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Tribune: Où va-t-on avec l’école formelle au Cameroun ?

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Où va-t-on avec l’école formelle au Cameroun ?

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Cette question, je me l’a suis posée en exploitant les annuaires statistiques des ministères camerounais en charge de l’éducation. Celui du Ministère de l’enseignement supérieur m’aura particulièrement qu’intrigué.

En 2011 par exemple, les examens nationaux que sont le BTS, le HND, le DSEP et le HPD ont produit 44 588 diplômés, dont 36 009 dans le public et 8 579 dans le privé. La distribution de ces diplômé(e)s entre les filières offertes par les différents établissements du supérieur montre que les études supérieures sont principalement tournées vers les sciences sociales et de l’éducation, cela au détriment de l’enseignement technique et professionnel pourtant présenté comme le creuset de l’économie nationale. Pour s’en convaincre, on n’aura qu’à lire l’Exposé des Ministres camerounais en charge de l’éducation nationale lors du Conseil du Cabinet du 26 janvier 2012 sur les enjeux et les défis du secteur de l’éducation quant à la matérialisation du document de stratégie pour la croissance et l’emploi. Curieusement, au-delà de beaux discours et des tours de langue politiquement corrects, la réalité fait froid au dos quand on sait que le pays est entré dans la phase des grandes réalisations et espère être émergent en 2035. Sur les 44 588 diplômés Bac+2 et Bac+3, près de la moitié (49%) sont issus des filières des sciences sociales, 18% des sciences de l’éducation (y compris la formation des enseignants du secondaire), 13% des lettres, 11% des sciences, 7% de l’ingénierie et 2% de la santé.

Lors des premières assises de l’orientation académique à l’ère du système LMD, en septembre 2008, l’État pensait pouvoir passer du taux de 7% d’étudiants inscrits dans les filières techniques et professionnelles à celui de 20% en 2015. Un an plus tard, le Document de Stratégie de Croissance et de l’Emploi envisageait quant à lui une hausse de 27%. À moins deux ans de l’échéance, chacun aura raison de se demander si ce taux pourrait être atteint. Probablement que non ! Incidemment, il devient intéressant de se demander ce qui explique que plus de 2/3 des étudiants du supérieur soit issu des filières générales et principalement du tertiaire. Loin de moi la prétention de donner une réponse qui satisfait tout le monde. Mon analyse conduit à une seule conclusion : le problème est celui de l’ineffectivité du droit des enfants camerounais à l’information et à l’orientation scolaires (art. 28 de la convention des Nations Unies relatives aux droits des enfants, ratifiée par le Cameroun en 1993). Certes, aux côtés du FNE, du PIASI, du Pajer-U, du PIFMAS, de l’ONEFOP et bien d’autres programmes d’aide à l’insertion et à la réinsertion professionnelle des jeunes camerounais, on compte au niveau des ministères de l’éducation nationale (MINESEC, MINESUP et MINESUP) des services d’orientation scolaire. Cependant, allez savoir combien de jeunes en bénéficient ! Les Camerounais sont en attente d’une évaluation de la fonctionnalité physique et pédagogique de toutes ces initiatives. Faute d’exister, cette évaluation, du moins à ma connaissance, les responsables d’une orientation scolaire davantage générale que technique et professionnelle doivent être identifiés. Cela, dans le sens de construire à partir de leurs manquements. Pour ma part, le problème se pose à deux degrés : (1) au niveau de l’État et plus précisément au niveau des services de la prospective, de la planification et de l’orientation scolaires des différents ministères en charge de l’éducation nationale d’une part et d’autre part, (2) au niveau des familles.

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Pour un pays qui se construit, les services de la prospective, de la planification et de l’orientation scolaires doivent donner à l’État de voir loin, de découper sa vision lointaine en actions programmées dans le temps et enfin, de s’appuyer sur l’expertise des professionnels de l’orientation scolaire et professionnelle pour mettre à la disposition de la Nation les compétences humaines indiquées pour la matérialisation de ses projets de développement. Au niveau des familles, pour atténuer les orientations stéréotypées, par suivisme, sur la base des notes scolaires ou des leçons de l’informel, l’information et l’orientation de masse doivent exister par la propagande autour des filières qui donnent aux jeunes de réaliser leur devoir et leur droit de participation à la construction nationale. Tant les services de la prospective, de la planification et de l’orientation scolaires que les familles camerounaises ont failli. Les familles sont cependant moins à blâmer parce qu’elles subissent une politique mal pensée du haut. Pour preuve, entre 2005 et 2012, on est passé de 200 centres privés de formation professionnelle agréés et fonctionnels à 761. Au niveau de l’enseignement supérieur, on a observé la même célérité : de 18 institutions privées d’enseignement supérieur fonctionnelles en 2006, on est passé à 117 en 2011 et à 132 en 2012. Cependant, l’un des travers du système éducatif public camerounais est partagé par le secteur privé en pleine expansion. Ici comme dans le public, près de 90% des formations relèvent du tertiaire alors même que le pays est en friche. Plus encore, avoir trop dépensé dans le privé pour une formation donnée ne met pas forcément à l’abri du chômage, du sous-emploi et du désœuvrement. Pour 25 000 postes de fonctionnaires ouverts en 2011, on a comptabilisé près de 300 000 candidatures, 12 fois plus de candidats !

L’ouverture des filières de formation doit aller de pair avec les ambitions de l’État. Les écoles et les filières de formation qui viennent grossir les rangs des chômeurs, des désœuvrés et des sous-employés par leurs produits doivent être fermées sinon leur accès réduit au strict minimum. Faute de quoi, les familles resteront la proie des nouveaux commerçants qui investissent l’économie de la connaissance et dans le marché scolaire. L’espoir de les sauver de la prédation de ces commerçants d’illusion est un service public d’information et d’orientation scolaires et professionnelles qui libèrent des chaînes des stéréotypes professionnels, des jugements professoraux, des leçons de l’informel et du suivisme des pairs. Il y a certes une politique nationale d’orientation scolaire, universitaire et professionnelle en chantier. Elle a été d’ailleurs validée en décembre 2011. Cependant, une guéguerre entre les ministères en charge de l’éducation nationale conteste au MINEFOP le droit de l’avoir pensée. Entretemps, nos enfants embrassent majoritairement l’enseignement général parce que tous veulent être des fonctionnaires, servir en veste cintré ou en boubou bazin bien brodé, donner des ordres ou en recevoir le temps de gravir des échelons. À propos, Jean Marc Ella (1990) parlait à juste titre de cultivateurs aux souliers vernis. L’initiative privée fait peur autant que la technique sans que l’école formelle générale au Cameroun ne réussisse encore pour l’heure à faire du jeune camerounais l’architecte et le co-architecte de sa réussite indépendamment de toute assistance externe. L’enseignement général forme des assistés en attente d’un emploi où ils s’intègreront. Leur employabilité est faible comparée à celle des techniciens et des professionnels, soit 11% de plus pour les seconds. N’empêche, c’est dans le général que l’on retrouve le gros des effectifs !

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Il y a là une urgence : celle de repenser le système camerounais d’information et d’orientations scolaires et professionnelles. Cette urgence est d’autant plus signalée que pour 1 574 452 d’élèves dénombrés au secondaire en 2011, il n’y avait que 1 155 conseillers d’orientation scolaire et professionnelle. En décembre 2012, il aurait fallu 4 093 conseillers d’orientation supplémentaires à raison d’un pour 300 élèves. Pour 207 887 étudiants au supérieur, seulement 229 conseillers d’orientation étaient recensés au supérieur. Il aurait fallu en 2012, près de 582 conseillers d’orientation supplémentaires à raison d’un pour 500 étudiants. Aucune universitaire camerounaise ne dispose encore d’un centre dédié exclusivement à l’orientation académique et professionnelle. Pourtant, ce fut l’une des résolutions des premières assises de l’orientation à l’ère du système en septembre 2008. Tous les conseillers d’orientation qui sont présents dans le supérieur sont dans l’administration, loin de leur mission première. Au secondaire, il y a 5 ans, seuls 15% d’établissement étaient couverts par un conseiller d’orientation. Il y a là un gap énorme qui demande urgemment d’être comblé.

« L’école est faite pour apprendre à trouver des solutions concrètes aux problèmes de développement de l’individu et de la collectivité » (Kabou, 1991, p. 146). Faute de l’être, elle devient une organisation peu efficace qui « aboutit à une proportion élevée de non-diplômés, un accroissement des travailleurs pauvres, une limitation du bien-être collectif, une réduction de la cohésion sociale et, dans la sphère économique, une perte de productivité et de croissance » (Merle, 2012, p. 4). L’information et l’orientation scolaires et professionnelles me paraissent être le meilleur moyen pour donner à chacun de se connaître, de connaître son milieu (scolaire et professionnel) pour mieux se définir un projet de vie qui s’adapte aux réalités et aux urgences de son temps et de son milieu. On ne peut plus laisser les gens s’orienter comme ils veulent parce que le revers est potentiellement dangereux pour la quiétude nationale. Arrêtons de nous gargariser des taux de scolarisation, d’achèvement et de réussite ! Demandons plutôt ce que sont devenus ceux à qui on a donné des diplômés ! Dépassons les discours politiquement corrects et soucions-nous véritablement d’une école socialement rentable !


 

Joseph Bomda, Ph. D, conseiller d’orientation scolaire, psychosociologue



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