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Point de vue: Il faut déconstruire le vice originel d’une fausse victoire et refonder une citoyenneté inclusive

Kojoue et Ndengue

Au lendemain d’une présidentielle qui a capté l’essentiel de l’attention publique ces dernières semaines, l’issue était sans surprise! Bien que certains aient présentés cette échéance comme historique pour le Cameroun, on s’achemine assurément vers le maintien du pays dans un état de tension permanente plus ou moins latente. Loin de clore ou de surseoir à la bataille autour de la succession à la tête de l’Etat, cette présidentielle a été l’occasion de prolonger et de consolider le malaise camerounais.


Kojoue et Ndengue
Larissa Kojoue et Rose Ndengue – DR

Le bilan des 36 ans dernières années du pouvoir est largement contestable. Les conditions de vie des Camerounais·es (sur les plans social, économique et même moral), ainsi que le climat politique se sont dégradés avec une constance inquiétante. Mais l’oligarchie au pouvoir a organisé des élections qu’elle n’entendait pas perdre. Bien que bénéficiant d’un système électoral verrouillé qui lui assure la victoire en toutes circonstances, ce groupe n’a pas fait l’économie du recours à l’intimidation et aux discours haineux incitant au repli identitaire et à la construction de boucs émissaires. Il s’est chargé de diffuser ad nauseam, une rhétorique visant à réduire, avec plus ou moins de subtilité, le débat politique à la question de l’origine ethnique supposée ou réelle des candidats. Exit donc l’examen méticuleux des défaillances endémiques de l’Etat en matière de l’amélioration d’accès à l’eau, à la santé, à l’électricité ou encore à l’éducation. On nous propose à la place, de réactiver le prisme colonial de l’analyse des faits sociaux en replongeant avec force dans des relents ethnicistes qui menacent la cohésion sociale. Cette stratégie visait également à occulter l’exclusion de la participation politique, d’environ⅕ de la population résidant dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ainsi que la marginalisation des femmes de l’espace politique. Dissimuler 36 ans d’échecs passe donc par la mise en péril de la cohésion sociale, et la réaffirmation d’un ordre du genre fortement contestable. Cette entreprise est cautionnée et consolidée par une partie de l’intelligentsia locale, ainsi que des éléments de la diaspora, qui reprennent à leur compte sans sourciller, des antiennes nauséabondes. Elles profitent de leur visibilité médiatique et/ou sur les réseaux sociaux pour diffuser et infuser la haine de l’Autre dans l’imaginaire populaire.

Le résultat de la présidentielle du 07 octobre au Cameroun est irrémédiablement entaché d’un vice originel. C’est une « fausse victoire! »

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Parce que nous ne sommes pas dupes et que la situation sociale, économique et politique du Cameroun nous préoccupe autant que l’ensemble des camerounais.es, nous avons souhaité assumer la responsabilité qui est la nôtre en tant que jeunes universitaires et actrices de la société civile. Nous avons pleinement conscience que dans le contexte d’une fin de règne adossée à l’exacerbation des tensions sociales et politiques, l’embrasement est une hypothèse plausible. Souhaitant entretenir la flamme d’une pensée politique féconde et utile à la société, telle que l’a préconisée le regretté Fabien Eboussi Boulaga, ce texte s’adresse à l’ensemble de nos compatriotes.

Aux jeunes, mais aussi, aux femmes, dont les voix ont été une fois de plus étouffées, ainsi qu’à  toutes celles et ceux qui inscrivent leurs discours et leurs actions dans une dynamique de changement véritable, nous proposons de mener ensemble, un travail intellectuel et pratique consistant à :

1- Décoloniser impérativement notre pensée afin d’amorcer une désethnicisation de l’Etat. Tout en valorisant la diversité qui caractérise notre pays, nous devons nous garder d’avoir recours à l’ethnie comme ressource politique. Toute attitude contraire reviendrait à :

 – conforter le régime actuel en perpétuant une mémoire coloniale détestable source de division, au profit d’une oligarchie. 

– Insulter la mémoire nationaliste, et, partant, celle de toutes celles et ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour que le rêve Cameroun puisse se matérialiser.

2- Reconnaître que la résolution des tensions sociales est une question éminemment politique ! Elle passe notamment par une démarche soucieuse de résoudre le contentieux historique de la formation de l’Etat. À cet effet, mener une réflexion sans tabous sur la forme de l’Etat est indispensable. Il s’agit alors de redéfinir les contours de la relation que cette entité ainsi que celles et ceux qui en sont les garant.e.s entretiennent avec les citoyen·ne·s. A cet égard, l’autonomie régionale, voire le fédéralisme, fondé sur le principe de l’élection des dirigeants et la mise en place d’assemblées représentatives locales, nous semble être une des pistes souhaitables.

Pour approfondir :   Affaire Gbagbo : Les leçons venues de la CPI (Tribune)

3- Admettre l’’impossibilité d’obtenir une transition ou même, a minima, une alternance effective par les institutions et le processus électoral actuels. L’attitude des autorités durant la période électorale et post-électorale n’a fait que valider l’hypothèse du caractère intrinsèquement antidémocratique des institutions actuelles. Celles-ci sont de plus, incarnées par des acteurs ambigus, dont l’impartialité est fortement sujette à caution. De même, ceux qu’on découvre opposants farouches à ces institutions aujourd’hui, ne sont malheureusement pas toujours exempts des mêmes soupçons, bien qu’ils aient le temps d’une élection ravivé la ferveur populaire à l’égard de la politique.

4- Poser les jalons d’une citoyenneté alternative et réellement inclusive. À l’occasion de cette élection, nous avons eu, si besoin était, la preuve que le peuple camerounais reste mobilisé et déterminé à prendre part à l’édification de notre jeune nation. Les mobilisations observées (bien qu’elles semblent trancher avec celles attendues dans le cadre de l’inscription sur les listes électorales) sont un signe que la citoyenneté est partielle lorsqu’elle n’exprime qu’une dimension institutionnelle. (Re)construire une nation dynamique et inclusive, exige alors d’élaborer une citoyenneté qui embrasse les contours de l’ensemble du corps social. A cet effet, il est urgent de réhabiliter le potentiel insurrectionnel de la citoyenneté. Souvent activée par des populations réduites au statut de subalternes (jeunes, femmes, classes populaires…) en contexte moderne, comme dans le cadre coutumier, la puissance de ce mode d’expression enrichi la citoyenneté et lui confère une capacité réellement inclusive. C’est en effet aux mobilisations de Camerounais·es (issu·e·s des classes populaires/rurales/urbaines, lettré·e·s ou non) qu’on doit l’indépendance du territoire, sa réunification et l’ouverture bien qu’imparfaite de l’espace politique.

* Larissa Kojoué, politiste, Post doctorante, SESSTIM/INSERM/IRD/AMU, Marseille/Yaoundé

  • Rose Ndengue, politiste et historienne, Université Paris 7 – Diderot

Co-signataires :

  • Félicité Djokouo, Co-Fondatrice et Directrice exécutive de l’Association des acteurs pour le développement, Yaoundé.
  • Brenda Ngum, Doctorante en sociologie, Université Paris 7 – Diderot

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