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Marie Claire Nnana : « Au Cameroun, le péril cybernétique, est avant tout et paradoxalement une affaire de parricide »

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Le thème sur les réseaux sociaux était la toile de fond de l’éditorial de Marie Claire Nnana ce 24 août 2020. Selon le directeur de la publication de Cameroon Tribune, les réseaux sociaux sont devenus un espace où se répandent comme une trainée de poudre, de informations de nature à mettre en péril les idéaux de la Nation. Des comportements contre lesquels se dresse le gouvernement pour y mettre fin. L’intégralité de la plume de la journaliste vous est proposée par Leblesparle.com.

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Survivrons-nous aux réseaux sociaux ?

Lorsque les pays avancés évoquent la cyberguerre et la cybersécurité en général, ils ne pensent pas ou si peu, à une armée de hackers planquée sur leur propre territoire, prête à tout pour exploser le système informatique, même s’ils ont tout à craindre des franges les plus extrémistes de leur population. Ils sont certains qu’une cyberattaque d’envergure proviendrait de pays ennemis, avec qui ils sont en compétition économique ou géostratégique.
Au Cameroun, le péril cybernétique, dans l’immédiat, est avant tout et paradoxalement une affaire de parricide. De tentative de parricide si l’on veut, contre laquelle le gouvernement a décidé de se doter des grands moyens. Tapis dans l’ombre ou à visage découvert, des individus ou des groupes plus ou moins organisés alimentent les réseaux sociaux en infox et images dont le but est clairement de susciter la panique ou la colère, et déstabiliser l’Etat. Comment ne pas saluer aujourd’hui l’action concertée des ministres en charge des Télécommunications et de la Communication qui ont entrepris de mener la croisade contre cette nouvelle forme d’incivilité, voire de criminalité ? L’objectif affiché étant de créer « une coalition nationale pour la cybersécurité », aux côtés des experts, des entreprises, de la société civile, et d’appliquer la loi, qui n’est pas muette à ce sujet. Comme on peut le constater, la riposte gouvernementale repose sur trois vecteurs : la sensibilisation et l’implication des communautés, la réponse technique, et la réponse pénale.
Dans cette riposte planifiée, il n’est pas surprenant que les médias occupent une place tout à fait à part. Il est loisible de constater en effet que de nombreux journalistes n’éprouvent aucun tremblement de conscience à diffuser et à partager des fake news et des scènes d’horreur, et cette pratique déontologique indulgente et paresseuse contribue largement à la dégradation des réseaux sociaux, sous l’effet conjugué des dérives médiatiques et des défoulements haineux. Cependant, la manipulation des réseaux sociaux par des acteurs sans foi ni loi n’est pas sans conséquence. En laissant prospérer dans ce lieu de socialisation par excellence, l’inculture, l’information approximative, et tout le vomi de la société, les démocraties en construction commettent sans doute une erreur d’appréciation. La première conséquence visible, c’est la dégradation du débat public, si nécessaire à la vitalité démocratique. 
On peut aussi faire le constat désolant qu’un certain discours démagogique y trouve un terrain favorable. Les réseaux sociaux sont ainsi devenus le lieu du repli identitaire, où les politiciens, les soi-disant lanceurs d’alerte, les pseudos-intellectuels et de parfaits anonymes n’hésitent pas à semer la graine du tribalisme. Car en effet, il leur suffit de postuler la déliquescence de l’Etat, vidéos et documents à l’appui, pour faire croire que seul le village et l’identité de chacun seraient devenus les valeurs les plus sûres… Il était donc manifestement temps d’agir. Nul ne peut jurer que la cohésion sociale de notre jeune pays puisse résister longtemps à ce déferlement quotidien de contre-vérités, de « révélations » sur les turpitudes supposées des dirigeants, à la diffusion d’actes de boucherie humaine en direct, à l’apologie de la violence, et aux arguties de ceux qui exaltent la tribu comme valeur-refuge. Et le Cameroun, bordel ! Qu’en faisons-nous ? Les individus s’étriperaient-ils autant pour des fonctions de députés, de maires, de ministres, de magistrats ou de préfets, dans une nation à laquelle ils ne croiraient pas ? La fierté des Baham, la terre des Ekang et des Banen, celle des Mvae et des Ntumu, seraient-elles désormais au-dessus de la maison commune et du sentiment d’appartenance ? Au point de poser des revendications, certes légitimes, en leur nom, plutôt qu’au nom des lois républicaines et de l’équité citoyenne ?
L’autre risque où la dérive des réseaux sociaux peut conduire, c’est à un travestissement de la réalité, à une myopie collective. La hiérarchisation de l’information dans les médias n’est pas loin d’être dictée désormais par les nombreuses polémiques cybernétiques, alors même que l’agenda national comporte des sujets d’une importance indéniable, qui sont ignorés, ou simplement effleurés… 
Afin de trouver une explication à ces choix éditoriaux, on peut penser que, grisée par la forte résonnance d’Internet, et enhardie par ses conquêtes dans le registre de la liberté de dire, la presse a choisi la voie de la facilité et de l’audimat. Mais la vérité est peut-être ailleurs : dans ces groupes plus ou moins organisés qui déforment l’image du Cameroun dans les réseaux sociaux, une partie de la presse est mise à contribution, à travers un réseau de connivences.
Et pourtant, la réalité est bien plus nuancée. Les sujets d’intérêt ne manquent pas. Les efforts de paix et de reconstruction dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, la résilience de la nation, face aux multiples chocs, économique, sanitaire, sécuritaire qu’elle traverse depuis quatre ans, la conduite sérieuse et appliquée du plan de riposte contre le Covid-19, la réflexion sur une relance économique plus inclusive, tournée vers la production locale et la consommation du made in Cameroon, voilà autant de chantiers gouvernementaux qui mériteraient d’être au centre des investigations journalistiques. Cela nous redonnerait confiance en nous-mêmes et rassurerait encore davantage nos partenaires au développement. Car, non, le Cameroun n’est pas un pays courbé sur son nombril, sur ses difficultés et ses délires. Il sait toujours relever la tête après la crise pour réinventer son avenir.
En définitive, le combat engagé par le gouvernement contre la dérive des réseaux sociaux nous paraît devoir être regardé par tous comme une cause nationale. Tous ceux qui ont une voix, un statut, une influence doivent pouvoir y apporter leur contribution, pour que l’espace cybernétique redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : l’une des plus grandes avancées technologiques des temps modernes, un formidable outil de rencontres, d’apprentissage, de convivialité et de fraternisation.


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