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Djaïli Amadou Amal : « La Constitution camerounaise interdit le mariage des filles avant l’âge de 16 ans. Mais cette loi n’est pas respectée »

Roman

La romancière Djaïli Amadou Amal fait partie des 15 auteurs présélectionnés du prix Goncourt, prestigieux prix littéraire récompensant des auteurs d’expression française. Agée de 45 ans, la native de Maroua à l’Extrême-Nord du Cameroun s’est illustrée avec son roman intitulé « Les impatientes » qu’elle décrypte dans une interview accordée à France Inter et que vous propose Lebledparle.com.

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Djaïli Amadou Amal (c) Droits réservés

France Inter : En France, vous êtes encore inconnue mais dans votre pays, le Cameroun, vous avez obtenu le prix Orange du livre en Afrique. Qui sont « les impatientes » de votre roman ?

Djaili Amadou Amal : Ce roman a déjà été publié en Afrique sous le titre Munyal, les larmes de la patience. Munyal est un terme peul qui signifie « patience ». L’éditrice française Emmanuelle Colas a souhaité le publier. Nous avons voulu lui donner un titre plus fort qui correspondait davantage à ses héroïnes qui refusent de se conformer aux règles. Ce sont trois femmes confrontées à la violence qui prennent tour à tour la parole pour exprimer ce qu’elles ressentent.

Il y a d’abord Ramla, qui subit un mariage précoce et forcé avec un homme d’une cinquantaine d’années. Il y a sa sœur Hindou, mariée le même jour avec un cousin drogué et alcoolique, avec le silence complice de toute la famille qui espère ainsi canaliser la violence du jeune homme. Enfin, il y a Safira, à qui son mari impose une coépouse plus jeune que sa fille après vingt de mariage. Cette coépouse est justement la jeune Ramla.

Vous prenez soin de montrer la façon dont les relations entre deux femmes évoluent…

Au début, Safira est persuadée que Ramla veut la supplanter dans le cœur et le lit de son époux. Elle met en œuvre mille stratagèmes pour obtenir son départ. Quand elle comprend que la jeune fille ne lui veut pas de mal, qu’elle souffre aussi de la situation, c’est trop tard.

Chacune des trois femmes du roman essaie d’échapper comme elle peut au poids de la coutume et des traditions. Par la folie, la ruse ou la fuite. Je veux rappeler ici que le mariage précoce et forcé est la plus pernicieuse des violences puisqu’elle entraîne toutes les autres. Elle entraîne le viol conjugal, les violences physiques, économiques et psychologiques.

Avez-vous vous-même connu des situations proches de celles des héroïnes de votre roman ?

J’ai été mariée à dix-sept ans à un homme politique d’une cinquantaine d’années qui a utilisé son pouvoir pour m’avoir. Sans le consentement de mon père ! Ce sont mes oncles qui m’ont donnée en mariage. J’en ai beaucoup souffert. Je me suis réfugiée dans la littérature pour pouvoir m’en sortir psychologiquement.

À un moment, comme Ramla dans le roman, j’ai compris qu’il fallait absolument partir de là si je voulais devenir ce que je rêvais de devenir, c’est-à-dire une jeune femme normale vivant au XXIème siècle. C’était une décision difficile, mais nécessaire pour ma propre survie. J’avais déjà deux filles et je me suis demandé ce qu’elles deviendraient si je ne faisais rien. La réponse était simple : à quatorze ou quinze ans, on les aurait mariées sans que je puisse rien faire pour les protéger.

Comment avez-vous vécu votre arrivée dans une maison où il y avait déjà une autre épouse ?

J’avais l’impression de vivre une scène de film : « Est-ce bien moi qu’on est en train de marier à quelqu’un que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître ? » Les filles de ma coépouse étaient beaucoup plus âgées que moi !

Je venais d’entrer au lycée et la seule chose que j’ai pu obtenir était de continuer à aller en cours. Mais imaginez la situation : j’étais en même temps la femme du maire et élève au lycée ! Je garais ma voiture à côté de celle du directeur. Les professeurs me vouvoyaient. C’était très bizarre, mais j’avais conscience d’avoir de la chance car depuis la sixième, mes amies désertaient les bancs de l’école pour se marier les unes après les autres. Moi, au moins, je pouvais continuer à étudier ! En terminale, nous étions à peine cinq filles pour une trentaine de garçons.

N’y a-t-il pas des lois pour empêcher les mariages précoces ?

La Constitution camerounaise interdit le mariage des filles avant l’âge de 16 ans. Mais cette loi n’est pas respectée [Djaili Amadou Amal est originaire du Nord du Cameroun, ndlr].

Les filles subissent des mariages religieux et coutumiers qui le plus souvent ne sont pas suivis de mariages civils. Elles sont de simples concubines et lorsqu’elles sont répudiées, elles n’ont droit à aucune pension alimentaire. Quelquefois, leurs enfants ne sont même pas reconnus.

Lorsque vous êtes partie, comment vous êtes-vous débrouillée, seule avec deux petites filles ?

Je suis allée chez mon frère et, dans un premier temps, j’ai confié mes filles à ma mère. Puis mon ex-époux les a fait kidnapper et je ne les ai pas vues pendant plus de deux ans. C’était une épreuve très dure. Aujourd’hui, nous avons surmonté cela toutes les trois. Ma fille aînée a vingt ans, elle est en licence de droit. La cadette a 19 ans et vient d’entrer à l’université. Elle hésite entre la psychologie et le management. Je suis très fière des jeunes femmes qu’elles sont en train de devenir. Quant à moi, j’ai refait ma vie.

Vous êtes devenue une écrivaine engagée ?

Absolument. Après la parution de mon premier roman il y a dix ans, j’ai créé l’association Femmes du Sahel pour encourager la scolarisation des petites filles. Nous parrainons des filles en prenant en charge leur scolarité. Nous faisons beaucoup de causeries éducatives avec les parents, aussi bien les mères que les pères, pour leur faire comprendre l’importance de l’éducation. 

Nous sensibilisons les filles à l’importance de continuer leurs études, d’avoir un diplôme et d’apprendre un métier. Nous leur apprenons aussi à se prémunir contre les violences. Parce que l’obstacle à l’éducation des filles, au-delà des mariages précoces et forcés, ce sont les violences auxquelles elles sont confrontées à l’école et sur le chemin de l’école.


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