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[Tribune] Foncier et lutte des communautés

L’enseignant d’université, Edouard Bokagné a commis un texte le mercredi 03 mai 2023, pour parler de la question foncière et de la lutte des communautés. L’universitaire reconnait qu’il y a un problème foncier au Cameroun, mais il pense qu’il faut la circonscrire avant de pouvoir mieux l’articuler.

Bokagne Edouard

Lebledparle.com vous propose l’intégralité du texte

Y a-t-il un problème foncier au Cameroun ? Oui. Très certainement. Beaucoup de personnes de renom l’ont relevé, tant au domaine politique, analytique que pratique. Il y a eu de très intéressantes contributions pour nous expliquer ce qu’il est, ses manifestations, et ce qu’il faudrait entreprendre – et qui le devrait – pour le résoudre.

Puis, assez récemment, des marchands de sensationnalisme, habillés en scientifiques, sont venus nous plonger dans une malsaine opposition de communautés en agitant un épouvantail désormais bien connu : les haines et le rejet de l’autre. Il y a, construite, toute une théoricisation faite de préjugés sur autrui et la menace supposée qu’il représenterait ; sur fond de communautés supposément « envahies »,  »assiégées », par une mauvaise redistribution sociale.

Parlons d’abord du foncier. En premier, il faut savoir que cela et son corollaire l’immobilier ne sont pas un problème spécifiquement camerounais. Il se pose partout, avec des variantes locales et des adaptations légales. Pour schématiser, on dira que c’est le problème de l’accès et la mise en valeur du sol. Il se greffe à deux autres problématiques sociales : l’urbanisation d’une part et l’administration d’autre part.

Dans des pays du Tiers-monde comme le nôtre, la ville apparaît comme un pôle d’attraction pour les campagnes qu’elles vident par le phénomène de l’exode rural. Il s’y installe, de manière absolument anarchique, des populations pauvres qui se démènent pour y subsister. L’absence (ou la rareté) d’industries, l’inadéquation de plans de développement, le caractère inepte des entrepreneurs politiques induit, pour encadrer un édifice instable, des administrations véreuses et mal adaptées sur fond de législation mal pensée.

Ça donne un appel du vide qui laisse un no man’s land dans lequel, un peu chacune de sa façon, les communautés – qui vont forcément se constituer ou se reconstituer – vont se débrouiller. Une communauté quelconque est d’abord un être vivant : un tout socialis qui pense, réagit, subit. On s’adresse à elle comme à quelqu’un qui entend. Et elle parle comme quelqu’un qui répond. Quiconque y a intérêt voudra la manipuler. Il lui vendra de la camelote qui peut être politique ou idéologique.

Le bla-bla de Claude Abé à Club d’Élites de Vision 4 s’avérait une camelote idéologique de cette nature. Exactement comme l’est la réaction du Père Lado dont le froc de moine est celui du vendeur de camelote communautaire attitré. Oh, ils sauront habiller leur affaire en toc. Ce sont des gens instruits. Ils savent parler. Mais ne vous trompez jamais sur ce qu’ils disent : ils soulèvent des communautés.

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Voyons un peu comment, de façon spécifique, le drame du foncier s’est installé chez-nous et pourquoi, de plus en plus, il prend la coloration d’un problème bamiléké. Les villes attirent tout le monde. Mais tous ne s’y installent pas de la même façon : avec la même dynamique qui, par moments, induit des formes de ségrégation. Les grands axes de déplacement des exodes sont : le septentrion et l’occident. Les terminus sont les métropoles et les terres fertiles du centre et du littoral.

Le vécu communautaire prendra alors de l’incidence selon les vendeurs de camelote qui voudront l’exciper. En général, le fils d’un coin qui vient s’installer ailleurs ne vient jamais envahir. Il se bat pour vivre. C’est pourquoi l’insertion est généralement si paisible. Il négocie l’occupation des espaces selon les termes qu’il y a trouvés. S’il en trouve de propices, il arrive fréquemment qu’il fasse de la place à la parentèle ou à des congénères avec qui il peut mieux s’entendre.

De son fait, la sociologie du lieu se modifie. Tout comme il en change le rapport à l’économie. C’est largement démontré qu’en général, les communautés allogènes sont plus dynamiques. Cela tient à la nature même du phénomène social. L’immigrant est davantage prêt à innover que l’autochtone qui a tendance à s’embourgeoiser et/ou à s’endormir sur ses lauriers. Il a moins le poids des usages de sa contrée dont, par la force des choses, il se sera éloigné.

Petit à petit, les nouveaux arrivants voudront s’émanciper. Ils aspireront à jouer un rôle politique dans leur nouvel environnement. Ils s’investiront du droit de représenter. En fait, c’est une dynamique ancienne de substitution de communautés. Elle comporte toujours une forme de réactivité. C’est un engrenage dans lequel les Bamiléké, (comme d’autres), se sont trouvés.

Il est généralement attendu des communautés migrantes de faire profil bas. L’espace qui leur est concédé est celui de la vie sociale dans son incidence économique. Ce qui semble avoir mal tourné pour les Bamiléké est le discours de leurs entrepreneurs politiques et idéologiques qui, en fait, a donné aux autres le prétexte. On dira ça très simplement : ce sont les Bamiléké qui ont provoqué.

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Le foncier qu’on a vite fait d’évoquer n’est pas ce problème de communautés. Il est la partie douloureuse d’un abcès à percer. Et cet abcès est la redistribution d’avantages politiques. Les postes sont mal partagés. Et ceux qui se sentent lésés n’ont pas d’autre choix que d’agiter la communauté. Déjà parce qu’elle se sait – puisqu’on le lui a dit – cadre de partage. Les communautés aux fortes diasporas, après avoir empli leurs escarcelles, s’en vont faire leur marché dans celles des autres.

Ces derniers, se sentant grugés, prêteront l’oreille à leurs idéologues. C’est de ce fond de déclarations incendiaires que procèdent les jacqueries inter-communautaires. En agitant la menace du foncier – qui, à dire vrai, pour réelle, n’a rien à faire ici – on fait simplement peur à celui à qui on veut s’opposer. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Et il est entièrement rattaché à la dévolution du pouvoir et des avantages qui en découlent.

En 1992, eut lieu l’élection présidentielle la plus disputée du pays. Il n’y avait rien dans ce scrutin qui rattache au foncier. Mais ce qui était en jeu fut la rivalité politique opposant un natif du grand Ouest à un autre du grand Sud. Qu’on l’admette ou non, ç’a viré à la lutte entre ces communautés. Et ad subitum, on s’est mis à chasser. On ne pouvait chasser que ceux qui venaient de s’installer. C’est la même menace que l’on brandit, même si elle n’est pas autant cristallisée.

Mais il reste le problème de départ : le foncier. Il faut le circonscrire. Et l’articuler.

Je le ferai peut-être… Dans un autre billet…

Edouard Bokagné

 


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