Le rappeur Maalhox s’insurge contre les cachets géants versés aux artistes étrangers qui en concert au Cameroun. Dr Claudel Noubissie dans une chronique publiée sur sa page Facebook, montre que les multinationales au Cameroun n’ont pas pour objectif de développer le Cameroun du point de vue de la culture. Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de cette tribune. Bonne lecture !
L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE : CAS DE LA MUSIQUE URBAINE CAMEROUNAISE !!!
Aujourd’hui, une importante polémique fait l’actualité dans le domaine de la musique urbaine au Cameroun : les multinationales qui clochardiseraient les artistes locaux, au détriment de ceux provenant de l’étranger.
Et s’il s’agissait juste d’une stratégie d’intelligence économique ?
Je vous emmène dans un univers qui vous permettra d’analyser cette actualité sous un autre angle…
Il y a la musique d’une part, et le RAP d’autre part.
J’aime toujours séparer les deux, parce que pour moi, le rap n’est pas de la musique, c’est un appel et surtout une idéologie.
Raison pour laquelle cette actualité me marque particulièrement, parce que, pour ceux qui ne le savent pas, durant mes études de médecine, je pratiquais…du RAP.
J’entre en contact avec le RAP lorsque je suis en classe de Terminale.
Avant cette époque, pour moi, ceux qui « rappaient » étaient des fous. Je ne comprenais pas comment il était possible d’écouter des gens parler aussi vite, sans qu’on ne comprenne ce qu’ils disent et surtout sur des rythmes aussi rapides.
Mais, grâce à un ami (Jay Sky), j’ai pu comprendre réellement ce qu’était le RAP.
Une musique qui permet de s’exprimer, d’extérioriser son malaise, de dénoncer, de prendre position, de relater les tares de la société, d’amener à une prise de conscience et surtout de toucher l’inconscient collectif d’une société parfois en manque de repères.
Pour y arriver, il faut savoir manier les mots, les plaçant dans des contextes qui poussent à la réflexion, pousser la personne qui écoute à ne pas directement percuter ou saisir le message.
C’est cela la beauté de la langue, le principe d’une punchline.
J’ai très vite compris qu’en réalité, un rappeur est un poète des temps modernes qui, à travers ses textes, utilise des mots pour refléter les maux de la société.
Ceci sans l’objectif de vouloir nécessairement plaire mais, de pousser les gens à penser et agir différemment, en les choquant au besoin, pour que le message soit saisi d’une manière plus efficace.
Rapper en réalité était pour moi une sorte de thérapie magnifique. Enfin, je pouvais parler de tout ce qui me tracassait à quelqu’un : moi-même.
Lorsque je rappais, on pouvait ressentir de la violence dans mes propos, la rigueur, les émotions qui provenaient du plus profond de mes tripes et j’abordais toujours des thèmes qui avaient traits à mes études, mes relations amoureuses, ma famille, etc.
Je transposais toutes mes peines…en chanson.
C’est ainsi que, de la première année de médecine jusqu’en sixième année, j’ai enregistré 107 morceaux, regroupé en cinq albums.
Ma chambre était devenue un studio dans lequel plusieurs rappeurs venaient faire enregistrer leurs morceaux, ce qui constituait aussi une source de revenus pour moi. Je prestais aussi dans des événements, comme sur cette image à la maison du parti de Bangangté, en janvier 2009.
Je décide de définitivement arrêter le rap en sixième année de médecine, car cela me prenait déjà énormément de temps.
Je me rapprochais de plus en plus de la fin de mes études et je ne voulais pas être un médecin médiocre.
C’est ainsi qu’avant d’aller en stage à l’hôpital pour le compte de ma sixième année de médecine, j’enregistre mon dernier morceau qui s’intitulait : « ma dernière plume ».
Dès lors, je n’ai plus jamais enregistré de morceau malgré le fait d’avoir encore une trentaine de chansons en stand-by.
Le RAP m’a permis de reprendre confiance en moi, d’avoir le courage de dire tout haut ce que je pensais tout bas et surtout tout seul dans ma chambre, de dénoncer ce que je trouvais anormal.
Le rap m’a également aidé à comprendre les mécanismes et les canaux de l’écriture, tout en développant mon vocabulaire, ma culture et surtout ma créativité ceci en stimulant au quotidien mon intuition pour faire jaillir mon inspiration.
Chaque fois que mes camarades me disaient « tu t’es vraiment perdu en médecine, tu es rappeur ou médecin ? » moi je leur répondais toujours :
« c’est lorsque nous allons finir cette formation que vous allez comprendre l’importance de la maîtrise de plusieurs disciplines à la fois ».
Parlant de plusieurs disciplines, c’est ainsi que durant mes études de médecine, je m’intéresse à l’intelligence économique.
En me plongeant dans cette discipline, je découvre quelque chose d’hallucinant !
Je n’aurai jamais imaginé qu’une chose qui paraît si simple, puisse être aussi puissante au point de pouvoir détruire ou contribuer de manière efficace au développement d’un pays: cette chose c’est LA CULTURE.
AUCUN PAYS ne s’est développé sur le plan économique en adoptant la culture d’un autre pays, raison pour laquelle la CULTURE est l’un des éléments stratégiques les plus importants en intelligence économique.
En sociologie, la culture est définie de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude », c’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et créé.
Ainsi, pour une institution internationale comme l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social.
Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances »
Sur le plan du patriotisme économique, la culture permet d’orienter les comportements et les attitudes de consommation.
L’analyse de la culture est donc un outil d’aide à la décision.
Elle permet de mettre un bien ou un service en cohérence avec les attentes, le système de pensées et les pratiques locales.
Étudier la culture, c’est étudier la vie quotidienne. Il s’agit de comprendre comment les gens font les choses, comment ils voient les choses, et ce qui est important pour eux dans leur vie de tous les jours.
Les individus sont des êtres culturels qui ont été façonnés par leur culture et les expériences partagées. Nos habitudes sont inscrites dans notre culture. La culture influence de la manière la plus profonde nos comportements, en particulier ceux qui nous semblent les plus évidents et les plus naturels.
Les codes culturels sont intégrés et incorporés tout au long d’un processus de socialisation. La culture est partagée et collective. Elle constitue la part inconsciente de nos comportements car elle est intériorisée. Nos comportements sont dirigés par des significations profondes qui dépassent notre vie individuelle. Les décisions et les choix possibles ne sont pas illimités.
On ne produit ni ne consomme n’importe quels biens. Les biens ont une signification par rapport à un système de valeurs. Par exemple, la culture définit dans l’alimentation, ce qui est bon à manger ou pas et manger ce n’est pas seulement se nourrir, c’est surtout ce qui est bon à penser.
La culture influe sur ce que nous voyons, comment nous interprétons les choses et comment un environnement doit être organisé. Elle façonne nos perceptions, la manière dont on perçoit des marques, des services, des relations.
Comprendre la culture c’est gagner en prévisibilité et en visibilité. Cela permet d’appréhender l’univers d’autrui, afin de s’intégrer à sa réalité sans se renier soi-même.
C’est une stratégie syncrétique, d’accommodement réciproque.
Donc, la culture est un enjeu HAUTEMENT STRATÉGIQUE.
? Exemple : LE CINÉMA AMÉRICAIN
Il m’a fallu du temps pour comprendre qu’existe beaucoup de manipulations dans les séries américaines, mais qui dépassent carrément le simple niveau de notre conscience.
En effet, après la deuxième guerre mondiale, les américains ont créé un programme de prêts accordés aux différents États de l’Europe pour aider à la reconstruction des villes et des installations bombardées.
C’est cela qu’ils ont appelé « Le plan Marshall », officiellement connu sous le nom de programme de rétablissement européen, en anglais European Recovery Program : ERP.
Ces prêts étaient assortis de la condition d’importer pour un montant équivalent d’équipements et de produits américains.
En quatre ans, les États-Unis versent à l’Europe 16,5 milliards de dollars (l’équivalent de 173 milliards de dollars en 2018).
Mais, l’un des points subtils de cette aide, qui en réalité n’en était pas une, c’était l’aspect subliminal qui relève purement de l’intelligence économique.
En effet, en dehors de l’obligation pour les Européens d’importer des équipements et produits américains, le plan Marshall comprenait un aspect culturel et plus précisément médiatique.
L’Europe devait s’ouvrir à la culture Américaine, notamment à travers le cinéma.
C’était l’une des conditions sine qua non.
En effet, le but subliminal était de pousser les européens à intégrer sur le plan subconscient la domination des américains sur tous les plans, mais ceci via le cinéma ou plus globalement la culture américaine.
C’est la raison pour laquelle, par exemple, dans ces films et séries, le héros est toujours un Américain qui vient sauver le monde des méchants et les terroristes qui sont toujours, comme par hasard, soit des Russes (guerre froide oblige), soit des Chinois (guerre économique) ou alors des musulmans (guerre religieuse).
C’est bien évidemment fait à dessein pour pousser l’inconscient collectif du téléspectateur à penser que les Américains sont les plus forts du monde (militairement et économiquement), et que c’est leur culture et même leur style alimentaire que nous devons adopter à travers des marques comme Mc Donald ou Coca-Cola.
C’est ainsi qu’à travers le cinéma, ils nous poussent à adopter leurs marques, raison pour laquelle dans ces séries par exemple, lorsque quelqu’un est considéré comme étant très intelligent, il utilise en général un ordinateur Apple ou alors il a tout simplement un iPhone.
Je commençais à comprendre qu’en réalité, devant l’écran que nous aimions bien regarder, une guerre se jouait en réalité sans que nous en eussions conscience.
C’est ce qu’on appelle l’intelligence économique.
Pour revenir à la culture, selon Abdelmadjid Amine, elle peut être définie comme « un ensemble de valeurs, de croyances, de symboles, de mythes, de coutumes, de traditions partagées par des individus à un moment et dans un espace donné ».
Donc, adopter la culture de l’autre, c’est développer de manière inconsciente et subconsciente des attitudes et des comportements en sa faveur et dans laquelle nous serons toujours des subalternes, et la transmission de cette culture se fait à travers plusieurs canaux, comme la langue.
C’est la raison pour laquelle, il existe des mots en nos langues maternelles qu’il est impossible de traduire en d’autres langues en gardant le sens originel.
Parce que, la langue est le vecteur de notre identité, la science de nos ancêtres, de toute notre histoire, plus simplement de notre culture.
Renoncer à notre culture, c’est briser la chaîne que nos ancêtres ont battis durant des millénaires et à travers laquelle, ils ont véhiculé des savoir-faire sur le plan médical, technologique, etc. que nous ignorons aujourd’hui par adoption de la culture des autres.
Les étrangers n’ont donc AUCUN intérêt à ce que nous adoptions notre culture, encore moins à nous aider à la développer.
Leur objectif est plutôt pour nous d’adopter la leur, puisque ainsi, ils auront un ascendant psychologique sur nous, et ils pourront nous pousser à adopter des attitudes et des comportements allant dans le sens de leur croissance économique; nous aurons toujours une attitude condescendante vis-à-vis d’eux, comme c’est le cas lorsque nous adoptons la religion des autres.
C’est aussi de l’intelligence économique!!!
Quel intérêt une multinationale étrangère aurait-elle à contribuer au développement de la musique camerounaise ?
AUCUN !!!
Au contraire, le faire serait se tirer une balle dans le pied puisque.
L’art musical est aussi un aspect de la culture qui par essence, permet de développer un esprit critique, doper le nationalisme en permettant à l’individu de se connaitre et de mieux s’estimer par rapport aux autres.
La culture permet d’augmenter l’estime de soi, tout en amplifiant notre désir d’indépendance vis-à-vis de tout ce qui est étranger à notre identité (y compris sur le plan économique).
Pour se faire respecter par l’autre, il faut lui montrer que nous aussi, nous avons notre culture. Singer la sienne fait de nous, des esclaves tout simplement. Raison pour laquelle, même dans le domaine musical, nous devons innover en proposant un style qui correspond à notre culture et ainsi créer notre référentiel de compétence, différent de celui des autres.
Le développement de la culture de facto permet une croissance encore plus rapide de notre patriotisme, y compris sur le plan économique. C’est pour cette raison que les pays comme la Chine interdisent systématiquement tout ce qui provient de la culture des autres et qui pourraient avoir un impact sur la leur, notamment en induisant des comportements sur le plan économique extraverti.
Il est par exemple interdit d’entrer sur le territoire chinois avec plusieurs bibles ou encore d’utiliser les réseaux sociaux américains (Facebook, WhatsApp, etc.)
Même au niveau du cinéma, les films provenant de Hollywood sont interdits en chine, raison pour laquelle ces derniers, pour ne pas perdre ce marché, ont décidé de faire des productions spécialement pour la Chine et d’autres production pour le reste du monde.
Car, les chinois sont conscients du pouvoir du cinéma dans le processus de modification des mentalités.
Ce qui est aussi le cas avec la musique !
Lorsqu’on observe ces faits, nous comprenons directement que les étrangers n’ont AUCUN INTÉRÊT à ce que nous puissions développer notre propre industrie musicale et plus globalement notre culture.
Nous devons tout simplement adopter la leur, dans laquelle nous seront toujours leurs subalternes, et des consommateurs de leurs produits.
Par contre, il est important de comprendre que plusieurs structures utilisent la situation décriée actuellement pour d’autres objectifs :
- 1. Frustrer tous ceux qui souhaitent contribuer au développement de la culture musicale du Cameroun et empêcher de facto le développement de l’industrie musicale Camerounaise (nuisible à leur intérêt)
Lorqu’un artiste étranger preste sur une même scène qu’un artiste local et se retrouve à gagner 5, 10 voire 20 fois plus que ce dernier, c’est un message fort qu’on souhaite passer aux autres artistes : laissez la musique, cela ne vous permettra pas de développer votre industrie, c’est perdu d’avance !
Surtout lorsqu’on sait que les problèmes de piraterie et les droits d’auteurs ne permettent pas à un artiste musicien de s’en sortir financièrement au Cameroun.
- 2. Blanchir de l’argent
En procédant ainsi, certaines multinationales peuvent facilement blanchir de l’argent, par un mécanisme simple :
? Exemple :
Inviter un artiste étranger et faire passer dans les médias l’information selon laquelle il a perçu 50 000 000 FCFA pour sa prestation.
Pourtant, en réalité, ce dernier n’a perçu que 20.000 000 FCFA.
Sauf que, dans les déclarations fiscales, la multinationale va justifier cette sortie d’argent comme étant les honoraires de prestation de cet artiste étranger, ce qui lui permet de blanchir facilement les 30.000 000 FCFA au-dessus !
L’artiste et son manager peuvent ainsi jouer le jeu puisque, cette déclaration permet d’augmenter la valeur du cachet de l’artiste lors des prochains événements dans d’autres pays.
Il est clair que, si un promoteur a l’information selon laquelle un artiste a eu un cachet de 50 000 000 FCFA au Cameroun, s’il voudrait l’inviter pour un concert au Gabon, au Sénégal ou en Côte d’ivoire, il sait qu’il ne pourra pas lui proposer une somme dérisoire.
Donc, l’artiste et son manager gagnent par cet effet d’annonce sur les prochains contrats puisque leur valeur sur le marché augmente.
La multinationale gagne en blanchissant plus facilement son argent et surtout, cela permet d’éviter le développement d’une véritable industrie musicale locale qui amplifierait l’autonomie et le patriotisme économique, nuisible à leurs intérêts.
Aucune multinationale ne peut contribuer de manière efficace au développement d’un pays, autre que le sien.
Une seule personne peut et doit contribuer au développement du Cameroun (notre quartier) et l’Afrique (notre pays) : NOUS-MÊMES !!!
Si nous ne le faisons pas, nous allons tous crever en silence…
Dr. Claudel NOUBISSIE