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Cameroun : « Moi je voulais aller à l’école. Mais pour ma famille, l’éducation n’était vraiment pas importante pour une fille »

Image pour illustration de ce faits divers (c) DR
Image pour illustration de ce faits divers (c) DR

Alors que le monde célèbre la journée des droits de l’enfant, 11,4 % des jeunes Camerounaises seraient unies à un homme avant leur 15e anniversaire.


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Dans la salle des « causeries éducatives », le temps semble s’être arrêté. Garçons et filles sont suspendus aux lèvres de Hawaou Aïssatou. L’unité « santé et reproduction des adolescents-jeunes » (SRA/J) de l’hôpital régional de Ngaoundéré, dans le nord du Cameroun, retient son souffle pour laisser parler la jeune femme.

Drapée dans un ensemble en basin brodé, la tête enveloppée dans un foulard assorti, Hawaou Aïssatou raconte sa « douloureuse histoire ». Mariée à 14 ans, celle qui en a aujourd’hui 21 a eu le courage de divorcer et de tenter de se reconstruire. Pas si fréquent dans cette région pauvre et faiblement peuplée de l’Adamaoua, où l’activité principale est l’élevage de zébus.

Mariée à un homme de 45 ans

« J’ai été abandonnée par mon père et élevée par un oncle. Un jour, il m’a dit que j’étais déjà grande et qu’il était temps de me marier. Comme je n’étais pas prête, j’ai été expulsée de la maison. J’étais en classe de 6e. »

Dans la salle, les adolescents imaginent la petite fille qu’on voulait transformer en femme. Hawaou poursuit, raconte son désarroi, son au revoir à l’école que, pourtant, elle aimait tant. Mais elle n’a d’autre solution que fuir Ngaoundéré pour se réfugier chez une tante, au village.

Courte trêve. Au bout d’un an, les mêmes mots reviennent, un soir, prononcés par le mari de sa tante. « Tu dois te marier, absolument », lui intime-t-il. Cette fois, Hawaou n’a plus d’échappatoire.

« Je ne pouvais plus retourner chez mon oncle et encore moins chez ma mère. Elle était pauvre et n’avait pas les moyens de s’occuper de moi. »

Résignée, elle accepte finalement d’épouser « un père de famille, conseiller municipal âgé de 45 ans, déjà marié à une première femme ». Mettant entre parenthèses ses rêves de petite fille. « Moi je voulais aller à l’école. Mais pour ma famille, l’éducation n’était vraiment pas importante pour une fille. Pour eux, j’étais en âge de me marier et c’est tout », déplore Hawaou, dont l’histoire ressemble à celle de beaucoup d’autres jeunes Camerounaises.

Le poids des traditions

Alors que le monde célèbre, mardi 20 novembre, la journée internationale des droits de l’enfant, les mariages précoces restent une triste réalité au Cameroun, où 11,4 % des jeunes filles seraient mariées avant leur 15e anniversaire, selon une enquête réalisée en 2014 par l’Institut national de la statistique et le ministère de la santé publique. Dans le nord, les chiffres sont plus élevés encore : 20,3 % dans l’Adamaoua, 24,2 % dans la région du Nord et 18,8 % dans l’Extrême-Nord.

Dans ces régions où la tradition est omniprésente, le mariage est considéré comme un accomplissement. « C’est un honneur pour de nombreux parents », souligne Habiba Hamadou, infirmière accoucheuse et responsable de l’unité SRA/J de Ngaoundéré. Selon une étude menée en 2014 par l’Institut du Sahel et l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes, les « normes traditionnelles » sont mentionnées comme étant la cause principale des mariages précoces et forcées : 89 % des personnes interrogées estiment même que « les femmes ne doivent pas avoir leurs premières règles sous le toit de leurs parents, mais chez leur époux ».

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Hawaou s’est mariée vierge. Pour nous raconter sa découverte du sexe, elle s’isole dans un bureau, à l’abri des regards. « Je ne savais même pas ce que signifiait une relation sexuelle », murmure-t-elle, les yeux fixés au sol. Elle raconte avoir « eu mal la première fois et les autres fois aussi ». Deux ans plus tard, elle donnait naissance à une petite fille. Mais l’arrivée du bébé ne change rien pour cette femme-enfant. Les relations avec sa coépouse et son mari restent « compliquées ».

« Je n’étais pas à l’aise. Je m’évanouissais beaucoup, j’avais toujours mal à la tête, j’avais des palpitations, j’étais toujours anémiée. J’ai même commencé à délirer de temps en temps et mon mari m’enfermait dans la chambre le temps que ça se calme. »

Députée junior

Hawaou est à bout. Elle décide de partir. Moins de quatre ans après le mariage, elle quitte le foyer familial avec son bébé.

« J’ai dit à ma mère que je n’en pouvais plus, que j’allais mourir… En me voyant, elle a compris. »

Hawaou se reconstruit peu à peu en lisant le Coran et en suivant les conseils des imams qui, eux, « ne [la] jugent pas ». Elle reprend même ses études en classe de 5e, reprend goût à la vie et postule pour être députée junior.

Un an durant, elle fera partie de ces 180 jeunes parlementaires et suppléants, âgés de 9 à 18 ans, sélectionnés sur leurs résultats scolaires dans les établissements primaires et secondaires du Cameroun. C’était son vœu : débattre des sujets qui concernent les enfants. Depuis, la jeune femme tente par tous les moyens de sensibiliser les jeunes filles. Elle appelle les autorités religieuses et traditionnelles à « dialoguer » et encourage les parents à « envoyer les filles à l’école ».

Mais son discours ne plaît pas à tout le monde. Ses opposants l’accusent d’« inciter les jeunes filles à se prostituer ». Qu’importe, elle laisse dire et, même menacée, continue de s’inviter dans les maisons pour expliquer aux parents « les avantages de l’éducation ». Elle se souvient d’avoir sauvé une fillette :

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« On voulait la forcer à se marier à un homme qu’elle n’avait jamais vu. J’ai pu dialoguer avec les parents et le mariage n’a pas eu lieu. »

« La vie est un combat »

Aujourd’hui, Hawaou rêve de reprendre ses études et de parcourir le Cameroun pour sensibiliser parents, tuteurs et autorités aux conséquences des mariages précoces. Mais elle n’a pas encore trouvé le moyen de financer sa mission. Faute d’argent, elle a donc arrêté l’école après la seconde et travaille.

« J’ai même dû laisser mon enfant chez son père, où il est bien traité. Je n’ai pas perdu espoir et j’espère qu’un jour une bonne âme m’aidera, que je puisse reprendre l’école. »

En attendant, elle participe tous les mois aux causeries organisées à l’unité SRA/J, mise en place par le Fonds des nations unies pour la population et le ministère de la santé. « J’ai eu le courage de divorcer et je me bats contre le mariage des enfants. Je vous encourage à ne jamais baisser les bras. La vie est un combat, soyons courageux », lance-t-elle à l’auditoire captivé par le courage de cette jeune femme.

Les Débats du « Monde Afrique » : à Paris, une journée consacrée aux femmes africaines

A Paris, le 28 novembre, la cinquième édition des Débats du Monde Afrique sera consacrée aux femmes africaines, avec une journée baptisée « Celles qui font avancer l’Afrique : nouveaux combats, nouveaux militantismes ». Consultez le programme et inscrivez-vous en cliquant ici.

Bien que festive, cette journée au musée du Quai Branly-Jacques Chirac veut nourrir le débat sur la place des femmes dans l’économie africaine, l’ouverture des métiers d’homme et les autres formes d’engagement. D’emblématiques femmes politiques feront le déplacement, à l’instar de la Rwandaise Louise Mushikiwabo, nouvelle secrétaire générale de la Francophonie, et de la députée tunisienne Bochra Belhaj Hmida, présidente de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe).

La Sénégalaise Fatma Samoura, secrétaire générale de la FIFA, fera entendre sa voix pour redonner la parole à celles qui tirent derrière elles tout un continent. Et parce que les hommes peuvent eux aussi porter un féminisme militant, l’auteur, metteur en scène et comédien malien Adama Traoré sera invité à cette journée. Enfin, le danseur congolais Bolewa Sabourin, qui, plusieurs années durant, a travaillé au côté du docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix, clôturera la soirée.


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