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Quand le Conseil Constitutionnel camerounais viole la loi : l’urgence d’une leçon de droit processuel.

conseil constitionnel 1

Alors que l’équipe du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) venait de mettre le Conseil Constitutionnel (CC) devant ses tares congénitales et structurelles, ce dernier a tenté – bien maladroitement – de se réfugier derrière :


conseil constitionnel 1
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(1) l’inexistence d’une loi de procédure organisant la mise en œuvre devant elle, des mécanismes de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime ;

(2) le caractère prétendument attitré de l’action en récusation et en renvoi pour cause de suspicion légitime, que consacrerait l’article 18 de la loi n°2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du conseil constitutionnel.

Il est nécessaire de relever la démarche à tâtons des Juges du Palais des Congrès (I), avant de démontrer l’évidente impertinence des motifs sur lesquels ils se se sont fondés pour rejeter les actions en récusation et en renvoi pour cause de suspicion légitime (II).

I – A TITRE LIMINAIRE : DU RAISONNEMENT BANCAL DES JUGES DU PALAIS DES CONGRES

Pour qui a touché au droit processuel dans sa vie, il ne fait l’ombre d’aucun doute que se contredire au détriment d’autrui est une chose bien dangereuse.

C’est pourtant l’exercice alambiqué et ridicule auquel se sont livrés les membres du CC.

Certains diront que le droit de tradition romano-germanique n’a pas encore formellement réceptionné le principe de l’estoppel et qu’il ne s’applique pas aux Juges.

L’on pourrait tout aussi leur opposer le principe de l’interdiction de la contradiction/contrariété des motifs, qui s’applique aux juges et qui leur fait défense de se dédire dans une même décision, en y développant des thèses diamétralement opposées. C’est pourtant ce qu’a fait le CC.

Comment comprendre qu’en même temps qu’ils affirment d’une bouche que les actions en récusation et renvoi pour cause de suspicion légitime sont dépourvues de fondement juridique et donc vouées au néant, ils puissent soutenir avec la même bouche qu’il existerait un texte, en l’occurrence l’article 18 de la loi n°2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du conseil constitutionnel, qui prévoirait la récusation en en réservant le déclenchement à quelques initiés triés sur le volet, que seraient l’autorité de désignation du CC (le Président de la République) et le CC lui-même (« à la majorité des deux tiers de ses membres »).

De deux choses l’une : soit il existe une loi qui organise la procédure de récusation devant le CC, auquel cas le MRC est fondé à l’invoquer, soit il n’en existe pas et le CC ne saurait agiter un fétiche pour se dérober de son obligation de juger.

Il aura fallu en tout état de cause, un long conciliabule entre les Juges pour préparer la réponse à cet argument musclé dont la conséquence certaine aurait été la désorganisation conséquente de la Juridiction, du fait de l’envoi en hibernation de la plupart de ses membres entretenant des relations plus ou moins incestueuses avec l’ordre du renouveau, lorsqu’ils n’en sont pas simplement de véritables thuriféraires.

L’attente a été longue.

La montagne aura finalement accouché d’une souris.

II – DE L’IMPERTINENCE DES MOTIFS DE LA DÉCISION DE REJET DES REQUÊTES EN RÉCUSATION ET EN RENVOI POUR CAUSE DE SUSPICION LÉGITIME

La récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime appartiennent à la catégorie des incidents d’instance.

La récusation est l’acte par lequel un plaideur refuse d’être jugé par ou en présence d’un Magistrat dont il conteste l’impartialité (fondée sur le lien de parenté, d’alliance, d’amitié ou inimitié entre ce Juge et l’une des parties au procès). Elle aboutit à écarter le Juge récusé et à le remplacer soit à la suite d’un acquiescement de sa part, soit par l’effet d’une décision de justice qui tranche sans délai la contestation.

La demande de renvoi pour suspicion légitime est l’acte par lequel une partie au procès demande qu’une juridiction soit dessaisie d’une affaire, en raison de l’existence de soupçons de partialité. Elle conduit au renvoi de l’affaire devant une Juridiction autrement composée.

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Le CC a faussement prétendu qu’une telle action était inexistante (A) avant de se rattraper dans un maladroit rétropédalage d’admission de ladite existence. La persistance dans l’erreur étant diabolique, il a soutenu à tort que lesdites actions étaient attitrées (B).

  1. A. Le faux débat sur l’inexistence d’une loi de forme régissant les actions en récusation et en renvoi pour cause de suspicion légitime

A l’issue de la plaidoirie du Bâtonnier YONDO BLACK MANDENGUE au cours de laquelle il a sollicité du CC qu’il se récuse en raison de tous les doutes sérieux jetés sur l’impartialité de la collégialité, le Président du CC (sieur Clément ATANGANA) a rétorqué avec un air moqueur mal dissimulé, que la demande du MRC ne pouvait prospérer pour inexistence d’un texte organisant la procédure de récusation devant le CC.

Quelques questions se posent nécessairement :

Est-ce parce qu’aucun texte ne prévoit expressis verbis la procédure de récusation que les Magistrats du Conseil Constitutionnel sont irrécusables ?

Si l’on répond par l’affirmative, on voit bien le malaise. Les Magistrats du siège ne peuvent se prévaloir du privilège de l’irrécusabilité, reconnu uniquement aux Magistrats du Parquet.

Que serait une justice dont les juges peuvent trancher des affaires impliquant leurs proches parents (enfants, époux, neveux etc.), leurs amis, leurs ennemis ou des personnes auxquelles ils sont redevables ?

Vous imaginez quel serait le niveau d’exposition à la partialité, aux sentiments et au parti pris ?

Quelle est en fin de compte, la fonction de la récusation et du renvoi pour cause de suspicion légitime ? N’est-elle pas de participer à la recherche d’une meilleure justice débarassée des pesanteurs de partialité ?

La loi est-elle la seule source de droit ?

Le Président du CC ne saurait prétendre sauf mauvaise foi patente de sa part, qu’il ignore la théorie des sources du droit.

On distingue les sources formelles (la Constitution, les Traités internationaux, la loi, les règlements) des sources informelles (la coutume, les principes généraux de droit, la jurisprudence).

La récusation n’a pas besoin d’être prévue par un texte pour être appliquée, à partir du moment où existent des doutes sérieusement étayés sur l’impartialité d’un membre de la collégialité appelée à statuer.

Ont-ils oublié qu’un juge qui refuse de juger sous le prétexte qu’il n’y a pas de loi commet un déni de justice ?

Monsieur Clément Atangana a pourtant voulu se défiler en se dissimulant derrière l’inexistence d’une loi organisant la procédure de récusation devant le CC.

Faut-il rappeler au membre du CC les termes de l’article 6 du Code civil qui s’imposent à eux et qui disposent que « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » ?

Doit-on leur rappeler qu’en cas de déni de justice, peuvent s’abattre sur eux les foudres de l’article 147 de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 qui dispose qu’« est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à deux (02) ans tout juge qui dénie, après en avoir été dûment requis, de rendre une décision ».

L’indépendance et l’impartialité de la justice ne sont pas des éléments du décorum qui inaugurent les chrysanthèmes de la justice. Leur finalité est de contribuer à une justice plus juste, une justice plus humaine et plus vraie.

  1. B. Le caractère prétendument attitré des actions en récusation et en renvoi pour suspicion légitime.

Convenons in limine litis que cet argument est le mauvais bourgeon d’une interprétation de la loi cherchant à tout prix à plaire au Prince plutôt qu’à protéger la légalité.

L’article 18 de la loi n°2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du conseil constitutionnel, fièrement brandit par le CC, les satrapes du renouveau et leur clique de larbins, supposé être (dans leur imaginaire) l’argument massue contre les demandes liminaires du MRC ne trouve pas à s’appliquer aux demandes en récusation et en renvoi pour cause de suspicion légitime formulées en l’espèce.

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Pour qui en douterait, lisons ladite loi.

C’est une lapalissade de dire que ledit article 18 gît  au bas du CHAPITRE VI qui traite de la « CESSATION DES FONCTION ». C’est donc dire que très humblement, ce texte n’a vocation qu’à régler l’hypothèse de la cessation des fonctions de membre du CC.

CHAPITRE VI

DE LA CESSATION DES FONCTIONS

Article 18 : Le Conseil Constitutionnel, statuant à la majorité des deux tiers de ses membres, peut d’office ou à la demande de l’autorité de désignation, mettre fin, au terme d’une procédure contradictoire, aux fonctions d’un membre qui aurait méconnu ses obligations, enfreint le régime;des incompatibilités ou perdu la jouissance de ses droits civils et politiques, conformément aux modalités fixées par son règlement intérieur.

Qu’est-ce que la cessation ?

Selon le dictionnaire Larousse, la cessation est l’action de cesser, l’arrêt, la suspension.

La cessation est donc l’arrivée au terme, la fin de quelque chose.

La cessation de fonction est la fin de l’exercice de cette dernière, l’arrêt de l’activité de celui qui en est chargé.

Rappelons comme fait ci-haut, que l’effet de la récusation est la mise à l’écart du Magistrat concerné, lequel ne pourra plus se prononcer dans l’affaire dont la connaissance lui a été retirée.

Le Magistrat récusé ne perd pas pour autant sa qualité de Magistrat. Il lui est simplement interdit de trancher l’affaire en cause afin d’éviter que son amitié/inimitié avec l’une des parties affecte son objectivité dans la quête de la vérité.

La demande en récusation vise-t-elle à  mettre un terme aux fonctions d’un membre du CC ?

Il faudrait avoir congédié sa raison, la logique et le bon sens (pourtant la chose du monde la mieux partagée), pour réussir l’exploit d’assimiler le retrait d’un Magistrat d’une affaire (conséquence de la RÉCUSATION), à la CESSATION des fonctions (laquelle, en l’espèce, ne saurait procéder que d’une sanction, d’une démission ou de la mort).

Si comme moi l’envie vous vient de demander comment on en est arrivé à l’application d’un texte qui n’a pas lieu d’être, à une question dont on a pourtant nié la pertinence, en assimilant grossièrement les effets de la récusation à ceux de la cessation des fonctions, je vous invite à sous asseoir et à parcourir la liste des éminents juristes composant le CC.

Le CC ne saurait donc prétendre que l’action en récusation est une action attitrée car elle est par nature, ouverte à toute partie au procès ayant un intérêt à faire prospérer pareille demande.

L’utilisation de l’article 18 était par conséquent une mauvaise solution à un vrai problème. Opération de cosmétique juridique tendant à maquiller sa volonté de frauder le droit ?

RETENONS

Bien que majoritairement composé de membres partiaux, le CC a retenu sa compétence pour statuer sur les demandes introduites dans le cadre du contentieux électoral. C’est une image peu reluisante pour notre justice, que de porter ainsi atteinte à des principes structurant la justice.

La loi est INIQUE et conçue telle que ceux qui essaient de s’en servir contre l’artisan se retrouvent piégés dans les chausses trappes.

Vive l’excellence dont on saura désormais reconnaître le camp.

C’était le procès de la justice camerounaise.

L’occasion était donnée à la justice constitutionnelle d’écrire une belle page de l’histoire de notre démocratie. On peut parier qu’elle sortira par la petite porte.

DTAP


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