L’un des chefs d’accusation qu’a portés contre le Cameroun, l’activiste de la brigade antisardinards (B.A.S) Abdoulaye Thiam alias Calibri Calibrio face au président français Emmanuel Macron le 22 février 2020 était le crime de « génocide ». Des « allégations mensongères » qui ont été sans cesse rejetées par le gouvernement et même par la présidence de la République. Dans la même veine, le Pr Narcisse Mouellé Kombi se tient au sommet de son art, prend sa plume et mène un exposé où il démontre de manière déductive que le pays de Paul Biya n’est pas criminel. Lebeldparle.com vous propose cet article de l’Agrégé de Droit public et Science politique publié sur son compte Twitter et paru dans les colonnes du quotidien national bilingue Cameroon Tribune.
Qu’est-ce que le génocide ?
A propos d’une flagrante contre-vérité sur le Cameroun
Confucius, ce grand philosophe de la Chine antique enseignait à ses disciples les vertus du silence et les maléfices des paroles vaines et vénéneuses : « ami, si ce que tu vas dire risque de faire plus de mal que de bien alors, tais-toi ». Plus près de nous, l’illustre sage africain Ahmadou Hampate Bâ disait « La parole est tout. Elle coupe, écorche. Elle guérit ou tue net. Elle amplifie, abaisse selon sa charge. Elle excite ou calme les âmes ». Et dans un texte inédit intitulé Qu’est-ce que la parole ? il faisait une belle pédagogie de l’opportunité, de la qualité et de la vérité de la parole. Bref de son exactitude, qui est ‘‘un des fondements essentiels de l’harmonie qui régit l’univers’’.
Les mots, dont tout discours est constitué, ont un sens. Utilisés à contre sens, à mauvais escient ou de manière galvaudée, ils peuvent conduire à des désastres. Lorsqu’ils sont injures, invectives, calomnies, contre-vérités, ils apparaissent comme sources de tensions, de conflits ou de malentendus diplomatiques. Ce qui est regrettable lorsque sont en face deux Etats souverains entretenant des relations de coopération anciennes, multiformes, amicales et privilégiées. Nous parlons bien sûr de la France et du Cameroun.
Il y a quelques jours, à l’occasion du Salon de l’Agriculture à Paris, un prétendu compatriote nous en a hélas donné la malheureuse illustration. Interpellant, à la volée et de manière impromptue le Président français Emmanuel Macron, il a dans une prise de parole virulente et cahoteuse prononcé des mots dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont offert au Chef de l’Etat français une représentation galvaudée, une perception totalement erronée et une vision falsifiée de la réalité sociopolitique au Cameroun. Evidemment, il s’en est suivi un tollé général, une condamnation véhémente, passionnée et presque unanime de la part des patriotes camerounais soucieux de l’image de leur pays et surtout de la dignité, de la respectabilité et de l’honneur de celui qui incarne leur nation, le Président Paul Biya. La réaction, en guise de mise au point, du Ministre de la Communication, porte-parole du Gouvernement est à cet égard significative.
Le crime de génocide, une idée grotesque, caricaturale et sans fondement au Cameroun
L’une des accusations la plus polémique et problématique, la plus inacceptable, parce que caricaturale, inappropriée et malveillante de l’échange entre un activiste apparemment en situation irrégulière en France et le Président Macron est celle d’un prétendu crime de génocide que commettraient les autorités camerounaises.
Les mots ont un sens disions-nous. Pour les juristes puristes, la maîtrise de la terminologie juridique est un prérequis fondamental. Car, les mots comme les hommes qui les utilisent, peuvent porter la marque d’un péché originel. En tant que Professeur de Droit et plus spécifiquement de Droit international, j’ai passé de nombreuses années de mon magistère à enseigner à mes étudiants l’importance de la maîtrise du système des sources de droit, des méthodes de qualification terminologique et des principes d’interprétation juridique. Tout processus de raisonnement juridique, toute structuration de la pensée doit partir d’une bonne définition du ou des terme (s) censés s’appliquer à une réalité ou la décrire afin d’en tirer les conséquences pertinentes. Soulignons que la qualification est un raisonnement consistant à faire entrer un élément factuel, institutionnel ou normatif dans une catégorie juridique précise dont découlera l’application d’un régime juridique correspondant ou pertinent. De la sorte, l’on établit clairement la distinction par exemple entre un délit et un crime, entre un acte d’agression et un acte de légitime défense. L’objectif primordial est d’éviter les amalgames, les confusions, les faux procès et autres erreurs d’appréciation ou de jugement. L’un des risques à surmonter c’est la banalisation et la falsification de concepts juridiques lourds de sens et de conséquences. Car de l’essence de la qualification découle la consistance de la sanction éventuelle.
Or, sous le prisme de la qualification juridique, que signifie véritablement le génocide ? Rappelons que ce néologisme forgé pendant la deuxième guerre mondiale par le juriste américain d’origine polonaise Raphaël Lemkin visait avant tout à décrire la réalité des crimes contre l’humanité commis par les Nazis contre les populations juives et tziganes de l’Europe. Par génocide, le Pr. Lemkin entendait la « destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. Il y voyait autant « des actions concertées pour détruire des groupes dans leurs dimensions physiques ou raciales, que dans leur existence religieuse, linguistique ou culturelle ».
Selon le Dictionnaire de Droit International Public, le génocide est une infraction internationale consistant en la destruction intensionnelle de tout ou d’une partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel. Cette destruction matérielle, par des moyens physiques ou biologiques, doit être basée sur la volonté spécifique de détruire le groupe en question. C’est en ce sens que le Tribunal Pénal International sur l’ex Yougoslavie, dans une décision rendue en juillet 1996, dans le cadre de l’affaire Le Procureur c/ Radovan Karadzic et Ratko Mladic soulignait que la définition du génocide « requiert que des actes soient perpétrés contre un groupe, avec une intention criminelle caractérisée, celle de détruire le groupe, en tout ou en partie ».
La convention des Nations Unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide insiste également sur le critère fondamental de l’intention avérée ou de la volonté concertée de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique à travers des actes tels : le meurtre de membres du groupe ; l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction physique totale ou partielle ; les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ou le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre. L’histoire contemporaine a pu révéler le lien entre les pratiques de ‘‘nettoyage ethnique’’, de ‘‘purification ethnique’’ ou ‘‘autres violations massives et systématiques de droits de l’homme’’ et la notion de génocide comme l’a relevé l’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution 47/121 du 18 décembre 1992 concernant la détérioration de la situation en Bosnie-Herzégovine. De même la communauté internationale a-t-elle pu trouver des éléments probants de la réalité et de la matérialité d’un génocide au Rwanda au début des années 1990.
Il découle de l’ensemble de ses définitions doctrinales, conventionnelles ou résolutoires que, rien mais absolument rien ne permet d’établir ou de conclure à l’existence d’indices ou de preuves de commission d’actes de génocide par des autorités civiles ou militaires camerounaises contre tel ou tel groupe ethnique. Le Cameroun rappelons-le, compte plus de 260 groupes ethniques et quelque 800 tribus. Si l’on tient compte du fait qu’un groupe ethnique est un ensemble de plusieurs tribus (exemples : dans le groupe Duala, l’on recense les Bodiman, Dualastricto sensu, Ewodi encore appelé Wuri, Malimba, Pongo, Mongo, Pongo-Songo ; dans le groupe Beti, l’on recense les Bene, Etenga, Eton,Etoudi, Ewondo, MbidaMbani, Yebekolo et bien d’autres encore).
Ni dans le Nord-Ouest, ni dans le Sud-Ouest, aucune tribu ou ethnie en tant que telle n’est l’objet d’une tentative de persécution, d’élimination ou d’extermination de la part du pouvoir. Bien au contraire, dans ces régions où des sécessionnistes ont déclenché des actes terroristes et où sévissent des bandes armées commettant divers actes ignobles de violence, de harcèlement et d’exactions contre les populations civiles, les forces de sécurité et de défense sont déployées pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Certes, dans un contexte de ‘‘guerre asymétrique’’ et non conventionnelle, quelques bavures ont pu être commises par des éléments isolés ou contraints de riposter en situation de légitime défense. Chaque fois, face à ces situations déplorables, le Gouvernement a pris des mesures correctives et palliatives.
Le Cameroun n’est pas un Etat criminel
Le Cameroun est loin d’être un Etat criminel. Le Président Paul Biya dont les vertus d’humanisme, de tolérance, de patience et de compassion sont incontestables, n’a de cesse d’œuvrer pour le retour définitif à une paix durable et à une reprise normale des activités dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il a pris à cet effet un train d’importantes mesures en faveur des populations desdites régions dans les domaines politique, économique, social et culturel. A la faveur du Grand Dialogue National, de nombreux ex-combattants ont rejoint la communauté nationale et le code de la décentralisation a réservé un statut spécifique aux régions anciennement sous domination britannique et où, pour des raisons historiques, l’anglais est dominant en tant que langue officielle. Tout est mis en œuvre pour que les libertés individuelles et les droits civils, économiques, sociaux et culturels des compatriotes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest comme ceux des autres régions du pays soient respectés et garantis.
Le Cameroun s’affirme, dans sa dynamique normative et organique comme un Etat de droit. C’est-à-dire une République où l’Etat se soumet au droit, n’est légitimé à agir que dans le cadre du droit. Où l’Etat est respectueux de laratio legis c’est-à-dire la raison d’être de la règle de droit et met en œuvre les principes de la structuration hiérarchique du droit, de la constitutionalité des lois et de la légalité des actes des gouvernants. Où les dirigeants tirent leur pouvoir de la légitimité démocratique, la démocratie étant une manifestation de l’Etat de droit. Ainsi le Président Biya a-t-il toujours été élu démocratiquement. Ainsi le 9 février dernier, les Camerounais sont-ils allés aux urnes pour voter leurs représentants aux conseils municipaux et à l’Assemblée Nationale.
Le génocide, une idée à proscrire de l’imaginaire des Camerounais
Aussi bien, le Cameroun est parti à la Charte Universelle des Droits de l’Homme, a adhéré à toutes les conventions internationales relatives à la protection des droits de l’homme et aux libertés fondamentales réaffirmées par le préambule de la Constitution considérée comme faisant partie intégrante de la loi fondamentale (art. 65 de la Constitution). Ledit préambule rappelle par exemple que : l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones ; il souligne que toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants. Et aussi, que nul ne peut être inquiété en raison de ses origines …
Dans Son célèbre ouvrage Pour le libéralisme communautaire, le Président Paul Biya, écrit : « il ne s’agira certainement pas de procéder à un effacement forcé et arbitraire des spécificités ethnico-régionales actuelles qui sont, sous certains angles, autant de richesses socio-culturelles, nationales par leur contribution indéniable au dynamisme unanimement reconnu à notre pays …à partir des identités plurielles, ethniques et régionales, par-delà la nature et l’histoire, notre unité sera le fruit de la fraternité, de la convivialité, de la complémentarité et de notre volonté commune de bâtir une nation forte et solidaire».
Il ne saurait donc y avoir, dans la réalité sociologique camerounaise voulue par le Président Biya, une politique de discrimination ou de marginalisation ou encore de domination, d’hégémonie, d’oppression ou de suprématie d’un groupe ethnique par rapport à un autre. L’on y trouve l’un des socles de la pratique de l’équilibre régional et de la prise en compte de la diversité des composantes sociologiques dans les représentations géopolitiques et même dans les logiques d’aménagement du territoire.
Chantre, héraut et ‘‘mendiant de la paix’’, Paul Biya, l’humaniste sait, comme l’écrivait le regretter Pr. René Jean Dupuy que, « l’humanité a droit à s’accomplir, ce qui suppose le droit à son intégralité, le droit à sa survie. Le génocide met en péril l’humanité elle-même. Elle vit au-delà de ses morts ».
L’humanité est à la fois immanence et transcendance. L’humanité dont fait partie intégrante le peuple camerounais parle à nos consciences. Ces consciences sont interpellées chaque fois que les menaces à la paix, à la cohésion nationale, au vivre-ensemble harmonieux, à l’unité et à l’indivisibilité de notre nation planent. Ces défis doivent être relevés avec pondération, sagesse et lucidité. Aussi ne doit-on pas jouer avec des mots comme génocide. Des mots dont l’incandescence a toujours produit des conséquences tragiques et indicibles. Le génocide, un terme qui doit être proscrit du langage et de l’imaginaire des Camerounais amoureux de leur patrie.
Par le Professeur Narcisse MOUELLE KOMBI
Agrégé de Droit Public et Science politique