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Crise anglophone/Aristide Mono : « Sur le plan du droit, le statut spécial reste fragile»

Aristide Mono

Depuis le 13 décembre 2019, le projet de loi portant statut spécial des régions anglophones du Cameroun, est en examen au cours de cette session extraordinaire de l’Assemblée nationale qui doit durer quinze jours. Avec l’avènement de ce statut spécial, la paix sera-t-elle de retour au NOSO ? Aristide Mono, chercheur et politologue camerounais, enseignant en sciences politiques à l’université de Yaoundé II, a décrypté pour Sputnik le contenu de cette loi et ses chances de mettre fin à la crise séparatiste.


Aristide Mono
Aristide Mono – DR

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de l’entretien.

Le contenu du statut spécial à accorder aux régions anglophones a été décliné à l’ouverture de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale le 13 décembre. Quelles sont les innovations de ce projet de loi? 

«Il y a trois grandes innovations à relever dans ce projet de loi. D’abord, l’association désormais des deux régions anglophones au processus d’élaboration de certaines politiques publiques nationales, notamment celles ayant trait au sous-système éducatif anglophone et à la Common Law. Ensuite, l’institution dans ces régions des assemblées régionales et des conseils exécutifs régionaux qui assurent leur administration. Les conseils exécutifs régionaux sont des organes exécutifs tandis que les assemblées générales s’affirment comme des organes délibérants constitués de deux instances, à savoir la House of divisional representatives et la House of chiefs. Enfin, on note l’institution d’un Public independent conciliator dans chacune des deux régions. Voilà, selon moi, des éléments nouveaux qui transparaissent dans ce nouveau cadre juridique de gestion des territoires de l’ancien Southern Cameroon.»

Quel est votre avis sur ces nouvelles dispositions? 

«Tout avis sur ces grands axes commande une prise en compte considérable de leur contexte de production, c’est-à-dire l’environnement ayant présidé à leur mise en agenda par les pouvoirs publics. Je parle ici de deux situations majeures : le problème anglophone et la crise anglophone. Le premier brille par sa profondeur et son historicité, alors que le second est purement conjoncturel. Ceci dit, les grandes innovations relevées ont une double portée. Il s’agit d’une part de domestiquer la crise qui secoue actuellement le Nord-Ouest et le Sud-Ouest et met face à face l’État et les contestataires anglophones –dont certains ont opté depuis trois ans pour la résistance armée. D’autre part, il s’agit de vider le contentieux historique de l’union constamment contestée entre l’ancien Cameroun occidental anglophone et l’ancien Cameroun oriental francophone, contentieux connu sous le vocable de «problème anglophone». Il est donc clair que Yaoundé est plus engagé dans la résolution d’une situation politique délétère que dans un souci de «reloocking» de sa gouvernance de ces territoires en crise. C’est une commande qui répond à une exigence urgente et donc une innovation un peu forcée.»

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Vue l’urgence de la situation, et comme vous dites, « leur contexte de production », est-on fondé à affirmer que ces nouvelles dispositions sont une solution pertinente? 

«Parler de pertinence d’une décision en politique publique, c’est suggérer que l’option arrêtée par le décideur répond aux attentes a priori de la résolution du problème. Partant de ce préalable, il devient important de revenir un tant soit peu sur le problème ou les problèmes en question. Pour l’État, il faut résoudre le «problème anglophone» qui est celui de la marginalisation des communautés anglophones et leurs territoires par les différents ordres gouvernants présidés par les francophones depuis la réunification de 1961 et surtout depuis le passage de la République unie du Cameroun à la République du Cameroun tout court. L’exclusion dénoncée porte sur les discriminations sociales, politiques, économiques et culturelles dans la gestion et l’allocation des ressources nationales. Il faut également résoudre la crise sécuritaire et humanitaire qui affecte aujourd’hui les deux régions avec plusieurs portions du territoire qui échappent au contrôle de l’État. En plus des défis de reconstruction, il y a lieu de déradicaliser les populations ayant une sympathie pour la lutte armée actuelle menée par les sécessionnistes. Bref, il faut stopper la guerre et contenir ses effets aussi bien de façon active que passive. Le problème à résoudre ayant été succinctement rappelé, il convient de savoir si le statut spécial, dans ses grandes lignes, constitue la solution idoine à appliquer au problème. C’est ce qui pourra nous situer sur le degré de pertinence du choix du décideur ou du législateur camerounais. Pour ma part, un grand pas a été fait dans la mesure où le statut spécial tel que paramétré aujourd’hui converge vers l’exigence principale de la plupart des acteurs de la crise anglophone, à savoir l’autonomie de l’ancien Southern Cameroon dans le cadre d’un État camerounais fédéral. Cependant, ce pas seul ne saurait mener à une solution définitive.»

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Doit-on s’attendre à ce que cette décision ait un impact majeur sur le terrain du conflit? 

«L’allocation par le décideur et le législateur de ce statut spécial aux deux régions sera bien accueillie par certains. En effet, il consacre la prise en compte effective et officielle par les pouvoirs publics du problème anglophone qui, jusqu’à la veille du discours du Président de la République de septembre, était totalement nié, voire banalisé. Le pouvoir soutenait publiquement jusque-là la thèse d’un simple projet de déstabilisation porté par des terroristes même si, dans les actes, on voyait une reconnaissance implicite du problème anglophone. En plus, comme toute innovation, il y aura une rupture avec l’ordre ancien qui était plus monopolistique, excluant considérablement les communautés anglophones des instances délibératives de l’État. Désormais, avec la restauration des Houses, les communautés seront de plus en plus impliquées dans la gestion des territoires. Bref, il y a de fortes chances qu’une bonne partie des acteurs non armés du problème anglophone se désolidarisent du combat mené par les sécessionnistes armés. Seulement, ceci ne sera possible que si le décideur sort définitivement du régime des discours pour poser des actes concrets.»

Quelles sont les chances que ce projet de loi aboutisse à un retour à la paix dans les zones en conflits?

«Il faut dire que si l’allocation du statut spécial porte une bonne dose d’autonomisation, objet du combat des promoteurs de la crise anglophone, il reste qu’il pourra être jugé par les modérés comme une demi-mesure qui trahit la volonté de l’ordre dirigeant de manœuvrer par tous les moyens pour le maintien des réflexes de l’État jacobin contesté. Il pourra s’interpréter comme une stratégie d’évitement, voire de refus du fédéralisme exigé. Mais pour le cas spécifique des radicaux – surtout armés –, il faudra s’attendre à un rejet total de cette offre politique pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’ils n’ont pas été associés à la fabrication de ce statut spécial. Certes, il s’agit du fruit du grand dialogue national inclusif mais malheureusement, celui-ci n’a pas connu la participation des représentants des groupes armés actifs dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. En d’autres termes, la décision pourra être considérée comme non consensuelle. Ensuite, cette décision ne répond pas à leurs attentes. Certains leaders sécessionnistes restent jusqu’ici catégoriques sur l’indépendance pure et simple de l’ancien Southern Cameroun. Les plus conciliants conditionnent le cessez-le-feu par l’institution du fédéralisme. Tout ceci au terme d’un retrait des forces de défense camerounaises des zones anglophones et à l’issue de pourparlers hors du territoire national, sous l’égide d’un médiateur international. Au regard de ces multiples positions tranchées, on réalise que l’octroi du statut spécial est loin de résoudre la crise anglophone. Le gouvernement a encore des efforts à faire dans ce sens.»

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Quelles sont les grandes limites de ce projet de loi? 

«Déjà, ce projet de loi en examen n’est pas la conséquence d’un réel consensus entre l’État et les parties anglophones, plus principalement les porteurs de la contestation. N’oublions pas que l’objectif final de l’État, c’est l’absorption définitive des forces dissidentes, il y a donc un impératif d’entente minimale. Ensuite, malgré les concessions de l’État jacobin, on observe toujours l’omniprésence de ce dernier (notamment avec le maintien des fonctionnaires locaux, bras séculier de l’État hypercentralisé), ce qui pourra à terme créer des doublons, des conflits de compétences et le phagocytage dans la pratique de l’autonomie relative des régions par l’État central. Enfin, il reste que sur le plan du droit, le statut spécial reste fragile, il est peut-être important de le constitutionnaliser parce qu’en l’état, il peut facilement être manœuvré par le politique au gré de ses intérêts.»

En définitive, quelle démarche où quelles idées auraient été plus à même  d’assurer une avancée dans la résolution de la crise?

«Il aurait été judicieux d’associer particulièrement les forces vives anglophones à la définition de ce projet de statut spécial des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pour obtenir préalablement un minimum d’adhésion. En plus, si on veut aller plus loin, je pense que le fédéralisme à plusieurs États aurait été la meilleure alternative pour aplanir considérablement le problème. Je me dis que ce «demi-fédéralisme» en projet n’offre pas assez de lisibilité pour les contestataires anglophones. C’est une mécanique institutionnelle lourde du fait qu’elle laisse planer beaucoup de confusion dans son énoncé. Les lignes de démarcation entre les compétences du pouvoir central et celles des régions ne sont pas suffisamment claires. Il y a trop de zones d’ombre qui risquent d’entretenir un flou permanent et donner lieu, à terme, à de nouvelles velléités centrifuges.»  

Entretien réalisé par Anicet Simo.


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