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Christian Djoko : « Patrice Nganang est devenu un génie pathologiquement narcissique »

Christian Djoko et Patrice Nganang

Dans une tribune libre publiée sur sa page Facebook, ce vendredi 28 décembre 2018, le Juriste et Philosophe Christian Djoko s’en prend ouvertement à Patrice Nganang qu’il a défendu lorsqu’il embastillé à la prison centrale de Kondengui pour outrage au couple présidentiel. Christian Djoko pense que son compatriote s’est radicalisé entre temps et du coup n’attire plus sa sympathie. LebledParle.com est tombé sur cette tribune libre et vous le propose, ainsi que les tribunes dans lesquelles, il soutenait Nganang et répondait ouvertement à ceux qui étaient contre lui.


Christian Djoko et Patrice Nganang
Christian Djoko et Patrice Nganang – DR

*Patrice Nganang*

Autant j’ai défendu Patrice Nganang lors de son arrestation, autant je pense qu’il s’est radicalisé par la suite au point de devenir un des multiples « hérauts » décomplexés de la pensée sanguinolente.

Il a beau établir l’équation : « bulu=clique au pouvoir » que cela ne change rien à la portée mortifère de son propos. La question ethnique au Cameroun impose une approche courageuse -mais- délicate et pédagogique. Les généralisations (positives ou négatives) du type « les Bulus, les bamouns, les bamilekes, sont ……etc » sont toujours abusives.

Non, on ne combat pas le mauvais cœur avec le mauvais cœur…. on ne combat pas l’infamie avec la malfaisance. On ne construira pas le Cameroun nouveau avec une approche nihiliste et des raccourcis délétères. Seule la lumière peut chasser l’obscurité.

J’ai la faiblesse de croire qu’il y a longtemps que Nganang ne défend plus les causes. Il se sert des causes pour exister. En termes de récupération, il ferait pâlir N’golo Kanté. Il n’est plus ce génie généreux et incompris d’autrefois, il est devenu un génie pathologiquement narcissique. Comme quoi quand tu apprécies la poule elle ne se gêne pas pour déféquer sur ta main. On aurait pu ne trouver rien à redire si cela avait été sans conséquences. Que nenni!

On ne se trompe jamais lorsqu’il s’avère opportun de soutenir un ami, mais on se trompe toujours dès lors qu’on se sent -sur la base de cette fois là- obligé de lui apporter notre soutien en tout temps.

Mon grand-père disait souvent à ma grand-mère « Dis-moi quelques fois ‘non’ pour que je sente que nous sommes deux ». Les soutiens inconditionnels de Nganang devraient s’en inspirer, tout comme ils gagneraient à méditer sur cette autre pensée d’Aristote. En désaccord avec son maître et ami Platon, Aristote écrira:

« On peut avoir de l’affection pour les amis […]; mais la moralité consiste à donner la préférence à la vérité.» (Éthique à Nicomaque, Livre I, chap VI,(13),2)

Plus largement, je ne comprendrais jamais ceux et celles qui sous prétexte de combattre le régime malfaisant du Renouveau s’en prennent à l’ensemble des Bulu. C’est un ostracisme injustifié.

Le népotisme ou la corruption politique en son sommet est davantage clanique que tribale. La pauvreté et les injustices sociales touchent indifféremment toutes les ethnies y compris celle de Biya. C’est donc un système qu’il faut combattre et non une ethnie quelconque.

Gagner ses combats c’est aussi savoir identifier les véritables cibles, c’est-à-dire le noeud du problème.

La division et la haine entre les camerounais sont les armes les plus puissantes entre les mains de l’oppresseur. Elles constituent les poutres maîtresses du Renouveau. La matrice structurante. Voilà pourquoi il faut lui opposer une approche certes radicale, mais résolument inclusive et généreuse. Le bon coeur, jamais ne sera suranné.

Christian Djoko lorsqu’il a soutenu Patrice Nganang.

-Patrice Nganang, l’irrévérencieux-

L’écrivain, enseignant et activiste Patrice Nganang a selon toute vraisemblance été arrêté ce matin et se trouverait dans une des geôles du régime trentenaire.

Nganang est un personnage clivant, corrosif, baroudeur, polémiste, intransigeant et quelques fois caustique. Il est parfois dans l’outrage, l’arrogance, la démesure, l’excès, …un peu à l’image du genre romanesque qu’il enseigne aux quatre coins de la planète depuis plusieurs années. Il s’attaque aux dogmes inféconds, aux lieux communs tyranniques, au statu quo nihiliste. Il emmerde, bouscule. Sans fioritures, il écrit pour combattre la peur et chasser les injustices en pestant. Non sans nonchalance, il revendique une forme insubordination permanente à l’égard de l’ordre établi.

En réalité, tout ceci ne saurait surprendre ceux et celles qui le lisent, le connaissent et osent aller au-delà du moyen pour découvrir ce dont le signifiant est porteur, c’est-à-dire le sens éthique et politique. L’un de ses multiples ouvrages, « L’apologie du vandale », est de ce point de vue éclairant.

Au fond, Nganang veut congédier ce destin nabot dans lequel le Cameroun est enfermé depuis 1955. Il est profondément épris de justice sociale. Son baromètre d’appréciation, l’étalon de mesure à l’aune duquel il apprécie le réel et juge l’action n’est ni plus ni moins que l’option préférentielle pour la figure sociale de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger. Il ne cherche pas être aimé, adulé ou adoré. En revanche, il se veut constamment proche du faible, de l’exclu, du pauvre et de l’opprimé. C’est sa marotte, le mantra de cet iconoclaste engagé.

Eu égard à ses rapports quelques fois polémiques envers ses aînés intermédiaires comme il les appelle ; en dépit des propos outrageants qui peuvent à juste titre susciter l’émoi et la réprobation, il n’en demeure pas moins que Patrice est un intellectuel organique au sens lumineux que lui conférait si bien Antonio Gramsci ou Eboussi Boulaga.

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Aussi généreux que subversif, Patrice n’en est pas moins amoureux de justice, de liberté et d’égalité. Sa colère à l’égard du régime en place, celle-là qui éclate constamment en accents pathétiques, en réflexions rebelles et abrasives, est un puissant cri de cœur, une déclaration d’amour pour le Cameroun.

Vous pouvez enfermer l’homme, mais jamais vous ne pourrez enfermer cet amour insoumis ; cette liberté de pensée et d’action qui caractérise si bien l’homme. Aussi, le répète-t-il si souvent, le « lock chou » n’a pas plus droit de cité. Immanquablement!

Vaines sont les prisons humaines si tristement sourdes au message de liberté et de justice qui en émane. Viendra le grand jour où les sécurocrates les plus zélés chercheront en vain une prison pour se cacher. Tachons d’être du bon côté de la barrière. L’histoire est un juge implacable.

Patrice Nganang sera libéré.

Christian Djoko.

Indocile outrage-

On apprend que Patrice Nganang est accusé d’outrage à chef d’Etat. En réalité, je me doutais bien depuis son arrestation que l’objet du « crime » allégué était à rechercher du côté de cette publication Facebook dite « outrageante ».

Cela dit, c’est intéressant de lire les logorrhées juridiques des nouveaux pharisiens du droit. Ils parlent, dissertent, blablatèrent sur les technicalités juridiques qui ne veulent pas dire grand chose dans un pays où les 3 pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) se confondent fatalement dans les mains du président. Ils parlent d’outrage. C’est dans ces termes mêmes, une amusante contradiction et une parfaite illustration de ce que Patrice Nganang appelle le « pays captif ». Peut-on réellement parler d’outrage dans une tyrannie, fut-elle diffuse ou subtile ?

On ne peux souhaiter la mort physique même à son pire ennemi, mais lire le propos de Patrice autrement que dans le sens de la démesure artistique qui est fort critiquable intellectuellement au demeurant, est un non sens.

Et puis parlons peu mais parlons vrai. Parler de l’outrage en tyrannie a quelque chose de cocasse, surtout lorsqu’il met en scène un régime qui est comptable de:

– la mort des « 9 disparus de Bependa »

-la mort des « apprentis sorciers » de 2008 qui manifestaient contre la vie chère

– la mort de compatriotes anglophones

– la mort des milliers de camerounais en quête d’ « Eldorado européen » à cause de la gouvernance neopatrimoniale locale.

– la mort de ces hommes et femmes qui s’éteignent quotidiennement, au bout d’une longue agonie, faute de moyens ou de couverture médicale universelle.

– la mort sociale des milliers de diplômés au chômage.

– [la liste est longue….je vous laisse le soin de la compléter].

Voilà j’ai dit. Inutile de me brandir le petit lexique farci et éculé des alliés objectifs du régime qui confondent subrepticement paix, sécurité et pensée unique….. qui créent et entretiennent un amalgame douteux entre critique légitime de l’action gouvernementale et appel à la destabilisation. J’ai assez soupé de ce petit lait.

Et à tous les partisans de l’opposition qui profitent de l’occasion pour régler les comptes à Nganang parce qu’il serait très critique de leur champion, ayez de la hauteur, mais je vous laisse ce poème attribué à Niemöller :.

« Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes,

je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.

Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates,

je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.

Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes,

je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs,

je n’ai rien dit, je n’étais pas juif.

Lorsqu’ils sont venus me chercher,

il ne restait plus personne pour protester. »

Et si vous pensez que ce ne sont que des mots, rappelez vous que la parole depuis toujours est instigatrice, performative et même prophétique. Je ne vous souhaite pas mauvaise fortune, mais pensez-y.

Au demeurant, le seul pouvoir qu’un régime tyrannique peut avoir sur ses assujettis, c’est l’épouvantail de la peur et la menace de la mort. Mais dès qu’il a en face de lui quelqu’un qui est prêt au martyr pour la cause qu’il estime juste et noble, le régime s’en trouve inéluctablement sonné, désarmé, ridiculisé…

En réalité, chaque minute passée par Patrice Nganang ou tout autre opposant véritable en prison est une cuisante défaite du régime. Elle tend à s’enliser. Comme avec la crise anglophone, ils comprendront trop tard, hélas.

Et si ce qui vient d’être dit est susceptible de me vouer aux gemonies de ce régime, ainsi soit-il! Yaoundé, j’arrive.

Christian Djoko

8 décembre 2017

Christian Djoko répondant à Achille Mbembé, après sa tribune épistolaire contre Patrice Nganang.

Une si longue lettre à Achille Mbembe.

Cher Achille,

En travaillant sur les questions liées à la decolonialité, mon chemin, inauguré par les penseurs sud-américains de l’option decoloniale, en l’occurrence Walter Mignolo que tu dois sans doute connaître, à progressivement croiser le tien. Et c’est toujours avec beaucoup de délectation que de temps à autre je me confronte à tes écrits sur le sujet. Plus largement, tu participes à ton niveau au fleurissement de cette Afrique qui travaille constamment à s’arracher aux poncifs éculés et à la vision misérabiliste dans laquelle on a trop vite fait de l’enfermer.

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Autant dire que c’est à la mesure de l’estime que j’ai pour toi (tu m’excuseras d’employer le tutoiement) que je me permets de réagir à ta dernière tribune à propos de Patrice Nganang.

Patrice Nganang, je le dit depuis plusieurs jours, est fondamentalement irrévérencieux, polémiste, ratoureux sur les bords et même quelques fois ordurier à dessein. C’est sa marque de fabrique. Une démesure artistique qui, je le concèderai bien volontiers à quiconque, flirte souvent avec le caniveau. Elle est critiquable au demeurant. C’est une évidence.

En revanche, je ne pense pas que Patrice soit le CAIN ou le fou que tu décris. Pour peu qu’on essaye de faire abstraction de la forme, il est loisible de découvrir chez cet écrivain une intelligence rare, un intellectuel organique et courageux. En clair, aussi agréable à lire soit ta tribune, aussi éloquent sois-tu, ce n’est pas dans ce pamphlet que l’on trouvera le sens profond de l’action de PN.

Cher Achille,

On dit souvent : « si tu es mon frère, regarde moi en face et dis moi la vérité ».

Grand-frère je te le dis « wooha »: On ne tire pas sur un « adversaire » au sol. C’est de la lâcheté. Tu aurais pu attendre sa sortie de prison et d’ici là prendre de la hauteur pour regarder à l’essentiel comme ce fut le cas de plusieurs autres intellectuel-le-s camerounais-es.

À vrai dire, le ressentiment a hélas pris le pas sur l’analyse et la hauteur d’esprit qui caractérisent si bien les grandes figures en période de grande agitation.

« Avoir du ressentiment, c’est comme boire du poison et s’attendre à ce que ce poison tue votre ennemi. » — Nelson Mandela

Immanquablement, ta tribune transpire le fiel, l’affliction, l’animosité, l’acrimonie, la condescendance et le dédain légitime à certains égards. Tu performes précisément dans ce que tu reproches à PN. Le recours au langage fleuri, à la Bible ou à la psychologie ne parviennent pas à sauver cette sortie manquée. En plus de rater sa cible, elle t’entraîne dans la gadoue. Ça pue le ressentiment, la vengeance et la colère d’une blessure encore douloureuse mais surtout mal dissimulée. Comme on dirait au mboa (pays) : tu as encore le mal, le macabo de Patrice.

Bon, enfin, quoi de plus normal? En tant qu’humain, tu es aussi le siège des émotions. Tu as sans doute été meurtri par ses invectives à répétition. En te regardant depuis tes lumières académiques, on fini parfois par oublier que ton cœur n’a pas l’os. Enfin, comme pour nous quoi!.

Plus largement, je dirais même qu’à travers cette sortie, tu corrobores les propos de PN lorsqu’il affirme que celui qui n’a pas d’ego, n’a pas de place dans l’espace public. On dirait, une querelle de cours de récréation à l’effet de déterminer qui de vous deux est le plus intelligent. Toi aujourd’hui comme lui hier, tu fais hélas de vos différences des inégalités, au lieu d’en faire des forces complémentaires.

Et puis, cher Achille, avais-tu besoin de parler de « petite université »? Avais-tu vraiment besoin d’afficher une telle condescendance? Que penserait les collègues enseignant-e-s du Cameroun ou de Dakar? En quoi cette remarque élève-t-elle le débat ? J’ai été formé dans une université Camerounaise sans doute moins bien classée que plusieurs universités que tu tiendrais pour grandes, mais je ne nourris aucun complexe à l’égard des collègues venant de Duke, Princeton, Harvard. Car tu sais comme moi que rendu à un stade tout cela ne veut absolument rien dire. Sauf pour les fanfarons bercés au sein de la culture française.

Cela dit, que retenir finalement de ta longue et grandiloquente sortie épistolaire? Que Nganang est fou ? Admettons qu’il soit effectivement fou, alors la sagesse me semble-t-il aurait recommandé le silence. Non? Il aurait été d’or en de pareilles circonstances. Non? Il ne suffit pas, je le pense du moins, d’affirmer que tu as été contraint à t’exprimer pour justifier ce qui ressemble tristement à la course poursuite (nu) d’un fou qui a volé tes habits pendant que tu prenais ton bain.

Autrement dit, en parlant du traumatisme camerounais auquel tu fais abondamment allusion, c’est à se demander s’il n’est pas aussi ancré chez toi….plus que tu ne l’imagines.

Grand frère ressaisis toi. C’est Paul Biya qui doit sans doute s’en réjouir. Hélas!

Christian Djoko.

13 décembre 2017


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