in

Chronique : Le cannibalisme numérique

cannibalisme numerique

Le numérique fait partir aujourd’hui de notre quotidien. Nous sommes dans la société du tout numérique ou quasi-numérique. L’on parle de génération numérique pour qualifier les utilisateurs de cette révolution contemporaine. Dans une tribune libre, le philosophe Chritian Alain Djoko Kamgain présente les avantages des outils numériques, ainsi que ses inconvénients. celui qui est par ailleurs juriste, propose des solutions pour mettre fin aux dérives en ce qui concerne l’utilisation des outils numériques. Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de cette chronique diachronique.


cannibalisme numerique
Deux personnes et leur outil numérique – DR

Nous vivons à une époque où l’identité réelle se double irrémédiablement d’une identité numérique. Qualifié aussi d’« âge digital », cette époque témoigne du triomphe de l’hybridité comme marqueur de notre identité définitivement en mouvement. Le versent numérique de cette identité est supportée par nos différents comptes Twitter, Instagram, LinkedIn, Facebook, WhatsApp, Snapchat et bien d’autres à venir. Ces avatars sont autant de fenêtres qui ouvrent sur des espaces de socialité (réseautage, rencontres, etc.) On ne compte plus le nombre d’emplois trouvés ou de luttes sociales remportées grâce au réseaux sociaux (RS). On ne compte plus le nombre de belles collaborations professionnelles, académiques ou militantes qui ont germé à partir d’un tweet, d’un statut Facebook ou d’un groupe WhatsApp.

En plus d’être des lieux de numérisation du lien social, les RS sont aussi des espaces d’apprentissage et de démocratisation de la parole citoyenne. La constellation de petits tweets ou statuts qui défile constamment dans notre fil d’actualité, agit comme des coups de bistouri dans la chair profuse du quotidien et contribue à la formation d’une conscience citoyenne.

 La magie des RS c’est aussi toutes ces petites douceurs amicales ou amoureuses qui se nouent et s’écrivent quotidiennement avec joie et succès à l’ombre des chicanes numériques. Parfois, on se retrouve à taper le divers avec des gens qu’on n’a jamais vu dans la vie réelle. Il y a définitivement des sympathies numériques si réelles que, discutant pour la première fois, on semble se retrouver.

La face hideuse

Je noterai cependant que les RS charrient aussi leur lot de laideur et de violence inouïe. L’actualité n’est malheureusement pas avare en exemples de cyberintimidation chez les jeunes. Pensons également aux différents commentaires haineux et tribalistes qui ponctuent depuis peu le quotidien des camerounais sur les réseaux sociaux.

Quant à Twitter-237, c’est l’arène, la tcham. Un octogone sans règles comme diraient certains. Pour les introvertis et les adeptes du « peace and love », il a quelques fois des allures de terrain miné. C’est le règne des égos et des quérulents qui préfèrent le combat au débat. C’est le supermarché où toutes les opinions communient dans l’excommunication, la condescendance, l’exclusion et le goût morbide pour l’humiliation. À moindre erreur, l’esprit de meute s’abattra sur vous à coup de Koch, de « shades » implicites ou explicites. Autant dire qu’il est préférable d’avoir l’épiderme bien solide lorsqu’on s’aventure activement sur ce réseau-là.

Pour approfondir :   Baudelaire Kemajou : « Le problème du Cameroun et de l'Afrique en général est celui de la gouvernance »

Les interactions sur les RS ressemblent également aux cliquetis qui meublent les rendez-vous politiques du dimanche sur les chaînes de télévision camerounaises. Là où l’un des interlocuteurs exprime son inconfort ou une idée divergente, l’autre y voit trop souvent une attaque personnelle. Il est sans utile de souligner à ce niveau qu’une idée bien exprimée par X n’est pas nécessairement une remise en question des capacités intellectuelles de Y. D’aucuns devraient se garder de voir dans leurs lacunes, la condescendance (imaginaire) de l’autre. De la même manière, X ne doit pas considérer les lacunes/obscurités de Y sur un sujet donné comme une occasion de l’humilier. 

Au registre des constats, il est également loisible de noter que les RS sont devenus au fil du temps des espaces de règlement de comptes et des usines à production de réputations. Une véritable foire d’empoigne numérique où « rien ne semble contenir désormais les pulsions de haine, d’envie et de jalousie, la soif de blesser, les furieux désirs de meurtre et de vengeance ». Il suffit que quelqu’un créé un compte et raconte des inepties sur vous pour qu’immédiatement votre réputation en ressorte entachée. À l’évidence, l’âge numérique renforce la vanité et répercute très largement le Tchotchori, qui était jadis circonscrit au village, au quartier, à la ville… « beaucoup, de nos jours, sont disposés à relayer toutes sortes de pseudo-informations, sans se soucier d’en vérifier la véracité, et même lorsqu’elles n’ont pas d’auteur identifiable. Il suffit, pour cela, que le faux parvienne adroitement à se cacher derrière l’illusion de vérité. » (Mbembe)

Et même si vous réussissez à démontrer que le Kongossa, les accusations ou les insinuations dont vous faites l’objet sont fausses, le mal est déjà fait. C’est un peu comme ces bagarres du kwatt au cours desquelles celui qui assène le premier coup est immédiatement déclaré vainqueur par les rires moqueurs du public. Cette situation est d’autant plus absurde que ceux et celles qui se livrent à un tel exercice n’en tire aucun bénéfice si ce n’est un sentiment de vengeance ou de vaine gloire instantanée et passagère. Mais qu’importe, les badauds numériques aiment ça.

Je dirai pour conclure cette section que le plus difficile sur Twitter n’est pas d’être raillé pour avoir avancé une phrase malheureuse, un raisonnement douteux ou un propos déplacé. Le plus difficile c’est de devoir composer avec la longue mémoire de ce réseau-là. À la moindre occasion, il se trouvera toujours une personne pour vous rappeler votre passif. Le droit à l’oubli y est quasi-inexistant. Hélas!

Pour approfondir :   Yaoundé : Le préfet du Mfoundi interdit la marche du MRC

Kit de survie

Au moment où s’esquisse difficilement une civilité numérique, il semble utile de rappeler que les insultes, les intimidations, les accusations mensongères peuvent avoir des conséquences réelles dans la vie des gens. Faut-il que l’on soit confronté à des cas de suicide avant que l’on prenne collectivement conscience que le civisme ne s’arrête pas aux portes du numérique ? Il y a là un défi civilisationnel, éducatif et moral que nous interpelle toutes et tous. Comme jamais auparavant, nous devons penser à nouveaux frais nos identités, nos socialités, nos civilités et nos vulnérabilités à l’ère du numérique.

En attendant voici une petite liste de bonnes pratiques à adopter si vous voulez survivre aux différentes turpitudes, turbulences et méchancetés qui peuvent quelques fois émailler votre vie digitale. La liste est loin d’être nécessaire.

  1. Évitez les attaques personnelles, mais surtout éviter de vous ingérer dans les clashs.
  2. Utilisez le plus souvent des émoticônes pour traduire votre humeur du moment. La manière de dire les choses est presque aussi importante que ce que l’on dit. Parfois une très bonne idée est dévoyée par le « ton » employé par l’émetteur. Il s’en suit alors des digressions et quiproquos qui finissent parfois en querelles inutiles.
  3. Recourez à la fonction blocage quand cela s’avère nécessaire. Une chose est de composer avec les avis divergents ou contraires aux vôtres, une autre est de se faire constamment « troller » ou harceler.
  4. Faire preuve de générosité interprétative, c’est-à-dire donner la plus grande rationalité à l’argument de l’interlocuteur pour mieux le comprendre, et mieux le critiquer si nécessaire.
  5. Savoir déceler et neutraliser vos propres vulnérabilités. Comme dans la vie réelle, un état de fatigue ou de colère n’est peut-être pas le moment approprié pour engager une discussion sérieuse sur les RS.
  6. Retenez enfin que ceux et celles qui ne pensent pas comme vous ne sont pas nécessairement en dehors de la rationalité. Ils voient simplement les choses différemment. Accordez-vous rapidement sur votre désaccord et avancez.

Christian Djoko


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

trahison en politique univers

Tribune : La trahison en politique

lydia gm

Cameroun : Une vieille femme revendique la maternité des enfants de sa fille à Yaoundé