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[Tribune] Cameroun : le « vivre-ensemble » mis à rude épreuve

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Les tensions politico-ethniques, exacerbées par la rivalité entre le camp de l’opposant Maurice Kamto et celui du président Paul Biya, prennent une dangereuse tournure. Le « vivre-ensemble » camerounais n’est toutefois pas condamné à l’oubli.


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Un chauffeur de taxi moto, partisan de l’opposant Maurice Kamto, conduit sa moto à Yaoundé, le 30 septembre 2018, lors d’un rassemblement de campagne pour l’élection présidentielle. © MARCO LONGARI/AFP

L’assignation à résidence depuis septembre du principal leader de l’opposition, Maurice Kamto, et l’arrestation de plusieurs responsables de son parti ces dernières semaines, ont rappelé à tous, si besoin en était, les tensions politiques qui émaillent la vie politique camerounaise. Or, ces dernières ont pris une dangereuse tournure depuis l’élection présidentielle contestée de 2018 et se doublent désormais de plus en plus d’invectives à caractère ethnique articulées autour de la rivalité entre le camp Maurice Kamto, un Bamiléké, et celui du chef de l’État Paul Biya, un Bulu bénéficiant également du soutien de nombreux Beti.

Dans un pays qui se targue de la relative harmonie dans laquelle cohabitent les quelque 250 groupes ethniques le composant, le phénomène est particulièrement inquiétant, alors que la stabilité du Cameroun est déjà mise à mal par un conflit dans les régions anglophones et une insurrection islamique dans le nord du pays. Une intensification des ces tensions politico-ethniques pourrait par ailleurs s’avérer dangereuse du fait que pouvoir et opposition se positionnent progressivement dans l’espoir d’un retrait éventuel de Paul Biya, âgé de 87 ans et au pouvoir depuis 1982.

Le « vivre-ensemble » camerounais qui structure les relations entre les communautés ethniques et culturelles du pays n’est cependant pas condamné à l’oubli. L’entame d’un vrai dialogue entre pouvoir et opposition sur les règles du jeu électoral, l’adoption de nouvelles lois sur la discrimination ethnique, l’application des quotas régionaux au sein des institutions peuvent tous aider à réduire les risques de délitement du tissu multi-ethnique camerounais. Les sociétés gérant les réseaux sociaux, où l’essentiel de la haine ethnique est actuellement déversée, devraient de leur côté mettre en place de meilleurs garde-fous.

Un fossé grandissant

Les tensions actuelles trouvent leur origine dans le conflit entre le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qui cherche à monopoliser le pouvoir afin de garder la main sur l’éventuelle transition post-Biya, et les autres prétendants au poste, dont Maurice Kamto.

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La controverse autour de l’élection de 2018, que beaucoup d’observateurs estiment entachée d’irrégularités et dont l’opposition continue de contester le résultat, ont creusé le fossé grandissant entre pouvoir et opposition. Depuis, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) fustige l’absence de réformes électorales, a boycotté les législatives et municipales de février 2020 et annoncé qu’il boycottera les régionales du 6 décembre, conteste la gestion de la crise de Covid-19 et du conflit anglophone qui ne cesse d’empirer, et réclame le départ du président Biya.

En dépit des avertissements avisés d’acteurs camerounais influents craignant que les diatribes politiques ne génèrent un conflit ethnique, ces tensions politiques ont de plus en plus été assimilées à une course au pouvoir entre Bulu et Beti, perçus comme partisans du président, d’une part, et Bamiléké, le groupe ethnique auquel appartient Kamto, de l’autre.

Dans le sud du pays, ces tensions semblent avoir contribué, en 2019, à des émeutes orchestrées par des Bulu, indigènes, contre des Bamoun et Bamiléké originaires de l’Ouest, sur fond de tensions sous-jacentes concernant les droits fonciers et l’accès à des emplacements commerciaux. Le 10 octobre 2019, des centaines d’habitants de Sangmelima ont attaqué des Bamiléké, Bamoun et des nordistes avec des bâtons et des pierres, détruit leurs biens et pillé leurs magasins après qu’un Bamoun avait été accusé de complicité dans le meurtre d’un moto-taximan.

Les noms d’oiseaux, stéréotypes ethniques négatifs, ainsi que les appels à la violence volent désormais, particulièrement sur les réseaux sociaux – et principalement Facebook -, où la discorde a trouvé une caisse de résonance particulièrement puissante.

Sortir de l’impasse

Pouvoir et opposition n’ont pour l’heure rien fait pour endiguer cette spirale négative. Les mesures prises par le gouvernement au nom de la lutte contre les propos haineux ne sont généralement que des écrans de fumée pour réprimer les opposants tandis que l’opposition en a fait tout aussi peu pour modérer le ton de ses sympathisants, rejetant la responsabilité sur le gouvernement, accusé d’avoir tribalisé la scène politique pour diviser les Camerounais opposés à Biya.

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Les tensions politico-ethniques actuelles pourraient avoir des conséquences désastreuses si elles s’intensifient, et potentiellement mener jusqu’à un cycle meurtrier de manifestation et répression si pouvoir et opposition ne trouvent pas les moyens de les apaiser. Le risque d’exacerbation est bien réel : les conjectures au sujet du successeur potentiel de Paul Biya se multiplient, et les deux camps risquent de se tourner vers leurs propres groupes ethniques pour mobiliser des soutiens.

Les responsables du parti au pouvoir et de l’opposition devraient trouver le moyen de discuter de leurs différends au sujet des élections récentes, et le gouvernement tirer les conclusions de cette concertation pour engager des réformes électorales rendant le processus plus transparent. Dans le même temps, les autorités pourraient renforcer les lois sanctionnant la discrimination ethnique ainsi que donner une plus grande marge de manœuvre à la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, chargée de combattre cette discrimination.

Enfin, les compagnies de réseaux sociaux ont elles aussi un rôle à jouer pour s’assurer que leurs plateformes ne deviennent pas des catalyseurs de soulèvement social et d’effusion de sang. Pour cela, elles devraient augmenter leurs capacités à identifier et retirer les contenus haineux propres au Cameroun.

Celui qui gouverne à la destinée du Cameroun depuis 1982 pourrait être tenté de résister à des mesures perçues comme menaçant son pouvoir ou celui de son parti. Pourtant, Paul Biya ne devrait trouver aucun intérêt à laisser derrière lui un pays divisé par les tensions ethniques s’ajoutant à des velléités séparatistes. Gageons qu’il comprendra que c’est son héritage qui est en jeu.

Par  Richard Moncrieff

Directeur du Projet Afrique centrale d’International Crisis Group


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