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Tribune : Un Historien décrypte le statut spécial annoncé pour le NOSO

Meyolo Joel veste

L’octroi du statut spécial pour les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest a été l’une des multiples résolutions du grand dialogue national sur la Crise anglophone qui s’est tenu du 30 septembre au 4 octobre 2019 à Yaoundé au Palais des Congrès.


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Joel Meyolo – capture photo

Lors du sommet du Forum de Paris pour la paix, le Chef de l’Etat a levé le voile sur cette résolution en annonçant ce statut spécial pour les deux régions anglophones du pays. Dans une tribune libre publiée sur les réseaux sociaux, le Dr Joël Meyolo  fait une analyse de cette recommandation qui sera bientôt une réalité au Cameroun. L’historien et écrivain pense que pour le contenu de ce statut spécial, il faut faire un retour dans les fondements de la Réunification.

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de cette tribune politico-historique.

STATUT SPECIAL POUR LE NOSO : LEÇON D’HISTOIRE, LE RETOUR DE LA REUNIFICATION

Lors d’une adresse à la nation le 10 septembre 2019 qui, inévitablement restera pour longtemps gravée dans la mémoire collective camerounaise du fait de son côté extraordinaire, le Chef de l’Etat Paul Biya, annonçait la tenue d’un Grand Dialogue National au cours duquel la crise dans la zone anglophone allait être débattue ainsi que d’autres problèmes auxquels font face les populations camerounaises. Le premier Ministre, qui au préalable a initié des descentes sur le terrain au Nord-Ouest et au Sud-Ouest, recevait légitimement la présidence des travaux. A la suite de nombreuses consultations, huit commissions furent mises sur pied.

Au bout d’une semaine d’échanges, elles rendirent leurs copies. A la lecture de celles-ci, il est loisible d’observer la multitude des résolutions proposées. Si l’on peut s’accorder sur le fait qu’elles fassent des propositions judicieuses pour résorber certains problèmes que connaît le Cameroun d’aujourd’hui, il est tout aussi honnête de reconnaître que certaines d’entre elles, notamment celles relatives à la résolution de la crise en zone anglophone appellent à la prudence tant elles suscitent diverses interprétations. Elles paraissent pour certaines, comme en inadéquation avec le contexte historique et les enjeux de la préservation ou du moins de la construction d’une identité narrative. A travers une analyse basée sur la double approche diachronique et synchronique, je démontrerai que les conclusions issues du Grand Dialogue National relatives à la résolution de la crise en zone anglophone ne sauraient se réaliser sans la prise en compte du phénomène central qu’est la Réunification. D’ailleurs, dès lors que l’on fait usage des expressions que sont le Nord-ouest et le Sud-ouest, il s’agit en réalité d’une évocation implicite de la Réunification. Dans la suite de l’analyse, consubstantiellement à la première orientation, j’établirai l’impérieuse nécessité de construire une identité narrative aujourd’hui en s’appuyant sur l’acte constitutif de l’Etat du Cameroun tel que nous le connaissons aujourd’hui, territoire aux 475 442 km².

La nécessité de se référer à la Réunification.

Dans le package des résolutions adoptées par les commissions au cours du Grand Dialogue National, figurent entre autre, l’octroi d’un statut spécial aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, réitéré à Paris par le Président Paul Biya lors du deuxième forum de Paris sur la paix. Ce statut particulier, en fonction des conclusions, intègre plusieurs éléments dont notamment le retour de la Chambre des Chefs ainsi que certains aménagements spécifiques.

Si l’octroi d’un statut spécial pour les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest s’offre comme une possibilité au regard de la loi fondamentale, il est davantage une nécessité quand on se plonge dans l’univers Cameroun d’aujourd’hui. Toutefois, il est impératif que cette décision spécifique, s’accompagne d’une réforme totale du rapport que les Camerounais ont avec leur Histoire. Faut bien que l’on s’accorde, la perception que cette analyse a du Cameroun est le territoire aux 475 442 km², issu de la Réunification. On peut bien évidemment épiloguer là-dessus, les écoles peuvent s’affronter comme elles le veulent, mais il y a une certitude historique. Le Cameroun aux 475 442 km² est la résultante de la Réunification intervenue le 1er octobre 1961. Partant de là, cet événement constitue la pierre angulaire de l’histoire du Cameroun tel qu’on le connait aujourd’hui. Il convient alors, dans la construction de la mémoire collective qu’une place de choix lui soit réservée.

En ce qui concerne le statut spécial dont pourraient bénéficier les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, l’article 62 de la Constitution de la République du Cameroun du 18 janvier 1996 indique « sans préjudice des dispositions prévues au présent titre, la loi peut tenir compte des spécificités de certaines Régions dans leur organisation et leur fonctionnement ». La mise en application de cette disposition constitutionnelle a le mérite de susciter l’adhésion de la majorité des populations et constitue un satisfecit pour une catégorie d’historiens camerounais à laquelle j’appartiens. En réalité, la réalisation de ce projet consacre le retour à l’ordre existant entre le 1er octobre 1961 et le 2 juin 1972. Dans cet espace chronologique s’est exprimé l’Etat fédéré du Cameroun Occidental acquis à la suite de la Réunification. Même s’il est possible de s’interroger sur la réalité du pouvoir que possédait cette entité après la nomination d’un Inspecteur Fédéral le 20 octobre 1961, faisant du Premier Ministre de l’Etat fédéré du Cameroun Occidental, un personnage anecdotique du dispositif administratif ; il n’en demeure pas moins que cet épisode de onze années était rempli de symboles. Les camerounais de cette partie du pays, comme ceux de l’autre rive du Moungo, faisait l’expérience administrative hérité de la présence occidentale. De ce fait, la politique de l’indirect rule, sans trouver sa pleine expression, en était toutefois le mode de gestion adapté aux réalités. C’est dans ce sens qu’il convient de comprendre la présence, aux côtés de l’Assemblée Législative du Cameroun Occidental (ALCAMOC), d’une Chambre des Chefs. Certains y verront à l’évidence une forme de mimétisme puéril, mais en fait, cette option rendait mieux témoignage de la réalité sociologique et de l’organisation politique des sociétés du Nord-ouest et du Sud-ouest, où les structures de gestion des communautés antérieures à la présence occidentale existaient.

La signature de l’ordonnance n°72/3 du 21 juillet 1972 portant suppression des Assemblées législatives et de l’Assemblée des Chefs peut être considérée comme la dernière des étapes visant à nier le processus qui a abouti à la Réunification et elle-même d’ailleurs. Ce n’est que chose normal quand on se rend à l’évidence qu’après la Réunification, les autorités de Yaoundé ont pris l’option du système jacobin hérité de l’administration française.

La proposition du retour de la Chambre des Chefs, quarante-sept années plus tard, est un retour à l’ancien, une sorte d’égalité retrouvée. Contrairement à une certaine tendance d’historiens et d’intellectuels qui voient en la prise en compte des héritages coloniaux et administratifs franco-britanniques un recul, au nom d’une authenticité africaine, j’oppose une idée simple. Le passé colonial africain est une réalité qu’il convient d’accepter comme une étape parmi tant d’autres de son histoire, et d’en faire un usage intelligent. Car de toute évidence, il est difficile, voire impossible d’identifier une nation qui s’est soustraite des influences extérieures. Le discours tendant à faire admettre aux Camerounais les rapprochements entre les populations de divers coins du pays, au détriment du discours sur la construction d’une identité en se fondant sur la Réunification est dangereux. L’unité aujourd’hui au Cameroun n’est pas à recherche dans les similitudes utopiques d’un passé ancestral, mais bien plutôt dans la consolidation du vivre ensemble harmonieux entre les entités sous mandat et puis sous tutelle franco-britannique. Cette démarche a le mérite de placer au-dessus des fantasmes aléatoires, la poursuite d’une réalité palpable que j’identifie comme étant l’identité narrative.

Le statut spécial pour le NOSO et le début d’une ère nouvelle

Du point de vue de l’héritage historique, l’octroi d’un statut spécial au NOSO est une avancée notoire dans le processus qui amènera inéluctablement à la construction de l’identité narrative camerounaise. Au-delà du retour à l’ancien comme démontré plus haut, cette action entrainera des mutations profondes dans la symbolique, dans la perception et dans la fonction de l’Etat du Cameroun.

S’agissant de la symbolique, il est question de démontrer aux yeux du monde que les autorités camerounaises ont enfin compris que le phénomène de la Réunification est désormais au cœur de la vie nationale. Dans ce sens, il est impératif que le discours sur l’unité nationale cesse d’être confiné à un simple slogan, mais épouse la réalité de sa signification. Dans cette perspective, la date du 20 mai qui jusqu’ici a été retenue pour la célébration de l’unité nationale doit disparaitre. Car en réalité, le référendum du 20 mai 1972, constitue une étape importante du processus de négation de la Réunification. Il est donc paradoxal d’octroyer un statut spécial au NOSO et maintenir la célébration de la fête nationale le 20 mai. C’est pour cela que je suis investi dans un projet de refondation de la fête nationale qui trouverait la saine expression le 14 mai en référence au 14 mai 1962, date d’ouverture de la première session de l’Assemblée Nationale Fédérale issue de la Réunification, première instance regroupant les Camerounais des deux rires du Moungo. Cette modification salvatrice aura un impact sur la perception que l’on aura désormais de la République du Cameroun.

Concernant la perception de l’Etat du Cameroun, le débat a longtemps été entretenu sur l’appellation officielle du Cameroun après que le Président Paul Biya a décidé de la transformation du nom qui est passé de la République Unie à la République du Cameroun. Pour beaucoup et surtout pour les Camerounais originaires des zones anglophones, ce fut un mauvais choix, car semble-t-il, il s’agissait ni plus, ni moins d’un retour à l’appellation qui a eu cours entre le 1er janvier 1960 et le 30 novembre 1961. Ce débat à mon sens prend légitimement fin quand on se rend à l’évidence que parler de la République Unie ou du moins revendiquer son retour est en fait une négation de l’importance de la Réunification.

Au sujet du fonctionnement de l’Etat, le statut spécial va sans doute être à la base de nouveaux comportements managériaux. Faut bien que l’on se dise que depuis la Réunification, le système de gestion des affaires publiques a été celui inspiré de la formule française. Peut-être est-il temps, et ceci reste un vœu, qu’émerge une formule plus à l’anglaise qui témoignera davantage du double héritage acquis du passé camerounais.

Dr Joël Meyolo

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