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[Tribune] Louis Marie Kakdeu : « Au Cameroun, le gouvernement fonctionne presqu’essentiellement en marge de la législation en vigueur »

LMK cereale

L’analyste économique a publié une tribune sur l’interdiction de l’exportation des céréales par le Mincommerce adressé aux gouverneurs du septentrion. Il estime que cette interdiction ne sert pas l’intérêt des paysans.

LMK cereale
Louis Marie Kakdeu – DR

Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

Cameroun : La spoliation des paysans de l’Extrême-Nord

Par Louis-Marie Kakdeu

Par correspondance N°0634/Mincommerce/CAB du 03 décembre 2021, le Ministre en charge du commerce instruit le Gouverneur de la Région du Nord d’interdire l’exportation des céréales. Dans le cadre de cet article, j’aimerai expliquer de quoi il est question et indiquer comment c’est une mesure anti-camerounaise visant à décourager le peu d’initiatives privées de production locale qui existent.

De quoi s’agit-il ?

D’abord, pourquoi le gouverneur du Nord ? Parce que la région du Nord (Garoua) est le corridor par lequel transitent les produits agricoles (céréales en l’occurrence) vers le marché du Nigéria. En fait, au moment où nous poussons le gouvernement camerounais à négocier les accords commerciaux avec le Nigéria (1800 km de frontière et un marché de plus de 200 millions de personnes), les gars préfèrent plutôt fermer ce marché avec le Nigéria et aller à 6000 Km négocier un accord commercial dans lequel nous sommes perdants (première observation). Pourquoi le marché du Nigéria est-il d’actualité ? Parce que la production camerounaise n’était plus compétitive au Cameroun. Curieux, non ? C’est-à-dire que le produit camerounais est indésirable dans son propre pays et ce Mincommerce qui doit en faire la promotion n’a demandé dans le budget 2022 que 0,1% du budget national à ce sujet (391 millions consacrés pour l’essentiel à aller à la foire de Shanghai. Suivez mon regard !). Le gouvernement camerounais avait autorisé l’importation massive des céréales de l’étranger, ce qui venait faire la concurrence déloyale aux productions locales, en violation de sa loi n°98/013 du 14 juillet 1998 relative à la concurrence. Pourquoi s’agit-il de la concurrence déloyale ? Parce que le gouvernement camerounais met en concurrence sur le même marché des produits subventionnés (à la production, au transport vers le Cameroun et souvent à la Douane et aux Impôts) et les produits locaux non subventionnés. En clair, les producteurs locaux au Cameroun ne bénéficient d’aucun accompagnement de la part du gouvernement. La distribution des semences améliorées, lorsqu’elle est faite au passage d’une élite du coin, est insolite. Par exemple, 5kg pour un village. Sinon, les paysans sont abandonnés à eux-mêmes, sans financements, sans sécurité sociale, sans assurance, sans facilités administratives, etc. Lorsqu’il y a des projets comme ACEFA ou PIDMA, on leur demande des paperasses qu’ils ne peuvent pas fournir et par conséquent, ce sont des paysans fictifs (fonctionnaires) qui en bénéficient alors qu’ils ne produisent pas. Concrètement, que s’est-il passé ? Depuis 2017, les paysans de l’Extrême-Nord n’avaient plus de marché au niveau national pour écouler leurs produits. Par exemple, alors que le Cameroun importait pour près de 1,2 millions de tonnes de riz, la SEMRY (gouvernement) s’était arrangée à collecter auprès des petits producteurs 160 milles tonnes de riz qu’elle avait stockées, les abandonnant à la famine et à tout type de précarité sociale. Cela avait en son temps engendré une crise sociale que le gouverneur de l’Extrême-Nord avait dû calmer en recommandant à la SEMRY de libérer l’argent des pauvres producteurs locaux.

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Contexte de production

De façon générale, l’Extrême-Nord du Cameroun enregistre environ 40 jours de pluie par an. La solution pour la production locale dans cette partie du pays est la réussite de la rétention de l’eau. Le gouvernement a abandonné cette partie du monde en proie à la sous-nutrition (36% selon le PAM). Pourquoi ? Parce que le dernier investissement public pour la rétention de l’eau date de 1978 (43 ans). Il s’agit de la digue de Maga qui fait du Mayo-Danay un bassin de production. Dans les 6 départements de la région, les paysans doivent en général se débrouiller par eux-mêmes pour financer la construction de leurs propres digues. Et bonjour la spéculation ! En Juillet 2021, pour ne parler que de l’année en cours, les paysans pré-vendaient un sac de 100 kg de riz paddy même à 6000 FCFA (aux spéculateurs) en vue de préfinancer la construction de leurs digues. Résultat des courses, ils ont été déjà spoliés par ces spéculateurs sous le regard complice du gouvernement (le prix réel tourne autour de 15 000 FCFA bord champ). Pire, le gouvernement attend l’approche de la période des récoltes pour prendre la décision de fermer le marché au plus offrant, en violation de l’option libérale prise par le pays par la loi n°89/01 du 28 juillet 1989. L’on prétend que c’est pour garantir la disponibilité du riz en fin d’année comme si c’est le 3 décembre que l’on se réveille pour préparer la fin d’année. Ils étaient où en juillet 2021 lorsqu’il fallait encourager la production massive en vue des fêtes de fin d’année ?

De crises en crises

On n’a seulement pas le temps d’attaquer ce gouvernement en justice tous les jours. Ces gens fonctionnent presqu’essentiellement en marge de la législation en vigueur. Chacun croyant pouvoir créer la loi en fonction de ses intérêts égoïstes. J’entends dire qu’il s’agit d’une mesure protectionniste salutaire pour les consommateurs. Non ! Aucunement ! Le protectionnisme ne vise pas les exportations. C’est-à-dire qu’aucun pays au monde ne bloque ses recettes en devises (pour après vivre de l’endettement massif comme le Cameroun). Le protectionnisme cible les importations massives. C’est-à-dire que l’on protège les produits locaux contre l’invasion des produits étrangers. Or, au Cameroun, on marche sur la tête. On fait exactement ce qu’il ne faut pas faire. On protège plutôt les produits étrangers. C’est la magie ! Le Mincommerce prend une mesure qui permet de tuer les produits locaux ainsi que leurs producteurs. C’est incompréhensible ! Pourquoi ? Parce que le riz de Yagoua n’est pas compétitif sur le marché camerounais. Le gouvernement protège le riz thaïlandais. Les pauvres paysans de Yagoua obligé de vendre au Cameroun ne peuvent que mourir face aux multimilliardaires qui importent le riz. Les pauvres fuient, vous abandonnent même le marché national et vous les poursuivez même à l’étranger pour finir avec eux ?

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Il est temps que l’on se ressaisisse dans ce pays et que l’on mette le citoyen camerounais au centre des préoccupations. Les gens ne peuvent pas travailler pour des intérêts égoïstes au point d’oublier que nous sommes ici au Cameroun et que le Camerounais devrait se sentir Roi chez lui. Après avoir stocké la production camerounaise du riz pour tuer les petits producteurs, l’on leur ferme maintenant le marché pour l’étouffer. Pourquoi le gouvernement, si soucieux dit-on des nationaux, ne subventionne-t-il pas le surcoût de la production locale comme c’est le cas en France par exemple ? Je vous disais que la CFC était une entreprise coloniale. En fait, il faut voir en cette mesure d’interdiction d’exportation l’obligation des producteurs de maïs à livrer à la CFC alors qu’elle n’est pas la plus offrante. Comment l’ensemble du gouvernement (premier ministre accompagné de 15 ministres) pouvaient se mobiliser pour aller inaugurer un machin qui n’a même pas l’intention de produire une seule tonne de maïs localement ? Le pays est déjà en sous-production de maïs et une entreprise s’installe pour pomper PAR FORCE le peu de maïs qui existe et que l’entreprise Maiscam collectait déjà pour lui vendre. Cela a un sens ? C’est ça qui va employer 18 000 nouveaux paysans qui ne sont pas ces pauvres qui se débrouillent déjà tout seul maintenant ? On rigole ou bien ?

Bref, nous sommes désormais condamner à savoir de quel côté se trouve nos intérêts sinon, nous allons mourir comme des bêtes. On nous distrait avec des guerres et autres affrontements d’ordre communautaires alors que les vrais enjeux sont ailleurs.

Ouvrez les yeux !

Bonne journée

LMK

 


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