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Tribune : Christelle Nadia Fotso rend hommage à son père

famille fotso

La Présidente la Fondation Fotso Maptué, Docteure en droit, et écrivain a rendu hommage au patriarche de Bandjoun décédé le vendredi 20 mars 2020 à Paris de suite de maladie.


famille fotso
Christelle Nadia Fotso et son père – capture photo

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de l’hommage.

L’héritage du Dernier Bamiléké 

“Si l’on vit assez longtemps, on voit que toute victoire se change un jour en défaite.” Simone de Beauvoir

“Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.” René Char

Papa, tu n’as pas eu la fin que tu méritais… Décéder dans un hôpital parisien en pleine pandémie du Coronavirus, loin de Bandjoun, du Cameroun et des tiens, agonisant seul, mal entouré tel que tu l’étais depuis, au moins, que l’âge t’avait rattrapé.. Après l’arrestation et l’emprisonnement de ton fils, tu avais compris que tu n’aurais pas la mort que tu avais longtemps planifiée en voyant tant de tes pairs trépasser subitement et petitement. Tu t’étais fait voler l’œuvre de toute une vie et ta fin ne pouvait plus te ressembler…

Résigné et affaibli, sans t’exhiber, tu as entamé un martyrisant chemin de croix, en faisant tout pour donner du temps à ceux qui te réinventeront afin que ta mort piteuse ne te définisse pas et qu’il y ait un après-toi. Cette chute a été infamante et diffamante. Le plus insupportable fut, non pas qu’elle ait été monstrueuse, mais solitaire en te montrant que tu n’avais pas d’amis et en te forçant à réaliser que les tiens, tes enfants, aussi nombreux soient-ils, ne pouvaient te porter. Le monde que tu avais créé était impitoyable et gouverné par l’argent rendu nuisible par l’inculture.

Difficile de tolérer l’indécence de tant de personnes dont des journalistes-fonctionnaires

Tu n’as pas eu la fin que tu méritais… Cependant, elle est à l’image de Bandjoun, du Cameroun, de l’Afrique, du nouveau monde et de cette époque féroce dans laquelle il faudra agir et créer de nouveau pour te réinventer. Sans être coupable, je me sens et me sais pleinement responsable. Tu avais prédit ce qui se passe maintenant : Bandjoun, les Grassfields, des notables et des bourgeois impuissants, grand nombre d’alliés politiques qui étaient de faux-amis, mais de vrais opportunistes et les autres qui ont regardé ta déchéance avec détachement ou délectation en feignant l’ignorance alors qu’ils avaient souvent partagé ton intimité. Malgré tout, il est difficile de tolérer l’indécence de tant de personnes dont des journalistes-fonctionnaires pour qui, même décédé, tu restes un guichet automatique. Sans aucun scrupule, ils sortent de l’ombre en exploitant notre nom pour se nourrir de ton cadavre en prétendant t’avoir connu, avoir été des proches pour rejoindre, sans état d’âme, la mangeoire.

Papa, tu as pourtant réussi ta vie. Elle avait apparemment si mal commencé dans un taudis de Tséla, en pleine époque coloniale, dans les Grassfields sans administration pour enregistrer ta date de naissance. Toi qui devint un fervent catholique, n’es né ni chrétien ni Victor Fotso. Tu choisis ton prénom lorsque tu fus baptisé, bien plus tard, par des missionnaires. Tu m’as raconté que ta mère, mon homonyme Maptué, était orpheline et ce, que tu as toujours eu du mal à avouer, qu’elle avait été répudiée par ton père. Tu en as tellement voulu à ce dernier que tu ne parvenais pas à cacher la satisfaction que tu avais éprouvée à le dépasser de son vivant et à ne pas lui succéder puisqu’à sa mort, son titre de noblesse était inférieur au tien.

Parce qu’il n’y avait que toi qui aurais su l’expliquer, peu comprennent combien le chemin de Hiala fut long, périlleux et ce qu’il t’avait fallu plus de détermination, d’ambition et oui de folie pour ne jamais abandonner en dépit d’échecs parfois cuisants. Tu ne pus immédiatement quitter les Grassfields et fus longtemps confiné à Foumban et d’autres villages à cause de l’inhumanité de l’administration coloniale. Lorsque tu trouvas les moyens de la déjouer, tu ne parvins pas à te rendre à Douala et te résolus à te rendre plutôt à Mbalmayo.

Tu n’as jamais accepté le destin qui semblait t’être réservé, celui d’un indigène illettré qui aurait dû et pu se contenter d’être un petit commerçant en portant le sac des autres. Ta capacité de travail et de discipline hors-norme t’a permis de persévérer en refusant la défaite et de te contenter d’autre chose que l’excellence. Tu as toujours reconnu avoir eu la chance d’avoir des modèles, des exemples dont feu Kadji Defosso qui, même sans toujours le vouloir ou le savoir, t’ont guidé en suivant leur propre route.

La régression d’une époque, mon époque, qui ne te méritait pas

Papa, désormais, Bandjoun, le Cameroun et l’Afrique sont amnésiques et ne savent rien ou pas grand chose de leur histoire. Trop osent se moquer ou douter de ton parcours en affirmant dédaigneusement qu’il est imaginé ou insignifiant. Ils sont convaincus qu’aucun Bamiléké, aucun Camerounais, aucun Africain, aucun de leurs semblables ne peut naître pauvre et réussir en travaillant sans tricher, en commençant par vendre des arachides pour finir capitaine d’industrie et maire de son village. Cette incrédulité teintée de grossièreté, de négrophobie, d’une haine profonde de soi, est une Bandjouniaiserie, une camerouniaiserie de trop. Elle illustre parfaitement la régression d’une époque, mon époque qui ne te méritait pas : tel ton entourage, elle est peuplée de jouisseurs sans destin.

Tu étais un séducteur. Avec les femmes, tu as toujours refusé de comprendre que la quantité ne peut remplacer la qualité parce que tu étais le fruit d’un vieux monde machiste. Oui, ton choix d’être polygame t’a desservi en te privant d’une véritable épouse qui t’aurait accompagné, soutenu et protégé. Nous savons tous les deux que tu n’avais réellement que deux amours : Maptué et Bandjoun. Tu as trop aimé ton village sans réaliser qu’il ne pourrait, ne saurait jamais te le rendre et être à ta hauteur.

Avec les hommes, tu as su les mener sans les écraser tout en trouvant des partenaires dont certains sont devenus des amis que tu as, hélas, quasiment tous vu disparaître. J’ai réalisé à quel point ta cour était pesante et nuisible lorsqu’aucun de ses membres ne t’a aidé alors que tous savaient combien tu souffrais. Seul, Pierre Castel a compris et essayé en respectant cependant ton silence obstiné mais parlant et la distance que tu as mise entre vous. Il aurait fait plus si tu le lui avais demandé. Par amour propre, jamais tu ne l’a fait : cet unique ami t’avait mis en garde contre ce qui a causé ta perte…

Tout signe de faiblesse aurait été le signal que tant attendaient pour t’achever

Papa, rares sont ceux qui savent que tu avais beau ne savoir que compter, tu n’étais pas qu’un homme d’argent. Ce qui fit ta grandeur était ton aristocratique cérébralité. Elle t’a rendu extrêmement habile et t’a permis de transcender ton illettrisme en te faisant, autant que possible, accompagner sans que cela ne soit une humiliation. Malheureusement, plus tard, le massacre impitoyable qu’a été ta vieillesse t’a fait choisir de ne plus demander et de masquer ta déchéance avec la flamboyance de ta virilité. Tu pensais que tu ne pouvais pas et ne devais absolument pas faire, montrer ton âge : étant un vieux lion, roi d’une jungle primitive, tout signe de faiblesse aurait été le signal que tant attendaient pour t’achever.

Encerclé, les fruits de tes entrailles t’ayant trahi, tu fis le choix noble de faire ta longue marche vers la mort en louant au prix fort suffisamment de temps pour ne pas être humilié de ton vivant et tenter de sauver quelques bonnes graines pour l’après-Fotso. Tu m’y as préparée en me disant la vérité et en me tenant éloignée de ton entourage pour ne pas être infectée par leur vénalité infectieuse et leur inculture villageoise. Tu m’y as préparée en me faisant te promettre de ne pas participer ni à l’organisation de tes obsèques ni à celle de ta succession. Tu m’as demandé de vivre ma vie puisque n’ayant jamais été une personne dont le seul travail était d’être ton enfant, tu voulais éviter que je devienne une héritière à plein temps.

Papa, j’ai appris ta mort par les médias… Tu n’es mort officiellement que depuis quelques jours, mais cela faisait des années que tu n’étais plus. Oui, mon amour qui n’a jamais été léger est un supplice et il m’a incitée à écrire mon dernier livre « Défigurée » que je t’ai dédié pour l’alléger en achevant un deuil qui avait commencé bien avant cette insignifiante disparition. Tu m’avais lâchée en faisant tout pour que je ne te suive pas, que je ne t’attende plus et que je cesse d’essayer de te sauver pour t’éviter cette fin bâclée. Tu as été violent en sachant que je comprendrais plus tard que tu me protégeais et que mon avenir était devant moi mais sans toi. Il m’a fallu beaucoup de distance et de temps pour accepter que tu avais raison comme presque toujours.

Je ne te dis donc pas adieu et ne te souhaite surtout pas de reposer en paix. Tu as toujours préféré l’action à la tranquillité, le paradis se transformerait en enfer si tu étais condamné à être spectateur et non plus acteur. Ce que je te souhaite, Papa, c’est d’enfin réaliser que si avec raison, tu redoutais les moqueries, certain que personne ne t’aiderait, tu as eu tort de ne pas croire, une fois de plus, en ce qui t’a porté des bas-fonds de Bandjoun au sommet de la montagne pour devenir Fotso et qui ne pouvait pas permettre que l’après-toi se résume à d’extravagantes et indécentes obsèques et une succession impossible puisque tes costumes sur mesure sont trop grands pour ceux qui restent ! Tu peux enfin lâcher prise rassuré que ton dur désir de durer a été fécond.

Vivre sans toi, sans que mon héritage ne devienne un fardeau

Papa, tu étais le Dernier Bamiléké. Ta plus grande réussite est d’avoir donné largement ce qu’il faut pour réinventer, créer, agir et faire sans l’impossible obligation de continuer et de marcher dans tes pas. Oui, oui, tu n’as pas eu la fin que tu méritais, c’est tragique et honteux mais ce n’est pas une fatalité. Tu as eu une riche vie travaillée et auras le plus grand héritage qui soit : ton histoire deviendra source de consolation, de force et d’inspiration. Tu m’as fait le plus beau cadeau qu’un père, un fils pouvait faire à sa fille-mère : me donner suffisamment de toi pour m’élever, vivre sans toi, sans que mon héritage ne devienne un fardeau.

Je ne cherche et n’attends pas ton testament. Ta succession ne m’intéresse et ne me concerne nullement. J’ai pris le chemin de Manhattan en sachant quel est mon héritage.

Papa, les générations futures sauront que ce que je construirai n’aurait pas été possible si l’honneur de ma vie n’avait pas été d’être la fille-mère de Fotso Victor, un monument qui a eu un parcours tellement hors du commun qu’il va inspirer l’écriture d’une autre histoire qui je te le promets sera digne de toi !


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