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Désarmement – Démobilisation – Réintégration : Programmé pour échouer ? (Chronique)

Fai Yengo Francis 1

Selon le célèbre bassiste camerounais Richard Bona : « Si on t’explique le Cameroun et tu comprends, c’est qu’on ne t’a pas bien expliqué ». Pourquoi rappeler ce fait anodin ? Parce qu’il ne l’est pas. En réalité, cet aphorisme témoigne à juste titre de ce qu’est la gouvernance actuelle du Cameroun. L’exemple nous a une fois de plus été donné le 30 novembre 2018. 


Fai Yengo Francis 1
Fai Yengo Francis, Coordonnateur CNDDR – DR

Ce jour-là en effet, Paul Biya a signé un décret (no 2018/719) portant création du Comité national de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration. L’article 2 dudit décret, stipule entre autres que le CNDDR est chargé « d’organiser, d’encadrer et de gérer le désarmement, la démobilisation et la réintégration des ex-combattants de Boko-Haram et des groupes armées du nord-ouest et du Sud-ouest désireux de répondre favorablement à l’offre de paix du chef de l’État en déposant les armes ». 

Aussi louable et ambitieuse qu’elle puisse être de prime abord, cette initiative pèche par son caractère prématuré et la malice politique qui l’accompagne. Ce qui relativement à la crise anglophone la condamne de fait à un échec cuisant. 

Le DDR : de quoi est-il le nom ? 

Il n’existe pas de définition standard et canonique du DDR. Et pour cause! Caque conflit à ses spécificités propres. Les mécanismes de résolution du conflit doivent à chaque fois tenir compte des spécificités propres à chaque conflit ou situation de guerre. Dans ce contexte, une démarche DDR doit être de texture suffisamment souple et agile pour prétendre répondre efficacement à sa mission.  Eu égard à cette approche pragmatique et nécessaire, l’ONU souligne cependant qu’il existe au moins quatre préalables (communs et invariables) sans lesquels il ne peut y avoir de DDR.

  1. La signature d’un Accord de paix

La signature d’un Accord de paix entre les belligérants constitue une des conditions essentielles à remplir avant d’entamer une démarche DDR.

  1. La confiance des acteurs dans le processus de paix

Si la confiance des acteurs est difficile à évaluer, il n’en demeure pas moins qu’elle constitue un préalable essentiel au succès du DDR. Comme le souligne l’ONU : « le manque de confiance retarde le DDR et l’absence de DDR ne fait qu’accroître la méfiance des parties envers le processus de paix. »

  1. La volonté des acteurs de participer au DDR

La volonté politique des différents acteurs d’entreprendre collectivement la démarche DDR constitue l’autre préalable nécessaire à la réussite du processus. 

  1. Les garanties minimales de sécurité
Pour approfondir :   Fo'o sokoudjou : « Le peuple côtoie la misère, la souffrance au quotidien sous le regard méprisant des dirigeants qui vivent dans une richesse insolente »

En l’absence de garanties minimales de sécurité, il peut s’avérer difficile d’inciter les belligérants à abandonner leurs armes.

L’art d’être hors-sujet 

Comme nous venons de le démontrer, le processus de DDR doit être précédé d’un Accord de paix dûment négocié. L’entente préalable entre les parties offre un cadre juridique (fondement et la robustesse) au DDR. Inverser cette préséance c’est mettre la charrue avant les bœufs ; c’est labourer les sables mouvants de la guerre en espérant y récolter d’hypothétiques fruits de la paix. Sinon, comment vouloir désarmer les gens à qui on prête indistinctement toutes sortes d’agenda caché ? Comment vouloir désarmer les gens à qui on n’a jamais daigné adresser une parole autre que méprisante et condescendante ? La paix ne se décrète pas. Elle ne s’impose pas. Elle s’enracine longuement dans la justice sociale et le dialogue sincère et respectueux. 

Si la réponse militaire contre la secte Boko-haram était fort justifiée, celle-ci est en revanche injustifiée, contre-productive et inopportune comme solution à la crise anglophone. Il y a lieu de rappeler que c’est la réponse répressive du gouvernement aux revendications sociales de 2016 qui a servi de fontaine de jouvence aux velléités fédéralistes et sécessionnistes jadis minoritaires. Dans ce contexte, l’art d’être hors-sujet consiste à faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. Un changement radical de perspective est nécessaire et urgent. On ne peut projeter de désarmer sans dialoguer. C’est un préalable nécessaire et indispensable. Qui plus est, il faudra bien plus qu’une multiplication des commissions budgétivores et un appel incantatoire à l’unité nationale pour réenchanter le sentiment d’appartenance au Cameroun. Le temps presse… Mais presse-t-il pour tout le monde ? Permettez-moi d’en douter.

Malice politique

En réalité, la faiblesse du design institutionnel de sortie de crise tel que proposé par le gouvernement Biya relève moins de l’amateurisme que de la malice politicienne. Sans doute, les stratèges du régime en place savent que la crise anglophone s’est installée pour durer. Ils savent également que Paul Biya ne fait probablement plus partie de la solution. Néanmoins, ils veulent d’une part gagner du temps et d’autre part donner l’impression que l’homme du 6 novembre agit encore. Bien plus encore, le régime Biya veut surtout reprendre le contrôle de l’actualité et de l’initiative. Ce faisant, il espère déplacer vers la « partie anglophone », les conséquences politiques et militaires d’une éventuelle dégradation de la situation humanitaire. Hostile à tout dialogue avec les « ambazoniens », Paul Biya veut néanmoins revêtir la figure de l’artisan de paix qui fait face aux apôtres du chaos.

Pour approfondir :   Crise anglophone : Un chef séparatiste déclaré persona non grata dans son Lebialem natal

En outre, la création de la CNDDR témoigne de ce qu’il convient d’appeler le « poussiérisme institutionnel ». Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de la politique de lutte contre la corruption. En dépit de la création de plusieurs d’instances chargées endiguer ce fléau, celui-ci demeure lancinant voire endémique. Les différentes instances créées ont tout au plus permis au régime de placer quelques affidés et de donner le sentiment qu’il agit.

Mutatis mutandis, c’est la même technologie politique qui est utilisée dans la gestion de la crise anglophone. La prolifération institutionnelle observée jusqu’ici n’a pas permis d’enrayer le feu croisé des armes, faite – entre autres – au nom d’une nation qui n’en est plus une, contre une république qui n’en est pas une. D’ailleurs, 02 ans après la création la Commission sur le bilinguisme et le multiculturalisme, quel bilan peut-on en tirer ? Quel est son impact dans l’écriture d’un nouveau contrat social ?

Ayons la lucidité de regarder la réalité en face. La crise anglophone n’est rien d’autre que le procès des cinquante années de gouvernance francophone. De fait, la solution à la crise ne peut être que politique. J’insiste. La science administrative et le droit ne peuvent réussir là où le politique a délibérément échoué. Sans réelle volonté politique, sans dialogue sincère et respectueux, le cadre institutionnel s’en trouvera nécessairement infécond et inopérant. Autant dire qu’en l’état actuel de la situation militaire et politique, eu égard à la volonté du coordonnateur récemment nommé, le processus DDR est programmé pour échouer. 

*Chronique précédemment parue dans Mutations.


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