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Tribune : La trahison en politique

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La trahison est émotion inhérente à la vie humaine. Personne n’y échappe. Aucun secteur de la vie publique n’y échappe. Dans une chronique, le philosophe et juriste Christian Alain Djoko Kamgain aborde la trahison du point de vue politique en contexte camerounais. Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de cette chronique factuelle.


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Pr Nkou Mvondo et le parti UNIVERS – DR

Présente dans toutes les interactions humaines, et plus encore en politique, la trahison renvoie à l’idée d’une transgression des règles du jeu, d’un manquement à la parole donnée, d’une loyauté brisée, d’un coup bas sur fond d’opportunisme. La scène politique camerounaise n’y échappe pas. Il suffit de se remémorer les revirements politiques intervenus à la veille des élections présidentielles de 2018 pour mesurer à quel point cette pratique fait partie des mœurs politiques. Ce qu’il y a de plus inquiétant cependant c’est de constater que cette pratique n’est plus seulement l’apanage de quelques grabataires en fin de carrière politique, mais le partage d’une grande partie de la jeunesse camerounaise. Celle-là même qui claironne constamment vouloir faire la politique autrement.

Étrange milieu tout de même que celui de la politique, où l’on trahit d’abord son maître à penser, son candidat à l’élection présidentielle, ses camarades de parti, ses convictions idéologiques, ses engagements politiques sans oublier de se trahir soi-même et la parole donnée, et où chacun démonise l’autre avant de cheminer à ses côtés main dans la main comme si rien ne s’était passé.

La faim justifie les moyens (?)

 

En fait, si la trahison est particulièrement ancrée au Cameroun, c’est parce que bon nombre de personnes la plupart des personnes qui s’engagent en politique, le fond d’abord pour satisfaire leurs besoins physiologiques tels que consignés par la pyramide de Maslow. Autrement dit, le principe actif de l’engagement politique au Cameroun, pour certains du moins, ce sont les affects et plus spécifiquement le ventre. Les gens ont faim. Et c’est précisément que changer de couloir se fait généralement sans état d’âme. C’est précisément parce que le mobile de leur engagement est fondé sur le njangui ou la tchop qu’ils n’hésitent pas à changer de bannière politique au gré des prébendes et opportunités offertes ou promises. Comme des tchioristes, leurs attaches ou opinions politiques sont fonction du plus offrant. « Ça laisse qui? » diront certains.

Ces finguong (vendeur du pays en ghomàlà) ou dikokon (valet ou traite en langue Bàsàa) avanceront surtout que la trahison fait partie des jeux de pouvoir. En tant qu’activité compétitive, elle induirait certains comportements (tactique, pragmatisme et d’opportunisme) et justifierait par la même occasion la trahison comme nécessité politique. Au XVIe déjà, Machiavel relevait qu’il était extrêmement dangereux pour un homme politique de s’encombrer de considérations et scrupules moraux : « L’homme qui en toutes choses veut faire profession de bonté se ruine inéluctablement parmi tant d’hommes qui n’ont aucune bonté. De là il est nécessaire au Prince, s’il veut se maintenir au pouvoir, d’apprendre à pouvoir ne pas être bon, et d’en user et n’en pas user selon la nécessité », écrit-il alors dans Le Prince.

Dans le même sillage, l’évangile chrétien nous rappelle constamment que Judas a trahi Jésus pour quelques pièces. En remontant l’histoire du Cameroun, on peut également citer Jacques Bidjoka, André-Marie Mbida, Pierre Dimalla ou encore Guillaume Bisseck. Ce dernier a été retourné par l’administration coloniale au point de devenir l’un des plus violents pourfendeurs de l’UPC originelle. C’est aussi le cas d’Ahmed Nzoko (premier secrétaire général de la société néotraditionnelle dénommé le Kumzse) qui, échaudé par son incarcération en septembre 1950, se livra à une longue série d’autocritiques publiques et saillies contre ces ex-compagnons de lutte. Il sera d’ailleurs propulsé 5 mois plus secrétaire général de l’ESOCAM, mouvement violemment anti-upéciste. Plus proche de nous, on peut citer Bello Bouba, Augustin Frédéric Kodock, Issa Tchiroma Bakary ou et surtout Jean de Dieu Momo qui est incontestablement l’exemple récent le plus illustratif de cette indigence morale.

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Le temps des finguong

Je pense aussi à tous ces jeunes militants qui prennent subrepticement leurs distances à l’égard du MRC. Le stratagème est partout le même. Du jour au lendemain, ils multiplient des propos équivoques à l’égard du parti et des instances. Puis quelques jours après, ils n’hésitent pas à trouver des circonstances atténuantes au dérives du pouvoir ou à célébrer subtilement les actes des partis apparentés au régime.  

Ces différents revirements n’ont rien en réalité d’étonnant. Le régime de Yaoundé semble a fait ses classes au sein de l’administration coloniale. Dans le lettre qu’aurait adressé Gaston Deferre à Pierre Messmer en 1956 à propos de l’UPC il écrit ce qui suit : « Il faut dès maintenant chercher par tous les moyens à semer le désarroi en son sein pour créer une scission entre les mouvements et les personnalités qui y ont adhéré. C’est un courant fort qui ne doit pas exister et nous ne pouvons réussir à réaliser nos projets que si nous pouvons opérer une division entre les personnalités ou mouvements qui y font bloc ». 

Il ne fait aucun doute que le régime de Yaoundé utilise le même référentiel pour pousser le MRC (et bien d’autres partis) hors du champ politique. Il essaye de depuis longtemps de corrompre les militants de ce parti afin d’affaiblir l’aura dont celui-ci bénéficie actuellement au sein d’une grande partie de la population. Il est évident que l’appât du gombo mobilisé à cette fin fait naître de nouvelles vocations politiques auprès des jeunes déjà en proie à une précarité sociale aigüe. Dès lors, pour mieux masquer leur opportunisme, ceux-ci n’hésitent d’ailleurs pas à s’anoblir généreusement du titre de « républicains », « patriotes », etc.

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J’écris d’ailleurs ce billet en étant convaincu que le temps des trahisons massives arrive. L’inévitable bouleversement politique qui pointe à l’horizon donnera lieu, dans les mois et années à venir, à de spectaculaires retournements de veste. On verra de nombreux jeunes jadis engagés dans un mouvement de résistance ferme et pacifique contre la tyrannie du régime Biya se dédire. Sous le fallacieux prétexte de divergences idéologiques, de désaccords stratégiques, de dissensions internes ou d’émancipation politique, ils vendront au plus offrant le capital sympathie et politique accumulée dans le sillage de leur activisme au sein de l’opposition résolue.  

Les noces de l’éthique et de la politique

Si la famine est un facteur aggravant de notre vulnérabilité éthique, elle ne saurait cependant constituer l’excuse ou le paillasson sur lequel viennent s’écraser nos convictions et valeurs politiques. En dépit du fait que l’évocation de l’éthique est toujours récurrente que son effectivité, il est plus que jamais nécessaire rappeler que la politique au sens noble du terme est une affaire de principes, de valeurs et de convictions. Voilà pourquoi faire politique c’est croiser constamment le chemin de la mort. C’est envisager dans chaque acte que l’on pose la possibilité d’y laisser son confort, ses amitiés, sa peau, sa vie, tout court. Il ne peut y avoir de véritable politique sans éthique. Les deux sont indissociables. Et quand je parle d’éthique je fais référence à l’honnêteté, à la détermination, à la loyauté, à la fidélité aux idéaux de vérité et de justice qui ont si bien caractérisé l’engagement les pères et mères de notre « indépendance ». Marthe Moumié, l’épouse du président de l’UPC, raconte d’ailleurs dans son livre Victime du colonialisme français (p.60), comment l’administration coloniale à chercher en vain à corrompre son mari. « Vous serez riche, lui promet-on en lui proposant une liasse de billets, à l’exemple de Soppo Priso ».

Le long chemin vers la renaissance du Cameroun aura hélas son lot de trahisons. Il faut intégrer cette équation pour mieux la conjurer le cas échéant. L’histoire des nationalistes de ce pays est à cet égard riche d’enseignements et de pédagogie. Toutefois, aussi douloureuse que soit cette épreuve, elle permettra le moment venu d’apprécier le chemin parcouru. Elle permettra surtout aux camerounais(es) de goûter aux plaisirs de la victoire et de chérir une liberté chèrement acquise. Plus difficile est l’épreuve, meilleure sera la récompense.


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