in

Cabral Libii : « Surmonter le tribalisme-ethnicisme rampant »

cabral libii

Le Discours sur le tribalisme refait surface. Cabral nous propose l’extrait de son projet de société qui mène une réflexion pour sortir de ce vice qui met à mal l’unité du Cameroun. LeBledParle.com, vous propose l’intégralité de ce projet de société.


cabral libii
Cabral Libii – DR

Le Cameroun qui protège et qui libère les énergies

Ce qui nous singularise aux yeux du monde et qui doit fonder notre fierté est également une mine incandescente du fait des errements répétés. A peine naissait le « Kamerun » à la signature du traité germano-duala le 12 juillet 1884, que ce qui deviendra Etat camerounais, était constitué « propriété d’autrui » lors de la conférence impérialiste de Berlin commencée le 15 novembre 1884 pour s’achever le 26 février 1885. Difficile de dire que les peuples qui se retrouveront sur une parcelle de territoire au tracé des frontières duquel ils n’ont pas participé, partageaient tout de go, une envie réelle de vivre ensemble.

La suite apporte néanmoins quelques certitudes. La volonté d’unification et d’accession à l’indépendance exprimée le 17 décembre 1952 à l’ONU par Ruben Um Nyobe devant ses trois contradicteurs qu’étaient Alexandre Douala Manga Bell, Charles Okala et Louis Paul Aujoulat, apporte la preuve de l’existence d’un désir d’avenir commun partagé par certains camerounais. Toutefois si le trait d’union en ce moment de l’histoire entre camerounais était le désir d’affranchissement colonial, il n’est pas aisé d’affirmer qu’une nation a précédé l’Etat. Point n’est utile de toute façon, d’insister sur cette question au risque de s’enliser dans les débats doctrinaux qui opposent la thèse objective qui définit la nation comme une population ayant des caractères objectifs communs, comme la langue, l’histoire ou la religion et la thèse subjective qui elle, appréhende la nation comme un ensemble d’individus unis par des besoins communs et la volonté de vivre ensemble. D’ailleurs cette dernière thèse se trouverait légitimée par la lutte d’indépendance, nonobstant des dissensions internes. Toujours est-il que suite à l’abrogation de l’Accord de tutelle le 13 mars 1959 par l’ONU, lorsque le Cameroun oriental accède à l’indépendance le 1er janvier 1960, rejoint le 1er octobre 1961 par le Cameroun occidental, c’est une mosaïque dont la double ouverture sur la mer et sur le désert avait décidé du destin, qui est scellée.

S’entremêlent, sociétés acéphales, royaumes féodaux, chrétiens, païens, musulmans, filiations patrilinéaires et matrilinéaires…ce tout établi sur trois grandes zones humaines et physiques : les savanes du nord (Montagnards paléo-nigritiques-mafa, mofou, podokwo, mouktélé, mada…, Paîens de plaine-guidar, guiziga, moudang, toupouri, Paîens du fleuve Logone-massa, mousseye, mousgoum, Paîens de la Benoué et de l’Adamaoua-mboum, dourou, namchi doayo, koutine, laka, voko, niam niam, baya, babouté- Foulbé, Haoussa, Mandara, Kotoko, Arabe choa…), les forêts du Sud (Peuples de l’Est-bikélé, badjoué, djem, kaka, maka, pygmées, Groupe Pahouin au centre-beti, bulu, fang, peuples côtiers-bafia, yambassa, abo, pongo, yabassi, duala, batanga, bakweri, bassa…) et les Grassfields (bamiléké, kom ; bum, wimbum, nonni, ndop, widekum, aghem, nso, bamoun…).

Il s’agit d’un échantillonnage de groupes humains exceptionnellement pluriel. Cette diversité qui nous vaut le qualificatif fondé d’Afrique en miniature, a été au fil des années gérées en partie, sous le prisme de sombres calculs politiques qui ont relégué au second plan la capitalisation de la richesse dont elle est porteuse, au profit d’un jeu malsain d’équilibres politiques, aux conséquences insidieusement divisionnistes. Le Cameroun doit rompre définitivement avec la manipulation légère et inconséquente des ethnies qui transforme progressivement le jeu politique en affrontements interethniques déguisés. Et la tâche, par ailleurs, est loin d’être aisée. D’éminentes études anthropologiques démontrent à suffisance à quel point très peu de choses échappent désormais à l’ethnicisation : la religion, la presse, les partis politiques, les revendications politiques, les activités économiques, la fonction publique… Pendant que les rancœurs et frustrations s’amoncellent, un consensus de façade fait obstacle à l’évaluation de la profondeur du mal, laissant la déplorable impression qu’il est incurable. Il faut agir vite ! Le vivre-ensemble n’est pas un choix préférentiel, mais une contrainte existentielle.

Pour approfondir :   Vidéo - Lapiro de Mbanga réagit à propos du viol supposé de ses enfants

Le premier levier est éducatif. L’enseignement des langues et cultures nationales, comme le démontre nombre de chercheurs, est au cœur de plusieurs enjeux. Des enjeux socio-politiques et de cohésion nationale, des enjeux culturels et patrimoniaux visant la préservation de l’héritage ancestral, des enjeux identitaires et juridiques, puis des enjeux économiques autour de la participation plus accrue des populations à la production de la richesse nationale. C’est pourquoi au niveau du primaire et du secondaire il faut opérer une compartimentation communale, de sorte que tous les élèves scolarisés dans une commune, reçoivent à l’école, des enseignements dans toutes les langues de cette commune. Cela implique l’association étroite des municipalités dans la définition des profils de formateurs, afin que les recrutements dans les institutions de formation publique notamment, répondent à des attentes bien précises et inscrites de façon programmatique sur la durée.

A l’Ecole Normale Supérieure de Yaoundé il a été créé à titre expérimental en 2008, un Département de langues et cultures nationales dont les chiffres de recrutement n’ont fait que décroitre au fil des années, passant de 45 en 2009 à 23 en 2017 ce qui est la traduction d’un injustifiable désintérêt. De plus, le profil linguistique des enseignants formés est de l’ordre de plus de 50% pour les langues nationales Beti et Bassa, ce qui est une incompréhensible discrimination. Encore que la formation prototypique délivrée depuis 2009, présente malheureusement de réelles disparités avec la réalité linguistique de terrain. Il faut urgemment mettre un terme au désastre linguistique.

Pour ce faire, il faut accéder à la demande de création de trois Instituts des langues et cultures nationales correspondant aux trois grandes zones linguistiques, chargés d’encadrer la recherche à l’effet notamment d’ériger un guide d’interculturalité, manuel encyclopédique récapitulant l’ensemble des pratiques culturelles de toutes les communautés ethniques camerounaises. Ces instances seront également chargées d’orienter la formation. Car, pour combler des attentes estimées à plus de 8000 enseignants pour le seul secondaire, l’Etat doit recruter 1600 élèves-formateurs au moins par an et pendant 5 ans. Un nombre analogue d’élèves-formateurs doit être recruté pour le secteur de l’enseignement primaire et maternel.

La systématisation de l’enseignement des langues et cultures nationales dans chaque commune, va décloisonner les identités, entrainer l’identification croisée et provoquer l’appropriation commune dès le jeune âge et par tous, de la diversité. Le Nso à terme doit se sentir bassa parce qu’il aura appris qui il est et aura peut-être aussi appris à parler sa langue. Des concours nationaux, scolaires et universitaires de jeunes polyglottes participeront à exalter la fierté nationale. Etre camerounais c’est être pluriel. Et la construction de cette identité ouvre un chantier énorme qui met à contribution les linguistes, les anthropologues, les sociologues et les historiens et surtout nos autorités traditionnelles. Ce virage révolutionnaire doit être pris parce que les gisements de savoirs et connaissances enfouies dans nos cultures sont inestimables et indispensables à notre expansion économique.

Pour approfondir :   [Tribune] « L’exclusion des femmes des sommets régionaux en 2020: L'opprobre Républicain »

Le deuxième levier est l’enracinement et la préservation des diverses cultures. L’autre, dans son essence, doit devenir un sujet de découverte permanente. Nos cultures s’évanouissent dans la négligence et la pression outre-Atlantique. Dans le dialogue des cultures que crée la mondialisation, nous sommes aphones. Dans une approche égalitaire, chacune de nos cultures a une histoire, des personnages, une mythologie qu’il faut sanctuariser et transformer en produit d’attraction et en produit marchand. Le creuset de cette approche est la chefferie traditionnelle et la commune.

Le troisième levier est politique. Il s’agit précisément de mettre fin à l’opacité et de moderniser la réglementation de l’équilibre régional qui date de septembre 1982 en prenant en considération l’évolution démographique. Compte tenu des disparités indéniables qui persistent sur l’étendue du territoire national en termes de scolarisation et de développement, l’Etat a le devoir dans les concours et recrutements publics de poursuivre une politique d’équilibre, à laquelle on assigne des objectifs de rattrapage tout en l’inscrivant dans le temps. A cet effet, il faut fixer un délai d’évaluation de 10 ans au bout desquels devront être organisés les états généraux de l’équilibre régional. Durée pendant laquelle, l’Etat s’assure que les localités et peuplements les plus enclavés intellectuellement, sont équipés pour se projeter par le mérite. Toutefois pendant ladite période, la réglementation doit faire l’objet d’une révision n’accordant que 70% des places à pourvoir au régime d’équilibre. Il convient toutefois de préciser que la politique progressiste ponctuée de massification des recrutements altèrera progressivement et naturellement les déséquilibres.

Le quatrième levier est disciplinaire et fixé par une loi anti-ethnicisme inscrite sur une durée de 15 ans. Il concerne aussi bien le secteur public que le secteur privé. Toute entreprise ou établissement ayant pouvoir de recrutement doit être soumis à une obligation de respect de quotas. Pour les établissements et entreprises privées, en zone rurale le quota de 50% de recrutement de la ressource humaine locale, quand cela est possible, doit être respecté. En zone urbaine le quota de la ressource régionale locale est ramené à 30% et le quota des ressortissants de la région du promoteur à 30%. Pour les entreprises et établissements publics, l’autorité ayant pouvoir de recrutement ne peut excéder 30% d’octroi d’emplois au profit des ressortissants de sa région d’origine. Quant aux entreprises étrangères elles seront astreintes au respect de l’équité régionale.

Le cinquième levier est répressif. Avec fermeté, toute apologie du tribalisme dans tout espace public ou médiatique doit être réprimé selon les dispositions de la loi. De même des dénonciations calomnieuses à caractère tribal doivent connaitre une pénalisation stricte. L’objectif n’est pas de tabouiser le fléau mais d’éviter de le laisser tomber dans le champ de la banalisation.

Cabral LIBII


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

tonme momo

Shanda Tonme : « Momo représente dorénavant un vecteur de nuisance inacceptable(…) pour l’image du Cameroun »

Valsero Mimb

Martin Camus Mimb : « Gardez Valsero le politicien, Libérez l’artiste »