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Tribune : « Gouverner par la peur est devenu une pratique ordinaire pour la contestation »

Ngoula Lea J

Dans une tribune parvenue à notre rédaction, Joseph Léa Ngoula, analyste politique parle de l’éloge la peur. Selon le géo stratège, la peur a été inventée par les plus faibles (dictateurs) pour effrayer les plus forts (peuple), ceci dans l’optique de conserver le pouvoir. « Gouverner par la peur est devenu une pratique ordinaire, qui s’est imposée dès que les tactiques plus insidieuses de répression ne sont plus parvenues à enrayer la contestation. Elle ne se donne aucune limite, n’appréhende aucunes représailles, même pas celles de la communauté internationale, elle-même saisie par la peur de l’instabilité provoquée par un changement de régime. Investisseurs, bailleurs et coopérants, déroutés par une vision courtermiste, préfèrent l’illusion de stabilité à l’inconnu du changement », écrit-il.


Ngoula Lea J
Joseph Léa Ngoula – capture photo

Ci-dessous, l’intégralité de la tribune.

[L’éloge de la peur]

Si Dominique Moïse, spécialiste de la géopolitique de l’émotion, était invité à appliquer sa grille d’analyse sur notre continent, il peindrait sans doute un nombre impressionnant de pays aux couleurs de la peur, tant cette émotion s’est irrémédiablement installée dans l’espace public à mesure que régresse la démocratie et l’État de droit. Elle s’est invitée au cœur des pratiques du pouvoir, créant un terreau favorable à la longévité des régimes. « La peur est l’arme la plus puissante dans l’arsenal des dictateurs », twittait récemment le célèbre avocat Robert Amsterdam.

La politisation de la peur s’est progressivement imposée parmi les instruments de contrôle de la population. Distillée au moyen de la répression ou la menace de la répression, la peur alimente l’apathie citoyenne et use l’activisme des plus virulents dissidents. Elle a contenu au clavier l’indignation collective, faisant de l’espace digital l’un des rares terrains d’expression du mécontentement populaire. Car il n’est plus possible d’occuper la rue. Elle est désormais le domaine réservé de ceux qui soutiennent ostensiblement les pouvoirs, et n’accepte qu’exceptionnellement ceux qui ont choisi le silence ou l’indifférence face à des injustices qui progressent comme jamais auparavant.

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La politique de la peur ne vise pas qu’à réduire au silence une poignée d’opposants et de mécontents, elle nourrit aussi la loyauté́ vis-à-vis des régimes. Le premier cercle à vivre sous l’emprise de la peur est celui des privilégiés, gagnés par l’angoisse permanente de perdre ce qu’à bien voulu leur donné le leader bien aimé ou ses affidés. Ces derniers instrumentalisent aussi les craintes avérées ou non de certaines communautés pour conserver les allégeances. Derrière des discours alarmistes et anxiogènes, ont fait passer les adversaires du pouvoir pour des entrepreneurs identitaires, au service des projets revanchards et des ambitions hégémoniques de leur communauté ethnique d’origine. La manœuvre marche d’autant plus bien que des populations appartenant à d’autres groupes culturels se font l’écho de la politique de la peur pour, disent-elles, « déjouer l’insurrection ethnique » et « neutraliser l’ennemi intérieur ».

Gouverner par la peur est devenu une pratique ordinaire, qui s’est imposée dès que les tactiques plus insidieuses de répression ne sont plus parvenues à enrayer la contestation. Elle ne se donne aucune limite, n’appréhende aucunes représailles, même pas celles de la communauté internationale, elle-même saisie par la peur de l’instabilité provoquée par un changement de régime. Investisseurs, bailleurs et coopérants, déroutés par une vision courtermiste, préfèrent l’illusion de stabilité à l’inconnu du changement.

Les partenaires bilatéraux comptent parmi les victimes de la politique de la peur. Ils sont parfois à la merci de régimes qui menacent d’élargir leurs horizons diplomatiques vers de nouveaux partenaires. La peur de perdre pied dans une sphère d’influence, la peur de perdre un allié ou un leader qu’on maitrise, incite certaines puissances à protéger des dirigeants ou fermer les yeux devant des dérives autocratiques et liberticides.

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 Maitriser la peur

La confiance sera un puissant vecteur pour dompter le sentiment de peur. Il faut rétablir la confiance dans l’action collective. Convaincre, à partir de petites victoires et d’exemples d’ailleurs, de la force que confère la mobilisation collective. Une force qui ne recule devant rien et qui apprivoise tout, y compris la brutalité policière et les bavures militaires. C’est en agissant collectivement, à grand renfort d’audace, de courage, d’innovation stratégique et de détermination, qu’il sera possible de fissurer l’édifice de la peur qui entretient les injustices, les discriminations et le malaise social.

Susciter la confiance dans l’avenir sera aussi l’un des chantiers majeurs des acteurs du changement. Le projet de société et les qualités intrinsèques de ceux qui les portent doivent inspirer la confiance chez les populations, les investisseurs et les partenaires internationaux. Ils doivent incarner le progrès, prendre leur distance avec les réactionnaires, les conservateurs et populistes s’ils veulent gagner cette confiance. C’est en déclinant une vision partagée de l’avenir qu’ils fédèreront autour d’eux toutes ces forces qui se mettront en branle pour rendre le changement possible.

Par ailleurs, les architectes du changement doivent être pragmatiques. Ils doivent faire fi des considérations idéologiques pour bâtir une relation de confiance avec les puissances capables d’inverser le rapport de force. La lutte pour la transformation de la société a besoin d’alliés, de beaucoup d’alliés. Les invectives envoyées aux puissances qui soutiennent les régimes établis se sont, la plupart du temps, révélées contreproductives.

Joseph Léa Ngoula


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