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Benjamin Zebaze : « Le Cameroun va mal et je ne vois pas comment tout cela va se terminer sans un grand désordre »

Benjamin Zebaze ABK

Lebledparle.com vous propose de lire cette interview de Benjamin Zebaze, journaliste et directeur de publication de « Ouest Littoral » accordée à un journaliste en herbe. Il revient sur son parcours académique et professionnel, donne son sentiment sur l’évolution du Cameroun.


Benjamin Zebaze ABK
Benjamin Zebaze sur ABK Radio – DR

Qui est Benjamin Zebaze ?

Je suis le fils de Siméon Zebaze et de Françoise Dikoumé. Je suis né le 09 avril 1962 ; le dernier enfant d’une famille composée de sept enfants, dont 5 filles et 2 garçons.

Quel est, en quelques lignes, votre parcours de journaliste ? (De la formation à l’emploi)

Je suis diplômé de troisième cycle en droit des affaires (Juriste d’affaires) de l’université de Bordeaux. Passionné de journalisme depuis la fin des années 70, lorsque mon père distribuait le tout nouveau quotidien national (Cameroon Tribune) à Dschang.

Je me suis mis à parcourir les rédactions des journaux en France quand mon défunt frère, le pharmacien François Zebaze, a envisagé de lancer un journal au Cameroun.

Suite à son décès, l’héritage que j’ai reçu m’a permis de respecter son souhait ; je me suis lancé dans le journalisme en mettant en plus en place, la première imprimerie privée d’Afrique centrale spécialisée dans l’impression des journaux tabloïds.

J’ai créé tour à tour les journaux « Challenge hebdo », « le quotidien », « Ouest Littoral »… avant ma retraite dans le secteur après 30 années.

Avec « Challenge Hebdo », je détiens le record de tirage et de ventes de la presse privée derrière « le Messager » de mon ami, le défunt Pius Njawe.

D’où vous vient l’idée de « Ouest littoral » ?

Après « Challenge-Hebdo » et « le quotidien », j’avais décidé de quitter le monde de la presse. Mais suite au décès de Pius Njawe, j’ai constaté à quel point nos médias étaient corrompus : c’est pourquoi je suis revenu pour essayer de proposer un autre son de cloche.

Comment trouver un titre pour ce nouveau journal ? Dans ce Cameroun en proie à de nombreuses querelles ethniques, « Ouest-Littoral » m’est apparu comme une évidence, ma mère étant originaire du Littoral, mon père de l’Ouest.

Quel regard portez-vous sur le Cameroun en tant que personnalité publique ?

En une phrase comme en mille ; ce pays va mal et je ne vois pas comment tout cela va se terminer sans un grand désordre.

Parce que lorsque vous avez autant de personnes riches et puissantes à partir des méthodes mafieuses, elles n’accepteront pas de subir sans réagir, le destin qu’on réserve à de tels personnages.

Puisque c’est le président de la République qui leur permet de continuer leurs petites combines, le jour où elles n’auront plus besoin de lui, elles essayeront de s’en débarrasser pour malheureusement se « manger entre elles » : à moins qu’un troisième larron ne vienne mettre tout le monde d’accord. Ce sont les pauvres Camerounais qui vont en trinquer.

Vos prises de positions sur les sujets nationaux s’opposent ou s’écartent très souvent de celles de bon nombre de journalistes et hommes politiques. Quelles en sont les raisons ?

Je déteste l’injustice et je suis le fils d’un des tout premiers couples entre bamiléké et bassa, il y a plus de 80 ans. J’ai appris chez les uns à travailler ; chez les autres à lutter avec courage et détermination contre toute forme d’injustice.

Mon père a été un des premiers députés du pays ; j’allais chez Paul Biya avec mes parents quand j’étais jeune. Jean Nkueté, le patron du Rdpc me considère comme un fils et avant que je ne devienne trop dur avec eux, me rendait des visites régulières ; Françoise Foning était la cadette de mon père ; J’ai invité le président du Senat (seconde personnalité du pays) chez moi à Dschang pour un spectacle … alors que je ne suis rien dans ce pays et que je suis surtout « pauvre », selon nos standards. Je connais du monde dans notre classe politique et pourtant j’ai choisi de ne pas me mêler de leurs petites magouilles car c’est un milieu dangereux ; où on ne se fait aucun cadeau et surtout où on est prêt à tuer pour obtenir ou maintenir une place.

On ne m’achète pas avec de l’argent et je préfère la mort à l’humiliation : mes parents étaient comme cela et c’est pour cela qu’ils n’ont pas fait long feu en politique.

Je me souviens d’une anecdote qui me fait encore rire aujourd’hui : mon père, qui avait été le camarade de classe d’Ahmadou Ahidjo et le collègue de parti de bon nombre de ses collaborateurs, après sa démission, se retrouve un jour dans un aéroport face à de nombreux dignitaires du pays dont des ministres : ces derniers s’arrêtent de parler pour le fixer en train d’avancer vers eux. Grande est leur surprise de constater que mon père passe devant eux sans le moindre geste : ma sœur qui l’accompagnait s’étonne : « papa, tu n’as pas vu tes amis » ? Il lui répond calmement : «A cet instant, je deviens sourds, aveugle et muet ».

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Je rêve de lui ressembler : méprisant avec les personnes méprisables et heureux avec « les vrais gens ».

On sait que vous avez connu certaines périodes clés de l’histoire du Cameroun (les années 90 notamment). Votre vécu historique influence-t-il vos prises de position présente ?

En toute modestie, je pense connaitre assez bien l’histoire récente de ce pays car pendant la période que vous citez, j’ai été très actif.

Le monde politique actuel n’est peuplé que de la racaille, peu d’individus pouvant se prévaloir d’autre conviction que la volonté d’avoir un poste pour apaiser les appels du ventre et du bas ventre. De notre temps, les intellectuels (Ambroise Nkom, Dorothée Nkom, Siga Assanga, Célestin Monga, Célestin Tcheho…) développaient des thèmes qu’ils pensaient importants pour la reconstruction du pays; ils le faisaient dans des ouvrages individuels et collectifs.

Aujourd’hui qui « pensent » ? Tous ceux qui étaient de ce combat se sont progressivement prostitués au Rdpc ou sont dans son antichambre dans l’espoir d’une nomination. Comment va-t-on redresser ce pays sans le « penser » avant ? Cela d’autant plus que les problèmes se sont accumulés depuis 1990 de telle sorte que s’il fallait du paracétamol pour soigner le pays à cette époque, aujourd’hui il faut un remède de cheval.

C’est très malheureux et c’est pour cela que j’essaye de sensibiliser la jeunesse pour qu’elle prenne son destin en main. Après Paul Biya, si les jeunes ne « nettoient » pas la classe politico-médiatique ; la classe d’affaires… ce pays n’aura aucun avenir car trop gangréné par la corruption.

En résumé, je vois trois époques : avant 1990, les intellectuels ne s’occupaient pas de politique, surtout de politique politicienne. Dans les années 90, ils se sont mis au service des politiques en donnant des pistes nécessaires pour que ce pays aille de l’avant. Aujourd’hui, ils n’en sont que la caricature du savoir et les Jean Marc Ella, Eboussi Boulaga, Mongo Beti, Tchuidjang Poueni…doivent « pleurer » dans leur tombe en « assistant » au spectacle proposé.

Est-ce vrai que votre père, qui a été un grand homme politique sous l’ère Ahidjo et même Biya, vous a interdit à vous et tous vos frères/sœurs de faire de la politique ?

Un petit rectificatif : mon père était hors du champ politique longtemps avant l’arrivée de Paul Biya au pouvoir.

Grand ? Je ne sais pas ; ce que je sais, c’est qu’il était très respecté dans la Menoua, ne serait-ce que de par son statut d’enseignant. Combien de personnes dans ce pays ont quitté définitivement la politique autour de 40 ans après avoir été député, président de la section Unc d’Ahmadou Ahidjo ? Surtout juste après avoir coordonné la construction d’un ouvrage collectif comme la maison du parti de Dschang ?

Paul Biya a plaidé sa cause auprès d’Ahmadou Ahidjo qui l’a laissé partir tranquillement afin de se consacrer à l’agriculture, sa vraie passion.

Vous êtes bien informés : il nous a interdit de faire de la politique car, disait-il, « la politique peut vous conduire très haut ; mais elle vous ramène toujours plus bas que terre ». Il concluait en précisant, espiègle, que « j’ai fait la politique pour vous tous ».

Mais les choses ne se sont pas passées exactement comme il le souhaitait car une de mes sœurs, Cécile Zebaze, a fait de la politique en France au point d’occuper un poste d’adjoint au maire de la ville de Caen : je suis sûr qu’il en aurait été très fier car selon lui, ce qu’on faisait au Cameroun n’était pas la politique, tel qu’il l’entendait.

Certains estiment que c’est parce que vous n’avez pas bénéficié, comme votre père, de la mangeoire que vous êtes devenus un critique sévère du gouvernement ?

Ce qu’il faut savoir, c’est que mon père quitte la politique dans les années 70 : qui s’enrichissait en faisant de la politique en ces temps-là ? C’est depuis 1982 qu’on confond tout dans ce pays. A cette époque-là, des individus comme mon père étaient plus heureux lorsqu’ils construisaient la maison du parti, lorsqu’ils réalisaient des projets pour la communauté en y mettant, parfois, leurs maigres biens, que lorsqu’ils s’offraient un bien personnel.

Dans ma génération, personne n’avait autant d’atouts que moi pour bénéficier de ce régime. Jeanne Irène Biya, la première épouse du Chef de l’Etat, venait chez nous à Dschang et me portait sur ses jambes. Elle a toujours soutenu ma mère, son amie, dans tous nos malheurs.

Avec son décès, ce pays est entré dans une spirale dangereuse qui le pousse à fonctionner comme un bateau ivre ; je n’accepte pas cela et je le dis haut et fort : malgré les risques.

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Quel est votre histoire avec le sport?

En un mot, j’adore le sport : tous les sports, avec un faible pour le football.

Vous étiez un grand joueur à Aigle Royal de la Menoua ; pourquoi n’êtes-vous pas allé au plus haut niveau ?

Grand joueur ? Vous exagérez un peu.

J’ai signé ma première licence dans l’Aigle à 16 ans, mais j’y ai peu joué, mon père ne l’acceptant pas, préférant me voir entièrement consacré à mes études. Mais peu de personnes connaissent l’histoire de cette équipe comme moi car avec mes oncles Kopa et Panka (deux des plus grands dirigeants de l’aigle), j’ai dès l’âge de 7 ans, été toujours au cœur des grandes décisions autour de l’équipe. Il fallait me voir bomber le torse en annonçant à mes amis par avance, la composition de l’équipe, les sanctions frappant certains joueurs, les instructions des « marabouts »…

Un ami de mon père, le maire Nguetsa, a bravé l’interdit en me recrutant dans son équipe au nom de « Rapide ». Ce qui est drôle, c’est que joueur de Rapide, je m’entrainais toujours avec l’Aigle Royal. J’ai en permanence été meilleur buteur de l’équipe et second meilleur buteur à l’Ouest au cours d’une saison, derrière Choupo du Racing de Bafoussam, un avant-centre redoutable.

Cette année-là, j’ai été sélectionné dans l’équipe provinciale de l’Ouest avec des génies comme Bonaventure Ndjonkep (l’un des meilleurs joueurs camerounais de tous les temps), Kwebo, Tchinda, Nzadi, Wamba petit Michel, Jean Pierre Ngeuna, Alongnomo François, Missè Missè…qui deviendrons tous ou presque internationaux.

Après le tournoi, j’ai été présélectionné chez les lions juniors ; mes parents ayant décidés de m’envoyer en France pour mes études, je n’ai pas pu répondre à la convocation.

Avec toute l’expérience que vous avez dans le sport camerounais, quel est aujourd’hui votre regard sur celui-ci en général et sur le football en particulier ?

Je regrette l’époque du ministre Tonye Mbock, sans doute le ministre des sports ayant le mieux animé le mouvement sportif. Le sport, aujourd’hui remplacé par la bière, était au cœur de la vie des jeunes. Je me souviens, avec nostalgie, de l’époque où j’accompagnais mes sœurs (Esther et Madeleine), mon frère François à l’école normale de Yaoundé où ils participaient à des tournois de Basketball.

Je me souviens avoir manqué des cours pour assister aux entrainements de l’équipe de nationale de hand-Ball avec des phénomènes comme Mouthé Marius. Aux entrainements de l’équipe de l’Udeac avec les Albert Nguidjol, Tatchoum, deux arrières centraux « méchants » au gabarit impressionnant. Qui perdrait encore son temps pour le triste spectacle offert aujourd’hui ?

En ce qui concerne le football, je pleure tous les jours. Où sont les Canon-Tkc d’antan où supporter inconditionnel de Roger Milla, je souffrais en tribune face au « rouleau compresseur » du Canon ? Les Canon-Union ? Les Aigle-Bamboutos ? Aigle-Racing…

Pour l’équipe nationale, vous voulez vraiment avoir mon avis ? Les gens comme le général Semengué, Samuel Etoo (Un excellent footballeur)…ne seraient pas contents si je le donnais.

On vous a vu très remonté contre certaines personnalités politiques et publiques allant jusqu’à l’insulte parfois. Qu’est ce qui peut justifier une telle réaction de votre part ?

Quand on a connu ce beau pays sous Ahidjo, on ne peut accepter sans être en colère ce que l’on voit. Je sais, par expérience, que ces gens ne réagissent que face à l’outrance : alors je ne m’en prive pas pour leur dire mes quatre vérités, ne serait que pour qu’ils sachent que pour de nombreux Camerounais, ils ne sont rien.

Selon moi, ce que vous appelez les insultes ne sont pour certains, qu’un moindre mal car, comme autre fois dans le far west américain, ils mériteraient mille fois d’être pendus haut et court.

Vous êtes très admiré par la jeunesse aujourd’hui. J’en suis un exemple. Quel regard portez- vous sur celle-ci et quel message en ce début d’année ?

Admiré ? Vraiment ? Si j’avais encore des cheveux, ils se dresseraient sur ma tête avec fierté.

Je pense que vous devez vous organiser pour être prêts à prendre votre destin en main. Vous ne devez pas considérer que le départ de Biya va résoudre tous les problèmes : ceux qui disent cela sont soit des menteurs, soit des ignorants.

Si à son départ il n’y a pas d’idées nouvelles ; de vrais projets de société surtout précis et concrets, on peut faire pire.

Mettez-vous dès à présent au travail pour penser le Cameroun demain qui devra se mouvoir dans un environnement extrêmement complexe.

Merci monsieur Zebaze

 


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