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Richard Makon : « Un conflit est aussi une opportunité de progrès »

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Alors que le Cameroun traverse un moment de crise politique lamentable, le juriste camerounais, Richard Makon, à apporter sur sa page Facebook le 11 mai 2019, des observations sur les enjeux que peut regorger un conflit dans un pays. Dans son analyse, le de droit explique quelques concepts qui semblent mal compris par l’opinion publique.

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Dr Richard Makon

Lebledparle.com vous propose ci-dessous, la chronique du juriste Richard Makon

CE QUE VEUT DIRE DIALOGUER DANS UN CONTEXTE DE CRISE POLITIQUE

C’est une vérité historique, jamais démentie par les faits depuis des millénaires, toute crise politique s’achève toujours et inévitablement par le dialogue, davantage lorsque ladite crise dérive en conflit politique. En effet, qu’il s’agisse du conflit interétatique ou du conflit interne, l’histoire politique du monde ne recense aucun récit d’un conflit politique qui ne s’est pas achevé par le dialogue, d’un retour à la paix qui n’a pas été obtenu autour d’une table.

Le conflit finit toujours là où il n’aurait jamais dû commencer, autour d’une table. Ne pas le savoir lorsqu’on est un gouvernant ou un acteur politique de premier rang est une lacune dangereuse, ne pas le comprendre est une faiblesse outrageante, refuser de l’admettre est évidemment suicidaire.

Fort heureusement, nos appels au dialogue, nous camerounais d’en bas de tout bord, semblent peu à peu percer les parois de la déraison derrière lesquelles certains s’étaient emmurés, au grand dam des forces du bien qui appellent depuis trois (3) ans à la discussion, à l’entente, à la disposition aux concessions, à la recherche du compromis, à la quête du consensus, à la pacification des cœurs.

Enfin un dialogue, le seul et unique vrai dialogue, est espéré et annoncé. C’EST BIEN !

Cependant, s’il semble judicieux d’inviter les uns et les autres au dépassement des récriminations, des invectives stériles et des entreprises d’identification du ou des coupables, responsables de la rupture de la discussion civique qui nous a conduits dans ce bourbier, l’on ne saurait faire l’économie du partage d’un minimum de préalables (cognitifs et praxéologiques) aux fins de rendre possible et fructueux pour tous, le dialogue tant attendu.

I – LES PRÉALABLES COGNITIFS

A — TOUT CONFLIT EST L’ABOUTISSEMENT D’UN DÉNI DE RÉALITÉ

Le premier préalable consiste à comprendre les préconditions et les conditions dans lesquelles se forment les conflits.

Le conflit naît toujours des CONTRADICTIONS (tout à fait normales) existantes à un moment donné dans une société. 

Lorsque ces contradictions (politiques, économiques, sociales, culturelles) ne sont pas traitées, elles se muent en un PROBLÈME qui est un signal que le corps politique ne va pas bien, un signal qu’il y a quelque chose de nouveau à prendre en compte, un signal qu’il y a une situation qui appelle à l’attention et à la vigilance collective. 

Ce problème est une maladie de l’âme commune, de l’esprit collectif, du corps social uni. 
Lorsque celui-ci n’est pas résolu, du fait de DIVERGENCES trop importantes entre les parties prenantes, ou le plus généralement du fait du DÉNI de son existence, le problème crée des TENSIONS, les tensions ignorées secrètent inévitablement de la VIOLENCE, et de la violence naît le CONFLIT. 
C’est classique !

B – TOUT CONFLIT EST UNE OPPORTUNITÉ DE PROGRÈS

Le deuxième des préalables cognitifs à partager est la nécessité d’un « basculement intellectuel » de l’ensemble de notre communauté nationale sur la question du conflit. 

Un conflit n’est pas seulement « un problème », UN CONFLIT EST AUSSI UNE OPPORTUNITÉ DE PROGRÈS, de changement de cap, de révolution politique, économique, sociale et culturelle, une occasion d’invention d’un modèle nouveau de gouvernance, de création de nouvelles représentations sociales et de nouveaux imaginaires collectifs, d’écriture d’une histoire politique, d’un pacte social et républicain, d’un projet de société et d’un projet de civilisation nouveaux.

La violence s’enracine, de manière larvée ou bruyante, lorsqu’une société n’a pas su profiter du conflit pour se donner un nouveau départ. 

Et dans le cas d’espèce, nous avons là, avec ce dialogue entre Camerounais, l’occasion de faire enfin de notre biculturalisme une force, non pas seulement d’émancipation, de décolonisation de notre Nation, de reprise en main de notre histoire et de notre identité collective, mais aussi une force de projection et d’accomplissement, par l’invention d’un État nouveau, porté par des institutions adaptées à nos ambitions de progrès, de vivre-ensemble dans la différence, et même de notre idéal démocratique.

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C – UN CONFLIT POLITIQUE DANS UN ETAT N’OPPOSE PAS DES INDIVIDUS

Les conflits politiques nés des contradictions d’un corps politique ne sont jamais des conflits entre les hommes, entre les ressortissants de la communauté nationale, entre les fils et filles du même pays. 
Les hommes, qui certes créent les conditions du conflit, le nourrissent par leurs choix, et le règlent ou participent à sa résolution, en fin de compte, ne constituent en réalité que le symptôme humain du MAL PROFOND QUI EST TOUJOURS QUELQUE CHOSE DE COLLECTIF.

Des hommes malades sont secrétés par une société malade. Les hommes malades ne peuvent être durablement soignés que par un exorcisme collectif, un accouchement de l’esprit de vie et une pacification de tous les cœurs.

Dès lors, si l’on veut réellement résoudre le conflit actuel qui détruit notre pays, NOUS DEVONS AVOIR LE COURAGE DOULOUREUX DE DÉPASSER LES HOMMES POUR NOUS ATTAQUER TOUS À CE QU’ILS REPRÉSENTENT. 
Mais que représentent-ils ? Ils représentent des imaginaires, des époques et des siècles, des conceptions de la vie et du monde, des forces visibles et invisibles, des groupes d’intérêts, des dominations et des puissances, des principautés terrestres et célestes, des univers de mort et de vie.

Toute polarisation autour des hommes, des visages, des noms renforcera les fractures identitaires, les clivages ethniques et communautaires, les catégorisations fratricides et créera, immanquablement, une guerre civile, un héritage de la haine et de la vengeance.

II— LES PRÉALABLES PRAXÉOLOGIQUES

À titre de préalables praxéologiques, il semble important, tout en situant le dialogue dans un cadre précis, d’indiquer quelques trajectoires d’actions essentielles pour le réaliser.

A – LA NÉGOCIATION N’EST PAS LA RÉSOLUTION DE CRISE OU DE CONFLIT

Un important amalgame tend à plonger bon nombre de nos compatriotes dans une importante confusion. Au sein de l’opinion publique, d’aucuns parlent de négociation quant à la sortie de crise, pendant que d’autres parlent de résolution du conflit.

Il s’agit de réalités totalement différentes, tant du point de leurs natures, de leurs philosophies, de leurs approches et méthodes, que du point de vue des leurs corpus de techniques. Ceux qui forment ou s’intéressent aux modes alternatifs de règlement des différends (arbitrage, médiation, conciliation, les approches complexes, etc.) le comprennent fort aisément.

Pour faire simple, LA NÉGOCIATION est une série de démarches, de discussions et de processus de communication que l’on entreprend pour parvenir à un accord ou pour conclure une affaire.

Dans une négociation l’objet est clairement identifié. L’ordre du jour est connu ou fixé d’avance. La stratégie de négociation propre à chaque partie est secrète et connue de leurs seuls membres (Gagnant – Gagnant/Gagnant – Perdant/Perdant – Perdant).

Le lieu de négociation et identifié à l’avance, le temps fixé pour conclure est déterminé (même s’il est articulé en cycles). 

Les négociateurs de chaque camp sont connus. Les points de concession sont déterminés par chaque partie, de même que les aspects non négociables de l’affaire.

Dans la négociation l’on va à l’essentiel.

Dans la négociation on n’a pas toujours besoin d’un intermédiaire (médiateur, conciliateur, facilitateur).

En fin de compte, la négociation, bien qu’étant un art et une discipline, est une QUESTION TECHNIQUE. Dans la dimension psychoanalytique, on dira que la négociation se situe au niveau mental, et descend difficilement au niveau émotionnel.

Il peut d’ailleurs avoir négociation sans conflit.

LA RÉSOLUTION DES CONFLITS par contre comprend des processus complexes consistant à conduire des pourparlers pour aboutir au choix de la meilleure solution possible à un affrontement, à une crise, et aux modalités idoines pour la mise en œuvre de cette solution.

Ici on est dans les modes alternatifs de résolution des conflits, qui sont des situations sociales mettant aux prises des acteurs en interdépendance poursuivant généralement des buts divergents, défendant le plus souvent des intérêts opposés.

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Le conflit ne naît que dans un système de forces solidaires, constitué d’éléments inter dynamiques, et un conflit touche tous les aspects de vie humaine, affecte tous les étages de la pyramide des besoins (physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement).

C’est pourquoi dans la résolution du conflit, davantage du conflit politique, la dimension émotionnelle est fondamentale. Il est donc nécessaire de DIALOGUER, DE CONNAITRE L’AUTRE, DE COMPRENDRE L’AUTRE, DE SE METTRE A LA PLACE DE L’AUTRE.

Il est question ici de retrouver des souvenirs profondément enfouis, de déceler dans une communauté toute trace de blessure et/ou de cicatrice, de soigner une mémoire blessée, de traiter non seulement le corps, mais aussi l’âme et l’esprit d’un groupe, d’une société. Ici la dimension historique, politique, culturelle, identitaire, psychologique, spirituelle et métaphysique est décisive.

Dans la résolution des conflits, il est donc fondamental d’identifier le problème, le mal, la blessure, la revendication, la fracture, le point de rupture. Savoir où est parti le problème et quels en sont les ressorts et les manifestations.

Dans la résolution d’un conflit, IL N’Y A PAS D’AGENDA CONNU, D’ORDRE DU JOUR FIXÉ À L’AVANCE. IL N’Y A PAS DE POINTS EXCLUS D’OFFICE DU DÉBAT et nul ne peut (et ne doit) anticiper sur la solution à la crise. L’ESPRIT D’OUVERTURE EST ESSENTIEL.

Il n’y a pas d’échéancier connu d’avance, pas de temps déterminé pour les échanges et chaque camp peut remplacer à tout moment l’un ou plusieurs de ses représentants.

Dans la résolution d’un conflit, les médiateurs et les facilitateurs sont incontournables.

Dans la résolution du conflit, il est décisif de CONSTRUIRE UNE APPROCHE EN FONCTION DE CHAQUE CONFLIT, en fonction de chaque situation, en fonction de chaque cas d’espèce.

Dans la résolution des conflits, il y a évidemment des NÉGOCIATIONS. La résolution du conflit est un PROCESSUS POLITIQUE.

B – LA RÉSOLUTION D’UN CONFLIT REPOSE SUR DES EXIGENCES CATÉGORIQUES

La première exigence est l’écoute (la pratique de l’écoute active) de tous (parties en conflit, médiateurs et facilitateurs).

La seconde exigence est l’obligation de sincérité et de bonne foi des parties prenantes.

La troisième exigence, l’exigence opératoire majeure, est le respect d’une dynamique graduelle, séquencée en deux (2) principales phases au moins :

LA PHASE INTERNE à chaque camp, où chaque camp se parle à lui-même. Les discussions ont lieu entre les membres et diverses sensibilités de chacune des parties pour arriver à un consensus minimal sur l’essentiel, pour aboutir à des positions communes, pour parler d’une seule voix à propos de l’essentielle face à la partie adverse.

LA PHASE EXTERNE est celle à la faveur de laquelle les deux (2) parties se retrouvent, autour d’un médiateur (ou d’une équipe de médiateurs) et de facilitateurs, pour parvenir à une entente de collaboration, devant déboucher sur un accord politique.

Sortir de la crise politique actuelle appelle à l’intelligence collective du peuple camerounais.

La crise actuelle nous rappelle que la Nation est le refuge même de notre identité. 
Que cette Nation est une construction permanente qui nécessite un travail citoyen à plein temps. 
Que nous n’avons pas encore fait le deuil de la colonisation. Que le modèle colonial est un acte de violence. 
Que le dialogue soit une vertu démocratique et que dans une démocratie il n’y a ni questions taboues, ni dogmes, ni fétiches. 

Qu’il n’y a pas de paix possible sans justice, sans équité, sans partage, sans amour, sans pardon.

QU’IL NE S’AGIT PAS ICI D’UNE BANALE NÉGOCIATION, MAIS DE LA RÉSOLUTION D’UNE GRAVE CRISE POLITIQUE !

QUE L’APPROCHE À ADOPTER DOIT ÊTRE LA PLUS INCLUSIVE POSSIBLE ET QUE LA SOLUTION À CETTE CRISE EST COLLECTIVE !

Richard MAKON.


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