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Flore NDEMBIYEMBE: « Bamenda 1er est la toute 1ere commune non-fumeurs au Cameroun »

Dr Flore

Bientôt 10 ans que le Docteur Flore NDEMBIYEMBE, la présidente de la Coalition camerounaise contre le tabac (C3T) mène un combat acharné pour un Cameroun sans tabac.

Médecin immuno-allergologue, cette ancienne cadre de l’hôpital central de Yaoundé et du ministère de la santé publique est active aux côtés d’autres organisations partenaires, dans des campagnes de sensibilisations contre les méfaits de la cigarette  et des autres produits dérivés du tabac ainsi que les manœuvres de l’industrie du tabac. L’équipe de Lebledparle.com l’a rencontré, elle revient ici sur son combat et ses motivations.

Dr Flore
Dr Flore NDEMBIYEMBE – Crédit: C3T

Lebledparle.com: C’est quoi les missions principales de la Coalition camerounaise contre le tabac (C3T )?

Flore NDEMBIYEMBE: La C3T regroupe à ce jour une 30 aine d’organisations non gouvernementales et d’associations qui ont choisi de protéger la population camerounaise des méfaits du tabac avec l’espoir de ne plus avoir des maladies ou décès liés au tabac. Parce que le tabac est le seul produit dont la consommation telle que préconisée entraine la mort. Le tabac tue un fumeur sur deux et dans le monde actuellement c’est 6 millions de morts par an. C’est pour ces raisons qu’on s’est dit il faut faire quelque chose, il faut assister le gouvernement camerounais.

Nous sommes dans vos locaux au quartier Etoudi à Yaoundé, en quoi consiste votre travail au quotidien ?

Nous avons des activités de sensibilisation sur le terrain, nous avons également beaucoup d’activités de plaidoyer au niveau national, il faut rencontrer les parlementaires, les décideurs au niveau du ministère de la santé publique (MINSANTE) et même du ministère du commerce pour les emmener à s’occuper des aspects liés à chacune de ces administrations-là. Nous avons également des rapports avec les partenaires au niveau international.

Bientôt vous célébrez les 10 ans d’âge de votre coalition, est ce que vous avez le sentiment d’être compris, et quels sont les résultats les plus concrets déjà obtenus sur le terrain ?

Au départ on était dix ou douze associations. Le premier résultat c’est qu’aujourd’hui nous sommes déjà 30 membres institutionnels. C’est notre première victoire. Avant les campagnes d’information de la Coalition, les camerounais ne voyaient pas le tabagisme comme un problème. Les dangers du tabac étaient complètement méconnus . Aujourd’hui et selon l’enquête mondiale sur le tabagisme au Cameroun ( GATS 2013) , plus de 80% de camerounais souhaitent l’interdiction de la cigarette dans les lieux publics. A la création de la C3T en 2006 ,il y avait des associations qui s’occupaient beaucoup de VIH SIDA, des problèmes d’handicapés… très peu, sinon aucune association ne s’occupait du tabac. Nous avons réussi à intéresser et à alerter les camerounais sur le problème du tabac. C’était la même chose au niveau de l’administration. J’ai travaillé au MINSANTE, je coordonnais le comité national de lutte contre la drogue et j’avais le sentiment que le tabac était le parent pauvre de cette lutte. A ce jour le MINSANTE est bien impliqué il prend en compte les problèmes de tabac. Nous avons intéressé la société civile, le parlement et nous avons contribué à la création au niveau du parlement d’un réseau de parlementaires antitabac. Je crois que ça c’est une victoire importante au vu du rôle que cette catégorie de la population peut jouer dans les communautés. Nous avons réussi aussi à être crédibles au niveau international et c’est pour cela que les autres associations de lutte antitabac nous accompagnent et sans aucune prétention je suis depuis deux ans la présidente du conseil d’administration de l’alliance pour le contrôle du tabac en Afrique (ATCA), la plus grande coalition d’ONG de lutte africaine contre le tabac. Donc le plus grand résultat c’est que de plus en plus de camerounais identifient le tabac comme un problème majeur de santé publique et s’en préoccupe. Evidement nous souhaitons ne plus voir de camerounais qui s’empoisonnent en fumant, ne plus voir l’industrie recruter de nouveaux fumeurs (principalement les jeunes) à travers une publicité agressive, ceci en vue de remplacer les anciens fumeurs décédés. Nous savons que le chemin est long et parsemé d’embuches, mais nus progressons et nous allons célébrer le chemin parcouru.

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Vous parlez de l’industrie du tabac, on sait que c’est un business qui rapporte gros à ces firmes qui produisent localement et même et qui exportent au Cameroun. Est-ce que dans votre combat vous ne faites pas face à ces entreprises ?

Ce n’est pas un problème local, c’est un problème mondial on va dire et c’est compréhensible. Il faut dire que pendant longtemps, les industries avaient le champ libre, ils faisaient les publicités mensongères, par exemple, de dire qu’en fumant vous restez jeune, évidement c’est un mensonge, quand vous fumez vous vous empoisonnez et il faut reconnaitre qu’ils ne vont pas accepter qu’on vienne troubler leur business. Nous n’avons pas les moyens de lutter contre l’industrie, qui passe par la corruption des fonctionnaires pour empêcher, que la législation comme la loi nationale aboutisse, qui passe aussi par les fonctionnaires pour rédiger des textes qui laissent libre cours à leurs activités. Nous voulons insister sur la prévention, si les gens refusent de fumer ils vont fermer. La C3T est résolument pour la santé publique nous ne sommes pas contre les industries.

En décembre 2015 lors de votre dernière rencontre avec la presse camerounaise vous avez révélé, que plus d’un millions d’adultes sont fumeurs au Cameroun. Les chiffres sont alarmants, qu’est ce qu’il faut faire plus concrètement  afin de baisser ces chiffres ?

Effectivement l’année dernière il y a eu la publication de la première enquête mondiale de l’OMS sur le tabagisme des adultes au Cameroun (GATS 2013) et cette enquête a révélé les chiffres que vous donnez. Nous pensons que la plupart fument par ignorance. Ils ne savent pas que ça cause des cancers, la stérilité…que le tabac est le principal facteur de risque pour les principales maladies non transmissibles que sont les maladies pulmonaires chroniques, le diabète, les maladies cardio-pulmonaires. Dans la cigarette il y a le poison du tabac, mais les industriels y ajoutent encore d’autres substances pour emprisonner les fumeurs. On y retrouve près de 4000 substances nocives et parmi ces 4000 substances près de 50 sont cancérigènes et ce n’est pas de la littérature, c’est la réalité, et parmi ces produits il y a par exemple le formol et certains produits que l’on retrouve dans les raticides. La cigarette a l’air d’être inoffensive, Mais c’est un véritable poison lent. Il faut le dire aux gens.

Et si on parlait de vous ! Vous êtes médecin immuno-allergologue, retraitée de l’administration publique. Qu’est ce qui justifie votre engagement dans ce combat ?

J’ai exercé dans les hôpitaux précisément à l’hôpital central de Yaoundé et autour des années 2000, j’ai été responsabilisée au comité national de lutte contre la drogue et dans ce comité on s’occupait plus des autres drogues (Cocaïne, héroïne et sutres drogues dites dures à cette époque… ) et à force de travailler sur ces drogues, je me suis rendu compte que pour arriver à ces drogues, les gens commençaient très souvent par le tabac et au niveau de mon ministère il n’y avait pas une organisation particulière pour lutter contre le tabac et c’est comme ça que j’ai eu l’idée de m’investir dans la lutte antitabac, mais à côté de mes activités du ministère. Et c’est comme ça que je commence avec l’association Health Promotion Watch, on faisait des campagnes au niveau scolaire, dans les communautés . Au fil du temps,  je me suis rendu compte que pour être plus efficace il fallait qu’on soit plus nombreux et c’est ainsi que l’idée m’est venue d’inviter d’autres associations pour créer la coalition.

Une idée de quelques associations qui vous accompagnent ?

Il ya l’association camerounaise des femmes médecins, l’association Health Promotion Watch,le mouvement national des consommateurs, l’association de prévention routière, les associations d’étudiants, de journalistes, de prévention du SIDA, de femmes entre autres.

En dehors des adultes il faut dire qu’il ya beaucoup d’adolescents dans nos quartiers et lycées qui se lancent dans la consommation du tabac. S’il fallait conseiller ces jeunes que leur diriez-vous ?

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Une enquête de l’OMS menée en 2008 dans les milieux scolaires a montré que près de 15 % des enfants dans les milieux scolaires avaient déjà eu un premier contact avec la cigarette. C’est dire que la situation est aussi grave chez les jeunes. A eux il faut leur dire que la cigarette n’est pas un jouet . Aux parents soyez des modèles, ne fumez pas devant vos enfants, surtout ne fumez pas à la maison. Même si vous n’êtes pas fumeur et qu’il y a un fumeur dans votre entourage, vous respirez cette fumée et vous êtes exposé au même risque mortel que celui qui fume, c’est le tabagisme passif. Les jeunes doivent refuser la première cigarette gratuite offerte par l’industrie du tabac

Et pour ceux qui essayent en vain d’arrêter la consommation de cette drogue, des conseils ?

C’est vrai que le sevrage est un réel problème dans notre pays. L’offre est faible. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il est possible d’arrêter de fumer. Certaines personnes y arrivent seules, d’autres ont besoin d’être accompagnées. A Yaoundé, des collègues médecins à l’hôpital Jamot font des consultations de sevrage. Nous aussi à la Coalition nous pouvons aider les fumeurs à cesser de fumer, selon la méthode qui utilise les substituts nicotiniques. Le problème que nous avons est l’indisponibilité des substituts dans les pharmacies. Mais le plus important est la motivation du fumeur .Il faut d’abord prendre cette importante décision d’arrêter et ensuite vous faire accompagner. Il y a beaucoup de membres de  la coalition qui témoignent avoir réussi à faire arrêter quelqu’un de leur entourage en prodiguant des conseils avisés. Il ne faut pas se décourager parce qu’on a fait une tentative, on peut aller jusqu’à six tentatives, il faut savoir que dès qu’on a passé un jour sans fumer ça compte. Dès que vous arrêtez dans les jours qui suivent votre système cardiovasculaire s’améliore. Le système respiratoire aussi. Au bout de 10 ans de sevrage vous récupérez votre espérance de vie. Il faut savoir que les fumeurs réguliers diminuent leur espérance de vie de 10 ans. Il n’est jamais trop tard pour arrêter de fumer.

La nouvelle tendance est à l’utilisation des cigarettes électroniques. Elles font leur entrée en force au Cameroun. Nombreux sont ceux qui pensent qu’elles sont moins dangereuses que les cigarettes classiques.

La cigarette électronique est un produit à la mode inventé par les cigarettiers qui misent beaucoup sur son design attrayant pur attirer les jeunes. Mais il ne faut pas s’y tromper, les liquides « vapotés » peuvent contenir de la nicotine et entrainer des addictions. C’est un produit controversé. Certains pensent qu’il peut permettre de réduire la consommation de cigarettes chez les grands fumeurs. Il est aussi identifié comme un chemin vers le tabagisme. Dans notre contexte je conseillerai tout simplement de la considérer comme un produit du tabac et de l’interdire tout simplement comme l’on déjà fait certains pays en attendant d’y voir plus clair. 

Des activités en perspective pour 2016 ?

2016 est une année importante parce que la C3T a 10 ans cette année et nous comptons célébrer les succès et analyser ce qui n’a pas bien marché. Nous espérons cette année recruter de nouveaux acteurs, parce que c’est un combat qui n’est pas facile. Et surtout nous espérons que cette année le Cameroun va enfin avoir sa loi antitabac parce que c’est cette législation qui va enfin permettre de créer un environnement favorable. Faudrait que je signale que l’année 2015 a été l’année où il y a eu la création au Cameroun de la toute 1ere commune non-fumeurs et c’est la commune de Bamenda 1er. Nous voulons aller mettre à la lumière cette commune et la montrer comme exemple et encourager les autres à faire autant.

© Entretien avec Yves Martial TIENTCHEU, Lebledparle.com

  


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