moins en moins adaptée à la demande d’un public jeune, ouvert sur le monde et habitué à consommer les images venues d’ailleurs. Et d’autre part, l’émergence d’une offre télévisuelle émanant d’opérateurs privés, incarnée en l’occurrence de manière impressionnante par Canal 2, mais aussi par Equinoxe TV ou STV. En 2011, une nouvelle enquête TNS Sofres, concernant cette fois Douala et Yaoundé, confirmait la première place de Canal 2 dans les deux capitales. Ces données de l’institut français allaient être corroborées par d’autres études. Ainsi, par exemple, l’enquête commandée par l’opérateur MTN Cameroun en 2011, qui a confirmé que Canal 2 était la première chaîne en audience à Douala (31,9 %), devant CRTV (22,7 %), mais aussi à Yaoundé (33,3 % contre 31,9 %). La chaîne publique restant toutefois leader sur l’ensemble du territoire national.

Des débuts modestes

L’histoire de Canal 2 est une suite de surprises. La chaîne est née d’un opérateur de télédistribution que personne n’attendait sur le terrain de la télévision. Lorsque les premières images du câblo-opérateur TV +, propriété d’Emmanuel Chatué, l’actuel PDG de Canal 2, sont diffusées sur l’une des fréquences de son signal satellite en 2001, personne ne se doute qu’il en sortira un jour une chaîne à part entière. « Nous avons commencé par diffuser des clips vidéo en boucle, et nous avons nous-mêmes été surpris de l’engouement que ces quelques heures de diffusion ont provoqué », raconte Eric Fotso, le directeur général de la chaîne.

« Les artistes venaient avec des clips plus ou moins bien faits et nous les mettions à l’antenne. A l’époque, la loi n’autorisait pas l’existence de chaînes privées, mais nous ne prenions pas un grand risque avec de la musique. Par la suite, sur demande des musiciens et des producteurs, nous avons créé une émission dans laquelle les artistes venaient présenter leurs albums. Puis se sont ajoutés des humoristes, qui venaient agrémenter l’antenne de quelques sketches. » Deux ans plus tard, les autorités interdisent toutes les chaînes pirates, y compris TV +. Mais en 2005, le ministère de la Communication annonce la libéralisation du secteur et autorise des chaînes de radio et de télé sous un régime qualifié à l’époque de « tolérance administrative », sous réserve que les opérateurs s’acquittent d’une redevance de 300 millions de francs CFA. C’est à la faveur de cette ouverture que Canal 2 est officiellement créée sous ce nom.

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Un choix éditorial assumé

Mais personne n’aurait imaginé la voir s’imposer comme la première chaîne privée et encore moins bousculer l’officielle CRTV. Il est vrai que son offre télévisuelle est au début très sommaire. Quelques fictions avec des telenovelas brésiliennes, des talk-shows, des informations « tout en image », sans plateau ni présentateur, des robinets à clips pour remplir les cases vides. Bref, une grille erratique et un peu brouillonne, mais qui, à la surprise générale, va permettre à la chaîne de s’imposer par des coups d’audace inattendus, un ton proche de la population et surtout le choix de diffuser des images chocs. Ainsi en est-il du journal, considéré comme un modèle de proximité. « Nous avons pris le parti d’être une chaîne proche des gens, avec un langage dépouillé. On nous a accusés de mettre le sang à l’écran, de diffuser des images d’accidentés de la route, de voleurs victimes de la justice populaire. C’était un choix éditorial assumé », soutient Eric Fotso.

Canal 2 remporte les suffrages des habitants des quartiers populaires, mais aussi de la fameuse « ménagère de moins de 50 ans ». Les femmes sont en effet les premières séduites, en particulier par la tranche horaire dédiée aux séries télévisées. C’est aussi le cas des jeunes, qui plébiscitent les programmes musicaux souvent assortis de jeux sponsorisés par une marque de bière, de boisson gazeuse ou de téléphone. C’est le cas du programme à succès Mützig Star, qui se décline avec de grosses pointures de la musique locale, tel Petit Pays, la star du makossa. En revanche, dans les beaux quartiers, les plus exigeants se pincent le nez, estimant que Canal 2 utilise des recettes simplistes et à la limite de la déontologie.

Une grille stratégique

Pourtant, progressivement, la grille de la chaîne va s’étoffer et sera réaménagée en tenant compte des attentes des différents segments de l’audience. Il est évident que les résultats de la fameuse enquête de CFI ont profondément influencé les programmateurs de la chaîne, qui ont pris conscience de son impact sur le public. « Après ce sondage, nous avons compris qu’il fallait tout faire pour maintenir notre position et la renforcer », reconnaît Eric Fotso. Ayant une meilleure visibilité sur le comportement et les attentes des téléspectateurs, Canal 2 enrichit sa grille. Pour mieux satisfaire la cible élitiste, Canal Presse est créé. Il s’agit d’un talk-show dans lequel des journalistes commentent l’actualité. Dans la foulée naît L’Arène, où un invité prestigieux fait face à deux journalistes qui l’interrogent sans ménagement. La tranche matinale, avec Canal Matin, émission présentée par Jason Black, l’une des figures de la chaîne, devient un incontournable. La case du week-end s’adresse aux jeunes, avec un rendez-vous culte : Jambo TV, un divertissement animé par le producteur et humoriste Tchop Tchop, alias le « président de la République de Jambo ».

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La chaîne élabore désormais ses programmes en mettant clairement en avant une stratégie attractive pour les annonceurs. L’après-midi, par exemple, on pourra voir des jeux ou des divertissements ciblant les femmes, comme ce concours de cuisine sponsorisé par Maggi. La tranche de la soirée, à 20 h 30, la plus prisée par les femmes et les annonceurs, est dédiée à un feuilleton brésilien. Et comme pour se réconcilier avec les élites, Canal 2 se décide à lancer en 2013 deux grands rendez-vous d’information avec présentateurs, en français et en anglais, réalisés en duplex de Yaoundé et Douala. Le sport est bien sûr également à l’honneur. Le directeur général annonce que pour la Coupe du monde un dispositif spécial sera mis en place, qui permettra la diffusion d’un programme quotidien en direct sur l’actualité des Lions indomptables. Quant aux droits de retransmission des matchs, ils sont en cours de négociation. Aujourd’hui, la chaîne affiche une audience quotidienne de 1,7 million de téléspectateurs et revendique plus de 1 milliard de francs CFA de chiffre d’affaires. « Mais, soutient Eric Fotso, nos revenus ne couvrent pas encore nos charges. Nous employons à ce jour plus de 130 personnes. Avec l’arrivée du numérique, nous avons investi dans le matériel le plus moderne. Et nous venons d’aménager un studio à Paris, qui s’ajoute à ceux de Douala et Yaoundé pour nos duplex. » A Venise, le 16 novembre 2013, à l’occasion des Eutelsat TV Awards, Canal 2 s’est vu décerner un prix spécial pour son rôle dans le passage au numérique de l’Afrique, mais aussi en tant que représentant d’un nouveau visage de l’audiovisuel africain, en phase avec son public, au Cameroun comme sur tout le continent. Une récompense bien méritée.


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