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Ma déception après les déclarations de Jules Domche sur Canal 2 international

Jules Domche3

Je viens de suivre, en différé comme toujours, la Grande interview de Canal 2, édition du 23 mai dernier au cours de laquelle Jean-Bruno Tagne a reçu sur son plateau Jules Domche, politologue et DG de Vox Africa.


Jules Domche3
Jules Domche, directeur général de la télévision panafricaine VOX AFRICA – Capture Ecran

J’ai été étonné par de nombreuses déclarations faites par Jules au cours de cette émission, notamment concernant le Conseil National de la Communication. Mon étonnement tient, non pas au contenu des opinions émises sur l’institution et ses hommes, mais sur l’absence ou la faiblesse des arguments convoqués pour appuyer certaines de ces opinions.

Quand j’entends dire que « Le CNC n’a pas été créé avec pour ambition de réguler le secteur des médias » ou que « L’Etat ne donne pas au CNC les moyens pour faire son travail », je suis un peu ahuri… J’étais impatient de suivre l’argumentaire qui appuie de telles déclarations et je suis resté sur ma faim, par la faute de Jean-Bruno Tagne qui ne laisse pas totalement à son invité la possibilité de construire sa démonstration, mais aussi du fait de l’interviewé qui est resté totalement aérien puisqu’il n’a rien dit sur les moyens et sur l’ambition de l’Etat…

Pas un seul mot n’a été entendu sur le contenu du Décret qui porte création du CNC et qui fixe les ambitions du Gouvernement en matière de régulation des médias. Pas un seul mot sur les moyens que l’Etat met à la disposition du CNC et dont Jules est manifestement ignorant. Je crois qu’il faut partir de l’existant pour critiquer. Et ma connaissance de l’existant est heurtée par les déclarations péremptoires de l’autre jour. Attention : je ne dénie pas à Jules, qui en plus vient de soutenir une thèse de doctorat sur la régulation des médias, le droit de critiquer. C’est, me semble-t-il, une espèce de pauvreté de sa critique qui m’étonne.

Pour avoir justement travaillé sur la régulation des médias privés au Cameroun, Jules Domche a dû se rendre compte que le CNC n’a pas le monopole de la régulation des médias. Le décret du 23 janvier 2012 qui réorganise l’institution le dit d’ailleurs de façon assez claire. Le ministère de la Communication et le ministère chargé de l’Administration territoriale exercent certains pans de la régulation des médias, souvent en concurrence avec le CNC. Il ne me semble pas que ce soit le même type d’organisation en France.

Je suis de ce fait étonné par la facilité des comparaisons que s’est permis l’interviewé de Jean-Bruno Tagne entre le CNC et le CSA. Si les deux structures sont chargées de la régulation des médias, elles sont loin d’avoir le même objet, le CNC travaillant sur l’ensemble des médias alors que le CSA se limite à l’audiovisuel. Elles ne travaillent pas dans le même environnement, compte tenu de l’organisation décrite ci-dessus. Je suis donc étonné par le parallèle qui a été tracé entre les deux sans la moindre réserve…

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Est-il possible pour le CNC seul de suivre l’ensemble des médias qui opèrent au Cameroun ou émettent en direction du Cameroun ? Contrairement aux affirmations de Jules Domche dont je doute qu’il se soit vraiment intéressé au mode de fonctionnement du CSA, même l’organisme français n’en serait pas capable. Il n’est pas possible de suivre tous les médias. En France aussi, c’est surtout les réactions du public sous forme d’alertes qui permettent au régulateur de s’autosaisir de certaines questions. Donc, le régulateur se fait forcément aider par le public. Il ne peut en être autrement, même si je suis d’avis que le régulateur français ne se contente pas seulement de traiter des plaintes…

Je m’interroge beaucoup sur le raccourci emprunté par Jules Domche pour faire comme si la régulation se faisait en modèle unique, celui de la France. Comment fonctionne-t-on ailleurs, notamment dans les pays de l’Afrique de l’Ouest ou les pays anglo-saxons ? Le CNC est membre des regroupements régionaux et internationaux où il est loisible de constater que ce qui se fait au Cameroun n’est pas unique au monde… On peut faire le débat sur la qualité de la régulation sans vouloir absolument invalider tout. Le politologue qui vient de soutenir avec brio sa thèse de doctorat devrait le savoir.

Je vais terminer par là : le supposé manque de formation en régulation et le conflit d’intérêt dans lequel vogueraient certains membres du CNC, dont moi.

Parlons d’abord du conflit d’intérêt supposé : Jules n’est pas le premier à penser que le fait d’être journaliste et directeur de publication, pour certains d’entre nous, membres du CNC, constitue un « problème fondamental » quand nous sommes appelés à nous prononcer sur le travail de nos “concurrents”. En 2013, au lendemain de ma nomination au CNC, j’avais eu une longue discussion sur le sujet avec Omer Mbadi, Parfait Siki et d’autres journalistes de la rédaction de l’hebdomadaire Repères. J’ai discuté avec plusieurs autres confrères de la question.

Le point de vue de Jules, Omer et Parfait se défend parfaitement, j’en conviens. Leur position a ses avantages, mais il faut savoir reconnaître qu’elle a pourtant aussi des limites. Dans le monde, il y a plusieurs écoles en matière d’appréciation de la distance que devraient avoir ceux qui sont préposés aux charges de régulation. Ce n’est pas ici le lieu de s’étendre là-dessus. Je n’ai personnellement aucune religion sur la question, mais je fais observer que le fait d’être journaliste et DP n’est pas la seule situation qui pourrait faire naître un soupçon de parti-pris (de conflit d’intérêt ?) quand on siège dans une institution qui connaît du travail des concurrents. J’aurais aimé que Jules dresse le portrait-robot du membre du CNC qui serait totalement à l’abri de tout soupçon de parti-pris… Ce pourrait être une tâche impossible, mais je suis impatient qu’il fasse se portrait-robot implacable…

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Avec un peu de recul, on devrait pouvoir comprendre que c’est le régulateur qui doit donner les gages d’impartialité et de compétente (je reviens sur la compétence). Le fait que le CNC soit composé de neuf membres aux parcours, formations, opinions politiques et backgrounds distincts peut concourir à l’impartialité. Cela ne la garantit pas, c’est vrai. La pression de l’environnement sur l’institution peut renforcer cette impartialité. Rendu quatre années après l’entrée en actions du CNC nouvelle version, je me serais attendu que quelqu’un qui se prévaut d’un positionnement scientifique pour en parler convoque les faits pour appuyer ses affirmations. Quelles sont les décisions qui ont été biaisées parce que certains membres du CNC avaient des comptes à régler à certains concurrents? Ça ne fait pas sérieux de parler en l’air.

Si Jules avait cherché à s’informer, il comprendrait que le CNC semble même plus porté à la sanction de ses propres membres qu’à autre chose. Etant l’un des premiers à avoir essuyé les foudres du CNC dont je suis membre (avec des démarches pour ma destitution de l’institution), je suis très bien placé pour en parler. Sans doute que Jean-Bruno Tagne pourrait en parler aussi…

S’agissant maintenant de la compétence des membres, violemment taclés par derrière par Jules Domche pour un défaut supposé de formation en matière de régulation, je trouve encore sa critique facile et totalement superficielle. Que sait-il de la formation des uns et des autres en matière de régulation ? Lui qui a travaillé au Cameroun comme journaliste sans être passé par aucune école de journalisme devrait mieux que quiconque se garder d’affirmer que pour exercer tel métier, en dehors de ceux qui sont organisés ainsi (médecine, architecture, etc.), il faille brandir un parchemin. Que pense-t-il de la formation sur le tas ? Des séminaires de formation, etc. ? Je pense qu’en prenant la peine de relire les attributions du CNC, il pourrait comprendre qu’on n’a pas besoin de brandir une thèse obtenue à HEC pour être membre du CNC. 


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