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Julie Owono : « aucune femme ne doit se sentir honteuse si un amoureux éconduit publie des photos intimes d’elle »

Julie Owono

« Revenge porn », menaces sexistes en ligne… En Afrique, les données sur la cyberviolence envers les femmes sont peu récoltées. Le continent doit plus que jamais prendre ce problème au sérieux, sinon il se privera des effets positifs de l’inclusion des femmes dans le numérique, analyse Julie Owono, directrice exécutive d’Internet sans frontières.


Julie Owono
Julie Owono – DR

En 2014, alors que la Coupe du monde de football bat son plein, des photos intimes de Nathalie Koah, ex-maîtresse de l’international camerounais Samuel Eto’o, inondent les réseaux sociaux. Si l’origine de la mise en ligne de ces photos fait débat, une chose est sûre : Nathalie Koah a été, comme trois femmes connectées sur quatre, victime de cyberviolence fondée sur le genre.

Ce concept désigne un « acte agressif, intentionnel, perpétré par un individu ou un groupe au moyen de médias numériques à l’encontre d’une ou de plusieurs victimes » en raison de leur genre. Par exemple, envoyer des e-mails et des textos sexuellement explicites et non sollicités ; proférer des menaces physiques ou sexuelles par voie électronique (cyberharcèlement) ; divulguer les informations personnelles d’une personne sans son consentement (doxing), ou des photos intimes sur la Toile en représailles d’une rupture mal digérée (revenge porn). La cyberviolence sexiste n’est qu’une des nombreuses formes de violence commises contre les femmes.

En Afrique, les données sur la cyberviolence envers les femmes sont peu récoltées, ce qui rend difficile l’évaluation de son ampleur. Les raisons en sont multiples. Tout d’abord la culpabilisation des victimes (victim blaming), qui les contraint au silence. Au niveau mondial, la reconnaissance de la cyberviolence par les États tarde à venir.

Ce n’est qu’en 2016 que la France s’est dotée d’un arsenal juridique pour lutter contre le revenge porn, passible de deux ans de prison et d’une amende de 60 000 euros. Pourtant, des études récentes montrent que les forces de police minimisent parfois ces formes de violence, notamment parce que, commises au travers d’outils technologiques, leur prise en charge n’est pas toujours adaptée.

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Un combat mondial

Les conséquences psychologiques d’insultes proférées sur Twitter sont dévastatrices et s’ajoutent aux inégalités d’accès à internet. Selon une étude de la Webfoundation d’octobre 2015, les femmes ont entre 30 et 50 % moins de chances d’accéder à internet. Et, selon le Pew Research Center, quand elles y ont accès, elles ont deux fois plus de risques de faire l’expérience de la cyberviolence.

Les violences contre les femmes dans le monde réel ont un impact sur l’économie nationale ; celles commises en ligne génèrent une insécurité qui empêche des millions d’entre elles d’innover et de créer de la richesse grâce à l’outil numérique. C’est un problème qui affecte aussi le développement, l’éducation et le progrès des sociétés.

Cet état des lieux est un mauvais présage pour ce qui est d’atteindre le cinquième objectif de développement durable des Nations unies, qui encourage les États à autonomiser les femmes. Il est urgent d’agir. D’abord en inversant le poids de la culpabilité : le coupable est évidemment l’auteur de la publication, aucune femme ne doit se sentir honteuse si un amoureux éconduit publie des photos intimes d’elle.

Ensuite, en formant les organisations de lutte contre les violences faites aux femmes sur cette question. Enfin, il faut encourager le combat de la société civile en faveur des réformes politiques, juridiques et institutionnelles pour assurer un changement durable des mentalités et des pratiques.

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Manque de lois en Afrique

C’est un combat mondial. Les sociétés civiles africaines peuvent s’inspirer d’exemples comme le Pakistan, où Digital Rights Foundation a permis aux femmes ayant vécu cette expérience négative de trouver une écoute et des solutions juridiques à leur problème. La plupart des pays d’Afrique centrale et d’Afrique occidentale se sont récemment dotés de lois pour combattre la cybercriminalité, mais leur contenu fait l’impasse sur la question de la cyberviolence sexiste.

À Internet sans frontières, nous militons au Cameroun pour que les lois relatives à l’accès universel à internet prennent en compte la dimension du genre. Nous pensons qu’un internet où les femmes sont en sécurité favorisera l’éclosion d’autres « Almighty », cette jeune femme qui a pu augmenter significativement son chiffre d’affaires grâce à internet.

Au Kenya, un partenariat entre Facebook, la Banque africaine de développement et l’Autorité de régulation des télécommunications permet de former les forces de police au traitement des plaintes reçues de victimes de cyberviolence sexiste. L’Afrique doit plus que jamais prendre ce problème au sérieux, sinon elle se privera des effets positifs de l’inclusion des femmes dans le numérique.

Julie Owono est Avocate camerounaise, et directrice exécutive d’Internet sans frontières.

Tribune précédemment publié dans Jeune Afrique.


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