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Cameroun : Une guerre de succession à hauts risques.

Paul Biya message jeunesse 2019

Depuis l’élection présidentielle du 7 octobre 2018, officiellement remportée par Paul Biya, arrivé en tête avec 71% des suffrages exprimés (suivi de Maurice Kamto, qui a enregistré 14% des voix), la question de la succession du président Biya inquiète. Les résultats de cette élection sont toujours contestés et il ne se dégage pas de figure de dauphin adoubé ou incontesté.


Paul Biya message jeunesse 2019
Paul Biya, discours à la jeunesse – capture photo

Alors que les caisses du pays ne cessent de se vider, les prisons, elles, ne désemplissent pas. Trente sept ans après son accession au sommet de l’Etat, le président Biya en est réduit à utiliser l’Opération Epervier pour jeter les siens en pâture, afin de préserver son fauteuil présidentiel. Initialement, l’opération avait pour but de sortir le Cameroun de la tête du classement des pays les plus corrompus de la planète. Cette mission de communication, qui devait attester de la conversion des autorités gouvernementales camerounaises à l’orthodoxie de la bonne gouvernance ayant été relativement atteinte, l’Opération sert aujourd’hui à régler les querelles de succession entre les personnes qui ont été – ou sont encore – au plus près des cercles de décision politique au Cameroun. D’une certaine manière, Epervier c’est le purgatoire des anges déchus de Paul Biya. Les clés de ce purgatoire sont détenues par le Tribunal Criminel Spécial (TCS), chargé de lutter contre les crimes économiques. Le pouvoir de nuisance de ce Tribunal n’a d’égale que son incapacité à préserver le secret des procédures qu’elle engage. Dès qu’il ouvre un dossier, la presse et le grand public peuvent y lire comme dans un livre ouvert. Le dernier exemple en date, c’est l’arrestation de Edgar Alain Mebe Ngo’o, (ex-figure de proue du régime) et de son épouse. Loin d’être la règle, la présomption d’innocence est ici l’exception. Né d’une bonne intention, le TCS est en train de progressivement devenir le purgatoire où finiront tous les anges déchus du président de la République et dieu créateur Paul Biya.

L’échec de Paul Biya

Quand Paul Biya devient président de la République le 6 novembre 1982, à la suite de la démission d’Ahmadou Ahidjo (le président qui a proclamé l’indépendance du pays, l’a réunifié et l’a dirigé pendant 22 ans), certain.e.s Camerounais.e.s sont séduit.e.s par sa jeunesse et sa beauté, d’autres par son discours sur le libéralisme communautaire, la rigueur et la moralisation. Sa brillante formation universitaire et sa connaissance profonde de l’administration publique, dont il a commencé à gravir les échelons en 1962, sont d’autres atouts du jeune président. A la suite de la tentative de coup d’état de 1984, le peuple camerounais a spontanément réalisé l’union sacrée derrière son chef. Dans toutes les chefferies traditionnelles des sept provinces camerounaises de l’époque, les populations ne se sont pas contentées de désapprouver le coup d’état, elles ont reçu le président, lui ont montré qu’elles l’aimaient et le protégeaient. C’est peut-être la première et la seule fois que l’amour des Camerounais.e.s pour leur président était spontané et désintéressé. La liesse de cet amour s’en est allée avec le temps. Le président Biya est nostalgique de ce moment de communion indescriptible avec son peuple, et essaie de le faire revivre chaque fois que son pouvoir, dont il est de plus en plus ivre, semble vouloir lui échapper. D’où sa politique du bouc émissaire qui a plutôt bien fonctionné jusqu’à présent. Après la tentative de coup d’état, elle avait rendu impossible la reprise du pouvoir par les ressortissants du Grand Nord (constituées par les Régions de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua), puisque le président démissionnaire était originaire de cette partie du Cameroun et que tou.te.s les sien.ne.s étaient forcément de mèche avec lui dans la tentative de renversement du nouvel enfant roi. Accusé d’avoir fomenté le coup d’état, Ahmadou Ahidjo avait été condamné à mort par contumace. L’histoire nous dira quel rôle il a joué (ou pas) dans cette affaire. En attendant, il est mort en exil, et sa dépouille n’a jamais été rapatriée dans ce pays dont il a été l’un des artisans de l’indépendance, et dont il a contribué à écrire les pages les plus glorieuses de l’histoire récente. Plus près de nous dans le temps, la crise dans les deux régions dites anglophones du pays a été si mal gérée par les autorités camerounaises qu’elle a permis l’émergence d’un groupe sécessionniste qui était minoritaire au début, mais dont les exactions des forces de sécurité camerounaises contre les populations civiles ont rendu les thèses populaires au sein d’une couche de plus importante de Camerounais.e.s d’expression anglaise. Il faudrait manquer cruellement d’empathie pour ne pas s’élever contre la manière dont les Camerounais.e.s du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont traités depuis la fin de la République Fédérale et, pire encore, ces dernières années.

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Arrestation de Maurice Kamto

L’élection présidentielle d’octobre 2018 a été débordante de passions. Elle a révélé une réconciliation des Camerounais.e.s avec les rendez-vous électoraux. Au terme de la consultation, le président sortant, Paul Biya, a été officiellement désigné vainqueur. Officiellement toujours, Maurice Kamto a fini sur la deuxième marche du podium de cette élection, dont il continue de contester les résultats. Il a, pour ce faire, utilisé toutes les voies de recours légales. A toutes les étapes, ses requêtes ont été jugées irrecevables. En janvier dernier, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) dont il est le président du directoire, a appelé les Camerounais.e.s à manifester à travers le pays, dans le cadre de marches blanches pour protester contre : le hold-up électoral, la guerre civile dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, le pillage des fonds destinés à l’organisation de la CAN 2019 de football attribuée au Cameroun (puis retirée avant qu’une seconde chance ne soit donnée au pays qui devrait accueillir la CAN 2021).

Les manifestations devaient se dérouler les samedis 26 janvier et 2 février, tant sur le territoire national qu’à l’étranger. Les premières marches ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre qui ont tiré sur des cadres du MRC. Les cas qui ont été documentés sont ceux de Célestin Djamen et de l’avocate Me Michèle Ndocki. Maurice Kamto n’a pris part à aucune des manifestations qui se sont tenues à Yaoundé, Douala et Bafoussam. En revanche, il est allé à Douala pour rendre visite aux militants du MRC blessés. C’est précisément à Douala que Christian Penda Ekoka, Albert Dzongang, Alain Fogué et Maurice Kamto ont été arrêtés. Les blessés aussi ont été arrêtés et mis en détention. Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, estime que ces marches blanches n’étaient qu’un prétexte. Selon lui, l’objectif des organisateurs était de planifier une insurrection. Si ce chef d’accusation était retenu contre Maurice Kamto et ses compagnons d’infortune, ils risqueraient entre 10 et 20 ans de prison, et le MRC pourrait être provisoirement suspendu d’activités ou faire l’objet d’une radiation par annulation de son agrément car, selon la loi camerounaise, «Si le responsable d’un parti politique défie systématiquement l’autorité de l’Etat en organisant des manifestations illégales, parfois dangereuses et susceptibles de perturber l’ordre public, le ministre de l’Administration territoriale est en droit de prendre certaines mesures comme par exemple l’interdiction provisoire de ce parti». Deux semaines après leur arrestation, c’est le Tribunal militaire de Yaoundé qui a accusé le leader du MRC et ses partisans de rébellion, d’insurrection, et d’hostilité contre la patrie. Dans un pays où la lutte de Thomas Sankara, le soutien à Laurent Gbagbo, le militantisme contre le franc cfa et la cause panafricaine en général mobilisent beaucoup, il peut paraître surprenant que la situation de Maurice Kamto n’indigne pas plus que d’ordinaire ses compatriotes camerounais.

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Un pays profondément divisé et profondément corrompu

Dans l’Afrique en miniature, comme l’appellent affectueusement ses ressortissants, des hommes d’affaires français coupables de crimes économiques sont reçus en audience par le président de la République, au Palais présidentiel, mais ne sont jamais poursuivis dans le cadre de leurs forfaits. Dans ce même pays, l’intérêt des investisseurs étrangers qui corrompent les autorités publiques l’emporte sur le patriotisme économique. Il est par conséquent logique que les autorités de ce pays agissent de façon irrationnelle devant une formation politique dont les dirigeants et les militants remettent les questions de valeurs partagées au coeur du débat national. Il est reproché à Maurice Kamto, et par capillarité à tous les Bamiléké (comme Ahmadou Ahidjo et les Peulh), de tribaliser le jeu politique. Aucune preuve de cette accusation n’est fournie. Alors que dans le même temps, les nominations dans l’armée, la fonction publique nationale et les missions diplomatiques à l’étranger, ont une couleur tribale qui ne choque personne. Le président Paul Biya a travaillé dans le gouvernement d’Ahmadou Ahidjo pendant 22 ans. C’est Ahidjo qui a démissionné après avoir pris soin de faire de Paul Biya son héritier constitutionnel. Maurice Kamto, lui, a démissionné du gouvernement de Paul Biya au bout de sept ans de collaboration. Cependant, aux yeux de certain.e.s Camerounais.e.s, Maurice Kamto, qui a démissionné pour proposer une offre politique différente à ses concitoyen.ne.s, et Paul Biya, se valent. D’autres estiment même que Biya vaut plus (ou mieux) que Kamto. Le président Biya obtient des scores soviétiques dans sa région tribale (le pays Ekang), alors que Maurice Kamto est battu dans la sienne. La division dont une partie de l’opposition est accusée, elle est dans le camp d’en face. Il en a fait une arme de maintien du président Biya au pouvoir. L’utilisation de cette arme est malsaine. Elle participe d’une bataille qui fragilise ce pouvoir et, par-dessus tout, expose le Cameroun à une crise de succession dont l’intensité et les conséquences pourraient être pires que celles de la crise que la Côte d’Ivoire a traversée après la mort d’Houphouët Boigny. Les personnes qui croupissent actuellement en prison, en attendant que les preuves de leur culpabilité soient rassemblées ou que la date de leur procès soit fixée, sont légion : Amadou Vamoulké en est un. Les plus « chanceux », les bi-nationaux, sont relâchés grâce à la pression plus ou moins amicale de leur deuxième patrie. Quant aux autres, leur dignité est le cadet des soucis de l’administration pénitentiaire. Cette semaine, une vidéo du pétage de plomb d’un prisonnier a circulé sur les réseaux sociaux. L’on y voit Yves-Michel Fotso se plaindre de n’avoir pas mangé.

Cela a fait rire certain.e.s, mais cette révolte sourde, qui le reste de moins en moins, pourrait à tout moment se transformer en tsunami. La grande inconnue de l’équation est la suivante : à quelle date ce tsunami se produira-t-il : pendant ce septennat, ou après la mort de Paul Biya ?

 


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