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Ekodo Mveng : « Les régionales créeront des aigreurs et frictions auprès des chefs traditionnels délestés par les prébendes et les trophées électoraux »

Mveng Ekodo Roland Simeon

Dans Mutations n° 5243 Jeudi 10 décembre 2020, le politologue Siméon Roland Ekodo Mveng analyse  les enjeux de succession traditionnelle après le scrutin des régionales du dimanche 06 décembre 2020. Pour le chercheur en science politique, les frictions nées de ces élections créeront une cohabitation conflictuelle au sein du conseil supérieur des chefs traditionnels.


Mveng Ekodo Roland Simeon
Siméon Roland Ekodo Mveng – DR

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de l’entretien.

Les élections régionales du 06 décembre dernier ont étalé de profondes divisions au sein du commandement traditionnel camerounais. Ce pouvoir n’en sort pas plus fragilisée ?

 Les élections régionales au Cameroun comme facteur d’érosion de la légitimité du pouvoir traditionnel peuvent s’entendre en première approximation comme une politisation incestueuse à l’impartialité principielle des gardiens de la coutume. Une hypothèse qui résiste mal au texte de 1977 qui fait d’eux des auxiliaires d’administration et donc des bras séculiers d’un État patrimonial historiquement colonisé par le parti dominant Rdpc. Dans un contexte pluraliste, on a observé un désalignement idéologique et un basculement de certains dans l’opposition.

Les chefs traditionnels du Cameroun sont regroupés au sein d’un conseil supérieur. Est-ce que les divisions nées de ces élections ne vont pas déteindre sur cette association ?

Disons que dans un contexte pluraliste, les institutions doivent être représentatives des grandes tendances idéologiques issues des urnes. On pourrait toutefois craindre une paralysie de l’association devant des grandes décisions clivantes. Ou encore une cohabitation conflictuelle qui est parfois nocive et souvent le signe d’une vitalité démocratique.

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Est-ce qu’il ne faut pas craindre que des chefs finalement élus grâce au coup de pouce des élites politiques, c’est-à-dire, les mêmes qui bloquent la décentralisation depuis deux décennies, soient mis en coupe réglée?

Cette crainte d’instrumentalisation des chefs est réelle en raison des lois de redevance et de loyauté aux King makers (faiseurs de rois). Motif pris de ce que leur besoin de conservation des avantages symboliques et matériels découlant d’une position institutionnelle spoliée et trafiquée peut faire naître des réflexes mafieux de connexion avec les réseaux occultes de pouvoir et les forces du capital qui contrôlent en amont les investitures au sein des bureaux politiques et en aval, le corps électoral d’un scrutin indirect totalement coupé de la volonté populaire.

Faut-il craindre à ce que les chefs perdants et les gagnants se regardent désormais sinon en chiens de faïence, du moins comme des ennemis politiques ? Quelles en pourraient être les conséquences à long terme ?

Il va sans dire qu’un jeu électoral à somme nulle ou encore une politique du « winner takes all » dans laquelle les gains sont indivisibles créera certainement des aigreurs et frictions auprès des chefs traditionnels délestés par les prébendes et les trophées électoraux. Ceci pourra entraîner l’étiolement du lien entre familles et clans au sein des communautés. Ce nouveau capital social du chef coopté au sein du conseil régional pourra reconsidérer les enjeux de succession et de représentation traditionnelles. C’est ce qui explique en partie et au-delà des charismes mystiques, l’engouement des élites urbaines, des hommes d’affaires et des ministres à l’adoubement dans ce nouveau fleuron du pouvoir traditionnel contrôlé par des notables.

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Pour finir, il y a de forts soupçons de monnayage des voix des chefs traditionnels. Au plan moral ça sonne mal !

S’il est vrai que des soupçons de monnayage des grands électeurs blessent l’idéal type d’une allégeance civique du votant à l’endroit de l’offre, il faudrait considérer l’intrusion de l’argent ou sa surdétermination du choix politique en lieu et place des solidarités communautaires, tribales, et partisanes classiques comme une nouvelle ère de la ploutocratie (régime de fortunés) électorale. Un penchant pervers et dévoyé des théories économiques de la démocratie où l’électeur cherche à maximiser son profit indépendamment des réquisitions morales.

Propos recueillis par Jean De Dieu Bidias


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