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Luc Sindjoun répond à Maurice Kamto : « L’appel au boycott des élections est rétrograde par rapport à l’histoire de la démocratie »

Kamto Sindjoun

Après la motion de soutien des élites et forces vives des Hauts-plateaux au lendemain des massacres de Ngarbuh dans le Nord-Ouest, Luc Sindjoun, Professeur agrégé des sciences politiques, conseiller spécial de Paul Biya et membre titulaire du comité central du RDPC a publié une tribune chez nos confrères d’ABK radio. L’universitaire et homme politique fait une évaluation exhaustive du double scrutin du 9 février 2020 et répond à l’appel au boycott et au plan national de résistance de Maurice Kamto.


Kamto Sindjoun
Maurice Kamto et Lucc Sindjoun – capture photo

C’est le Chef de l’Etat qui apprécie l’opportunité de la tenue de l’élection

L’enseignant de rang magistral a axé sa tribune sur 7 points. Le premier point parle du le débat sur l’opportunité de la tenue des élections législatives et municipales était un faux débat. L’analyste politique pense que « C’est le Président de la République, en tant que garant de l’ordre, de la tranquillité et de la sécurité publique, qui est bien placé pour apprécier si les conditions sont réunies pour permettre le déroulement serein des élections législatives et municipales ».

À propos de la participation ou non aux municipales et législatives de février 2020

Monsieur Luc Sindjoun pense que le débat sur la participation ou non aux élections législatives et municipales du 9 février est un débat surprenant et anachronique. « Dès lors, lorsqu’un parti politique qui aspire à gouverner, à effectuer « le changement dans la paix », décide de boycotter les élections, c’est-à-dire le rendez-vous avec le peuple souverain, il est légitime de se poser des questions, de se demander par quelle voie, il se trouvera en situation de gouverner », écrit-il.

Au sujet du code électoral

L’élite des Hauts-plateaux à l’Ouest estime que le débat sur l’argument des imperfections du code électoral comme cause du boycott des élections, est un débat sans objet. « C’est sur la base du code électoral sénégalais qu’il avait maintes fois rejeté, que Abdoulaye WADE a été élu Président de la République contre le Président sortant, Abdou DIOUF, en 2000. En fait, la critique intempestive du code électoral relève souvent d’une stratégie de diversion ou alors participe ex ante du rituel de la contestation des résultats », pense le spécialiste des sciences politiques.

« La critique du système électoral n’empêche pas la participation aux élections, comme le montrent à suffisance les exemples ci-dessus cités. Mieux, elle nourrit la participation aux élections, dans la perspective d’une victoire permettant de mettre en œuvre le programme politique comportant éventuellement la révision du code électoral », ajoute-t-il.

La guerre au NOSO

D’après Luc Sindjoun, le débat sur la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, comme cause du boycott des élections législatives et municipales, n’est pas fondé. Le débat qui vise à consacrer la primauté de la manifestation sur l’élection, s’affranchit des fondamentaux de la démocratie et relève d’une tentative de contrefaçon et de contrebande, pense l’homme politique.

Le taux de participation aux élections

Le politologue démontre que le débat sur le taux de participation aux élections législatives et municipales semble sous-informé et mal-informé au sujet de la problématique générale de la participation électorale dans les démocraties. « La manifestation constitue un mode d’expression démocratique ; mais, elle n’est pas une source de légitimité : la manifestation n’est, ni un mode de sélection des dirigeants, ni une voie démocratique d’accès au pouvoir », affirme Luc Sindjoun.

L’obésité du RDPC dans les conseils municipaux et à l’assemblée nationale

Le politiste affirme que le débat sur la majorité écrasante du parti politique, RDPC, est ignorant de la possibilité et de la réalité de l’émergence d’un parti dominant dans une démocratie électorale. « Il en est ainsi au Cameroun avec le RDPC, comme en Afrique du Sud avec l’ANC. Dans ces deux Etats, ces deux partis politiques détiennent l’essentiel des leviers de pouvoir aux plans national et local. Ce qui importe, c’est que le parti dominant soit le produit des élections libres, transparentes et honnêtes », précise-t-il.

Lebledparle.com vous propose de lire toute la tribune du Pr Luc Sindjoun, Agrégé de Science Politique et Professeur des Universités.

A propos des débats sur les élections législatives et municipales : le crépuscule de l’imposture

1-Le débat sur l’opportunité de la tenue des élections législatives et municipales était un faux débat. La tenue desdites élections a été conforme à la Constitution et au Code électoral. Le mandat des députés et des conseillers municipaux élus en 2013 avait déjà pris fin. La prorogation des mandats qui est une exception, ne pouvait pas devenir la règle, comme le souhaitaient certains, peu respectueux de la volonté populaire telle qu’elle s’exprime lors des élections, plus portés vers des arrangements en marge des procédures démocratiques.  En tout état de cause, outre les exigences de fin du mandat, c’est le Président de la République, en tant que garant de l’ordre, de la tranquillité et de la sécurité publique, qui est bien placé pour apprécier si les conditions sont réunies pour permettre le déroulement serein des élections législatives et municipales. Ce qu’il a fait en décidant de convoquer le corps électoral. Cette décision était lourde de signification : le Président de la République, en tant qu’il exerce, au premier plan, la responsabilité de protéger les populations, s’engage à tout mettre en œuvre en vue de la tenue des élections législatives et municipales. A cet effet, il est surprenant que des personnes de bonne ou de mauvaise foi, n’ayant pas le même niveau d’informations que le Président de la République sur l’état de la nation, aient choisi de douter de l’opportunité de la tenue des élections, sans apporter le moindre commencement de preuves pour soutenir leur thèse. Il ne s’agit pas de prétendre qu’une option présidentielle est insusceptible de toute critique ; la critique est la bienvenue, à condition qu’elle soit argumentée et qu’elle repose sur des faits objectifs. Or, dans le cas d’espèce, ce qui était souvent à l’œuvre, c’était la tentative d’installer les députés et les conseillers municipaux dans une position de relative fragilité démocratique, afin de justifier éventuellement le recours à des procédés anti-démocratiques. Certes, d’aucuns ont convoqué les circonstances exceptionnelles pour demander le report des élections législatives et municipales ; mais, c’est le Président de la République qui juge de l’opportunité d’invoquer les circonstances exceptionnelles. Dans le cas d’espèce, c’est sur la base de sa connaissance de la situation, qu’il a décidé de la tenue des élections législatives et municipales, le 9 février. Et les faits lui ont donné raison.

Il faut éviter que le recours aux circonstances exceptionnelles débouche sur l’inhibition de la démocratie. La convocation par le Président de la République du corps électoral en vue du double scrutin législatif et municipal du 9 février a été un acte de salut démocratique : un mandat démocratique qui a pris fin, ne saurait être prorogé de manière indéfinie.

L’opportunité de la tenue des élections législatives et municipales du 9 février tient aussi aux engagements internationaux du Cameroun. Il s’agit d’abord de la conformité de la tenue des élections législatives et municipales du 9 février par rapport à la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. En effet, l’article 17 de ladite charte dispose que : « Les Etats parties réaffirment leur engagement à tenir régulièrement des élections transparentes, libres et justes… ». Ainsi, la tenue régulière des élections transparentes, libres et justes est considérée par la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance comme le principal trait caractéristique des élections démocratiques. Il s’agit, ensuite, de la conformité de la tenue des élections législatives et municipales du 9 février par rapport au Pacte International sur les droits civils et politiques. En effet, l’article 25 du Pacte dispose que : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, …:  a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;  b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;  c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ». L’article 13 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples va dans le même sens.  Ainsi, la tenue des élections législatives et municipales a participé du respect du principe de la périodicité des élections ainsi que du droit de chaque citoyen de voter et d’être élu, de prendre part à la direction des affaires publiques.

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2- Le débat sur la participation ou non aux élections législatives et municipales du 9 février est un débat surprenant et anachronique, surtout parce qu’il est initié par une opposition dite démocratique et républicaine. Dans une démocratie, l’élection est considérée comme le seul jeu politique possible. Dès lors, lorsqu’un parti politique qui aspire à gouverner, à effectuer « le changement dans la paix », décide de boycotter les élections, c’est-à-dire le rendez-vous avec le peuple souverain, il est légitime de se poser des questions, de se demander par quelle voie, il se trouvera en situation de gouverner. Sans préjudice de la liberté de chacun de prendre part ou non aux élections, il reste que c’est tout l’espace public démocratique qui est interpellé quant à la perspective d’un soutien implicite ou d’une complicité passive au changement anticonstitutionnel.

Au-delà du fait que de nombreuses études ont démontré que le boycott des élections est une « mauvaise idée », le problème qui se pose ici, c’est celui de l’insuffisance de la culture démocratique de certains dirigeants et militants des partis politiques.  En effet, la culture démocratique renvoie aussi à des manières spécifiques de faire et de penser la politique notamment en présentant des candidats à des élections, en allant voter. Il y a insuffisance de culture démocratique, dès lors qu’il y a refus de participer à l’un des actes fondateurs de la démocratie, à savoir l’élection. C’est en participant aux élections, comme électeurs, comme candidats, en les perdant ou en les gagnant, que la culture démocratique s’acquiert, se développe et s’enracine.

L’appel au boycott des élections est rétrograde par rapport à l’histoire de la démocratie. Le droit de vote et le droit d’éligibilité sont des conquêtes, des trésors dont chaque élection constitue une occasion d’enrichissement, de défense, de promotion et d’illustration. C’est une question qui va au-delà du Cameroun et concerne toute l’humanité toute entière, plus précisément notre « civilisation démocratique ». Chaque élection est un moment de magnification du peuple comme détenteur de souveraineté. Chaque fois qu’un citoyen prend part au vote, il doit penser à tous ces noirs des Etats-Unis dont le droit de vote fut dénié, entravé et détourné jusqu’au 6 août 1965, à tous ces noirs d’Afrique du Sud qui se sont battus jusqu’au sacrifice suprême pour que soit admis le principe « un homme, une voix ». Chaque fois, qu’un citoyen peut présenter sa candidature à une élection, c’est le triomphe du suffrage universel. C’est cette histoire qui s’actualise lors de chaque élection. Les conquêtes démocratiques doivent être préservées. Il serait intéressant de savoir s’il existe des exemples de consolidation démocratique par le biais du boycott des élections. En tout cas, l’histoire des démocraties consolidées montre que la régularité de la participation des partis politiques aux élections est un facteur de pacification de la vie politique, de diffusion de la culture démocratique.

Il faut qu’on se comprenne bien. Le droit de vote et le droit d’éligibilité font partie des droits civils et politiques, en particulier, des droits de l’homme, en général. Appeler au boycott des élections, c’est déroger, sans contrôle, aux droits civils et politiques. Dans le même ordre d’idées, menacer, intimider et violenter les candidats aux élections législatives et municipales ainsi que des électeurs, comme on l’a constaté dans certaines localités des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, constituent autant d’atteintes graves aux droits de l’homme et à la démocratie. Les armes ne peuvent pas se substituer aux urnes dans une démocratie.

Le respect des droits civils et politiques doit être intégral et permanent : on ne peut pas choisir de soutenir leur exercice lors de l’élection présidentielle et opter pour leur restriction lors des élections législatives et municipales. De même, on ne peut pas prétendre soutenir les droits de l’homme et promouvoir leur aliénation à des intérêts ou à des calculs politiques. L’inaliénabilité des droits de l’homme ne s’impose pas seulement aux Etats, mais aussi aux individus.

3- Le débat sur l’argument des imperfections du code électoral comme cause du boycott des élections, est un débat sans objet. Point n’est besoin de revenir sur le processus de perfectionnement des lois électorales au Cameroun depuis 1992, sur les nombreuses avancées enregistrées. Point n’est besoin d’insister sur le fait que la critique du code électoral est très souvent promue par les opposants, jusqu’à ce qu’ils accèdent au pouvoir. A titre d’exemple, c’est sur la base du code électoral sénégalais qu’il avait maintes fois rejeté, que Abdoulaye WADE a été élu Président de la République contre le Président sortant, Abdou DIOUF, en 2000. En fait, la critique intempestive du code électoral relève souvent d’une stratégie de diversion ou alors participe ex ante du rituel de la contestation des résultats.

Pour ce qui est du double scrutin législatif et municipal du 9 Février, il faut relever que l’argumentation avancée pour justifier le boycott des élections est fallacieuse. Tenez. Au Royaume-Uni, de manière régulière, le Parti Libéral a critiqué le système majoritaire et l’a présenté comme favorisant le parti travailliste et le parti conservateur, mais, il n’a pas pour autant renoncé à prendre part aux élections. En France, les partis politiques de la mouvance écologiste sont des défenseurs de la représentation proportionnelle, mais, ils acceptent de prendre part aux élections organisées sous l’empire d’un mode de scrutin qu’ils critiquent. Aux Etats-Unis, les démocrates et les républicains s’affrontent, même dans des circonscriptions électorales qui, en raison du partisan gerrymandering, sont faites pour favoriser des intérêts politiques spécifiques ; dans le même ordre d’idées, la mise en exergue des limites démocratiques de l’élection du Président des Etats-Unis au suffrage universel indirect par un collège électoral n’a jamais été utilisée comme un argument pour appeler au boycott des élections présidentielles américaines. Toujours aux Etats-Unis, le 21 janvier 2010, la Cour Suprême a rendu une décision Citizens United v. Federal Election Commission, au terme de laquelle les super comités d’action politique en faveur d’un ou de plusieurs candidats peuvent recevoir des fonds illimités notamment pour diffuser des publicités négatives contre les concurrents de leur(s) candidat(s). Cette décision fut critiquée abondamment par le Président Barack OBAMA comme créant une inégalité entre les candidats sur la base des sommes collectées ou des dons reçus, comme créant la possibilité de financement d’une campagne électorale par une puissance étrangère. Toutefois, le constat objectif de l’iniquité du système électoral n’empêcha pas au Président Barack OBAMA d’être candidat aux élections présidentielles de 2012 et de les emporter.

La critique du système électoral n’empêche pas la participation aux élections, comme le montrent à suffisance les exemples ci-dessus cités. Mieux, elle nourrit la participation aux élections, dans la perspective d’une victoire permettant de mettre en œuvre le programme politique comportant éventuellement la révision du code électoral. En effet, c’est au sein des institutions représentatives, notamment le Parlement, que s’effectue le changement législatif, de manière démocratique. Ici, est curieuse la promotion du consensus (contre la majorité) comme mode de révision de la loi électorale, alors que celle-ci fait partie du domaine des compétences du Parlement. Ici comme ailleurs, la revendication du consensus peut relever d’une manœuvre « dolosive » visant à neutraliser les institutions représentatives. Certes, le Président de la République peut recueillir des avis en vue du perfectionnement de la loi électorale, comme on a pu le constater depuis 1992 ; mais, la loi électorale, comme toute loi, est adoptée et promulguée, suivant les formes prévues par la Constitution.

4- Le débat sur la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, comme cause du boycott des élections législatives et municipales, n’est pas fondé.  Non seulement, pour des raisons d’égalité devant la loi électorale, les élections législatives et municipales concernaient toute l’étendue du territoire national, y compris les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, mais, en plus, pour des considérations liées à la situation spécifique dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les élections législatives et municipales ont constitué une modalité privilégiée de sortie de conflit par et dans le vote des populations.  La tenue des élections législatives et municipales dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest constitue à la fois une attestation de l’indivisibilité du territoire et une opportunité offerte aux populations de choisir ceux et celles qui peuvent les représenter et parler en leur nom. Il est difficile de comprendre que les élections soient promues par l’ONU comme moyen par excellence de sortie des crises et que la tenue des élections législatives et municipales dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, comme sur toute l’étendue du territoire national, ait été critiquée sans retenue, par certains, comme si la terreur sécessionniste valait mieux que le verdict des urnes. De la même manière que l’Etat a défendu et promu le droit à l’éducation dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest, au même titre dans toutes les autres régions sur toute l’étendue du territoire, il était important qu’il en fasse autant pour les droits civils et politiques : c’est une expression concrète de l’engagement pour l’universalité des droits de l’homme sur le territoire national. On ne peut pas encourager le déroulement des activités scolaires dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, d’un côté, et de l’autre, prétendre que les élections législatives et municipales ne peuvent pas y avoir lieu.

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Qu’il n’est pas été facile d’organiser les élections législatives et municipales dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est un fait conforté par la décision du Conseil Constitutionnel annulant les élections législatives dans certaines circonscriptions électorales desdites régions. Toutefois, cette annulation ne marque pas l’impossibilité d’y tenir les élections. Bien au contraire, la décision du Conseil Constitutionnel constitue un plaidoyer pour l’universalité du code électoral sur tout le territoire camerounais, y compris dans des localités sujettes à des actions de contestation de l’autorité de l’Etat. Rappel doit être fait de ce que le Conseil Constitutionnel a validé le déroulement des élections législatives dans la majorité des circonscriptions électorales des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. C’est une preuve concrète de la faiblesse de l’argument consistant à présenter la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest comme ne permettant pas la tenue des élections. Cet argument a surtout contribué à la pollution intellectuelle de la vie politique. Il en est de même de l’argument de la normalisation de la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest comme condition de tenue des élections législatives et municipales. Non seulement, la tenue desdites élections est une exigence constitutionnelle et légale à l’égard de laquelle les dérogations constantes pavent le chemin de l’illégitimité, mais, en plus, Les Etats-Unis cités comme une démocratie établie et une référence, ont abrité une expérience intéressante de tenue des élections présidentielles pendant la guerre de sécession. Par ailleurs, il serait difficile d’admettre que, d’une part, la communauté internationale encourage et accepte la tenue des élections dans les Etats effondrés comme l’Irak et l’Afghanistan, d’autre part, soit soutenue l’opinion suivant laquelle il n’est pas possible d’organiser les élections législatives et municipales au Cameroun.

5- Le débat qui vise à consacrer la primauté de la manifestation sur l’élection, s’affranchit des fondamentaux de la démocratie et relève d’une tentative de contrefaçon et de contrebande. Une telle transgression est inacceptable. Certes, la manifestation constitue un mode d’expression démocratique ; mais, elle n’est pas une source de légitimité : la manifestation n’est, ni un mode de sélection des dirigeants, ni une voie démocratique d’accès au pouvoir.  Seule l’élection confère à un individu, le droit de parler et d’agir au nom du peuple, du groupe qui l’a élu. Tenter de manière directe ou indirecte de substituer la manifestation à l’élection, les manifestants aux électeurs, participe de la dynamique de changement anticonstitutionnel. C’est une remise en cause de la démocratie. On ne peut pas librement faire le choix de la manifestation ou de la protestation contre celui de l’élection et prétendre par la suite, être représentatif : la rue n’est pas une urne ; les slogans ne sont pas des bulletins de vote ; les applaudissements des manifestants ne sont pas des suffrages. La démocratie a ses exigences qui s’imposent à tous.

6- Le débat sur le taux de participation aux élections législatives et municipales semble sous-informé et mal-informé au sujet de la problématique générale de la participation électorale dans les démocraties. A cet effet, deux considérations peuvent être faites.

Premièrement, le taux national de participation, à savoir 45,98%, est honorable. On peut mieux l’apprécier en prenant en compte divers exemples. Le taux de participation était de 32% aux élections législatives de 2012 au  Sénégal et de 22% aux élections législatives du 28 avril 2019 au Bénin ; Aux Etats-Unis d’Amérique, le taux de participation aux élections au Congrès de 1974 à 2018 est inscrit dans un intervalle dont la borne inférieure est de 36, 7% et la borne supérieure, de 50%. Dans ces différents cas, la légitimité de l’institution représentative n’a jamais été remise en cause.

7- Le débat sur la majorité écrasante du parti politique, RDPC, est ignorant de la possibilité et de la réalité de l’émergence d’un parti dominant dans une démocratie électorale. En fait, ce qui est à l’œuvre au Cameroun, c’est le système du parti dominant. Il en est ainsi au Cameroun avec le RDPC, comme en Afrique du Sud avec l’ANC. Dans ces deux Etats, ces deux partis politiques détiennent l’essentiel des leviers de pouvoir aux plans national et local. Ce qui importe, c’est que le parti dominant soit le produit des élections libres, transparentes et honnêtes. Telle est la conclusion qui s’impose à partir de la décision du Conseil Constitutionnel portant proclamation des résultats des élections législatives. De la même manière que dans des championnats de football, il existe des joueurs dominants (comme Ronaldo et Messi) ou encore des clubs dominants (comme le Barça et le Real), dans la vie politique, il peut y avoir des partis politiques dominants. Dans la vie politique comme dans le football, la prépondérance acquise lors des compétitions peut aussi être perdue de la même manière. Le plus important en démocratie, c’est que les partis politiques dominants soient soumis aux mêmes règles du jeu que tous les autres partis politiques et qu’ils se soient imposés comme les meilleurs, au terme d’une compétition électorale.

Au terme de cet inventaire critique et non exhaustif des débats qui animent l’espace public, il peut être relevé que le double scrutin législatif et municipal a réaffirmé le Cameroun comme un Etat (capable de veiller au respect de la Constitution et de la loi électorale), comme un Etat de droit (dans lequel les droits civils et politiques sont respectés en même temps que la justice constitutionnelle s’assure de la régularité des élections, les élections législatives dans le cas d’espèce), comme une nation (dans laquelle tous ses membres communient au même moment au rituel du choix des députés et conseillers municipaux), comme une République (dont le territoire est indivisible et dans laquelle les citoyens participent aux affaires de la cité), comme une démocratie pluraliste (dans laquelle sont organisées des élections périodiques, libres, concurrentielles et transparentes auxquelles prennent part diverses formations politiques) et comme une démocratie représentative (dans laquelle ceux et celles qui représentent le peuple,  sont des élus). C’est le mérite du Président Paul BIYA d’avoir une fois de plus permis d’observer ces faits têtus, construits au fil du temps, avec patience, détermination, sagesse et méthode.

Luc Sindjoun, Professeur des universités


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