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Zacharie Noah : Une belle virée de quatre-vingts ans [PORTRAIT]

Zacharie Noah

Zacharie Noah, père de Yannick et grand père de Joachim a vécu à Etoudi, clan fait de gens fiers et aventureux.


Zacharie Noah
Zacharie Noah en 2009 en France – DR

« Ce dimanche matin à Yaoundé, Zacharie Noah nous a quitté, paisiblement dans son sommeil. Il est parti entouré de toute sa famille. » L’annonce est laconique, simple, mais pleine de sens. Yannick Noah, le désormais chef de famille prend ses responsabilités, et annonce la disparition de son père « Zac », auprès de qui il a passé ces huit dernières semaines. Pendant deux mois en effet, le capitaine de l’équipe féminine de  tennis de France a géré tous ses calendriers surchargés à partir de son village d’Etoudi, où il a accompagné les derniers jours de son père.

Le « Noah Country club », en plein cœur des quartiers Nord de la ville de Yaoundé, n’est pas un endroit anodin : une enclave de verdure et de forêt équatoriale, au milieu d’une ville qui a poussé sans contrôle alentour. Sur la colline d’en face, se dresse le palais d’Etoudi, lieu de résidence et de travail du président de la république du Cameroun. Ce « village » en pleine ville était l’activité à temps plein de l’homme qui vient de s’éteindre. Il avait gardé presque intacts, en état de nature, les arbres, la verdure, et avait ceint le tout d’une immense haie vive de bambous de chine. A l’intérieur, plusieurs courts de tennis, un terrain de basket, une école primaire, une piscine, des bungalows, puis tout au milieu, la case du patriarche, une maison en bois, toute simple, décorée au minimum, sans aucun signe de la gloire, des lauriers et de la fortune qui auréole la famille depuis trois générations, déjà.

Table ouverte

Hier matin, à la véranda, Yannick, dans les bras de qui le père a expiré quelques heures plus tôt, reçoit les cousins et tantes qui ont appris la nouvelle et qui se précipitent en pleurant. Dans un français à fort accent Ewondo, il raconte à tous les derniers moments du père. « Hier dans la journée pourtant, il a émergé de son sommeil et a plaisanté, en ayant une bonne blague pour chacun de nous ». Yannick Noah n’est pas pieds nus. Oh oui, presque : il porte une paire de tennis Adidas Arthur Ashe ( Du nom du champion de tennis noir américain qui, au cours d’un séjour à Yaoundé au début des années 70, découvrit le jeune talent, Yannick, qu’il prit de la main et en fit un champion) qu’il a pliée négligemment, avec au dessus, un short de style militaire puis une chemise impeccablement blanche, boutonnée jusqu’à la naissance de la poitrine. Tout à côté, Nathalie, sa sœur cadette, est secouée par des sanglots et tient fermement entre les doigts un chapelet qu’elle égraine frénétiquement. Isabelle n’est pas en place. Elle arrivera par le premier avion. Zakia, la dernière, entourée de « mamans » du village, pleure doucement sur une épaule.  A l’entrée du domaine, il y a, l’œuvre de Marie-Claire, la mère décédée il y a quatre ans, l’école primaire et maternelle «  La marée » dont les enfants n’ont pas encore appris le décès du parrain, qui à Noël dernier, est venu, malgré la fatigue faire la fête avec eux. Zacharie Noah, avant d’être perclus par son mal, tenait ici chez lui table ouverte tous les dimanche. Sa fierté c’était ce fromager, qu’il pointait du doigt et qu’il présentait à tous comme étant « l’arbre le plus haut de la ville de Yaoundé ».

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Dans le clan des Etoudi, l’homme qui tombe est aussi haut que le fromager qu’il a su préserver au cours de ses 79 années d’existence. Lorsque les Allemands arrivent à Ongola (l’actuelle Yaoundé) en 1885,  Noah Tsogo en est un seigneur et maître de guerre. L’une de ses nombreuses épouses s’appelait Edzigui. Elle enfanta Tana Edzigui. Tana Edzigui avait une épouse du nom de Bikié. Bikié donna naissance à Noah Bikié Simon, le père de Zacharie Noah, (mort en 1984, au cours du putsh manqué), célébré par Yannick dans l’une de ses premières chansons, « Simon Papa Tara »… La suite de la généalogie est plus connue : Zacharie enfanta Yannick. Yannick donna naissance à Joachim… Chez les Beti, ( littéralement, les seigneurs de la forêt),  les Etoudi sont un clan, au même titre que le Ewondo, les Yebekolo, les Yanda, etc.  La réputation des Etoudi, c’est que,  ce sont les leurs, qui ont « trouvé la voie », au moment de la traversée sur le dos du «  Ngang Medza », le python mythique qui s’étendit d’une rive à l’autre de la Sanaga, pour servir de pont aux peuples Beti qui avaient décidé de traverser le grand fleuve…. De cette posture d’éclaireurs, les Etoudi tirent une fierté particulière, faite de ce je-ne-sais-quoi de sans-gêne et de grandiloquence. Après tout, ce sont leurs rejetons qui portent aussi loin la fierté du Cameroun tout entier !

L’initiation pour Yannick

A la maison d’Etoudi, en toute simplicité, mais dans la réalité, le mâle le plus âgé vient de prendre les choses en main : c’est au vainqueur de Roland-Garros que l’on présente les condoléances, et c’est lui, qui en mettant la main à la pâte, fait de la place afin que viennent s’installer les visiteurs qui se font de plus en plus nombreux.  Laurent Serges Etoundi Ngoa, est encore dans la force de l’âge. Mais par la force des choses, c’est lui qui est le patriarche des Etoudi. « Yannick est déjà préparé à assumer son rôle. Nous nous y sommes attelés depuis quelque temps », dit-il, avant de porter ce témoignage : «  Il y a quelque temps, Zac m’a fait venir chez lui un dimanche et m’a amené vers les champs. Il m’a présenté des plantes qui, disait-il, étaient malades, mais qu’il a fait soigner. Puis il est passé à sa maladie et m’a révélé sa gravité. Il m’a rappelé que son fils Yannick était un Beti, un Etoudi et qu’il souhaitait qu’on l’aide à faire les choses comme il se doit, dans le respect de la tradition de chez nous »… En deux mois non stop au pays, entre ses oncles et les autres vieux mâles du clan, Yannick a donc déjà suivi une manière de « formation accélérée » et habite déjà sa fonction de chef de lignage.

Roland Garros, 1983. L’image est restée figée : lorsque tombe le dernier point qui confirme la victoire de Yannick Noah face à Mats Wilander, le jeune homme en rastas jette au loin sa raquette, et cherche des yeux un homme dans les travées. Un homme noir escalade les tribunes et le nouveau champion le prend dans ses bras pour une longue étreinte. Ainsi est la vie du père et du fils, où le footballeur professionnel a transmis au fils son goût pour la gagne, une manière d’être qui a traversé les générations : un grand footballeur a donné naissance à un champion de tennis qui a enfanté un grand champion de basket. De génération en génération, ces hommes s’attachent à respecter la maxime latine : «  honte à celui qui ne fait pas mieux que son père ». En allant chercher plus loin, avec la science, on peut même expliquer que chez les Noah, il existe par atavisme, ce que l’on appelle une transmission de   «l’intelligence kinestésique », celle qui correspond à la capacité de maîtriser et d’interpréter les mouvements du corps et à manipuler les objets avec soin ». C’est une forme d’intelligence assez particulière, celle qui fait de grands sportifs. Elle existe à côté de l’intelligence logico-mathématique (celle des matheux), de l’intelligence émotionnelle (celle des managers), etc. La preuve : Yannick, après avoir abandonné le tennis de compétition, s’est mis au golf, passion qu’il partageait avec son père. Et en une année, il est parvenu au handicap 5, un niveau quasi professionnel, et une progression fulgurante, pour qui connaît les exigences de ce sport fastidieux et frustrant.

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Il parlait aux arbres

Le « Père Zac », comme on l’appelait, aimait à raconter celle là avec fierté, lorsqu’il jouait sur le parcours du Yaoundé Golf Club, un endroit qu’il a contribué à construire. La végétation, les arbres et la forêt étaient une obsession chez cet homme qui s’est entièrement dévoué à la préservation de la végétation forestière dans ce qu’il appelait lui-même le « dernier espace vert de la ville de Yaoundé ». Lorsqu’il ne pouvait plus taper dans la balle de golf, Zacharie Noah venait tout de même sur le parcours et rendait visite à « ses » arbres, les bichonnant, insistant pour apprendre à d’autres comment on élague un Bubinga pour le laisser pousser.

Les frivoles, s’ils le désirent, peuvent retenir le papy qui passait les soirées dans les endroits chics de Yaoundé, trimballant sa tignasse de rastas d’un restau à un cabaret, distribuant les tapes amicales ici et là, faisant du « cogne-tête à la camerounaise » à la en- veux-tu en –voilà, un cigare cubain dans une main, un verre de cognac dans l’autre. Casse-cou, il pouvait, après avoir pris l’apéro à Yaoundé en début de soirée, décider de prendre le volant de sa voiture, pour aller dîner à Kribi, à toute vitesse… Oui, L’homme a vécu. Et bien vécu. C’est sans doute pour cela qu’il est resté droit dans ses bottes face à son cancer, devant qui il n’a plié que lors des derniers moments. Comme s’il voulait laisser tranquillement ses gens passer les fêtes. Il s’est laissé aller, tranquillement, au lendemain des fêtes de fin d’année. Un dimanche matin. Comme s’il rentrait d’une longue virée, de presque quatre-vingts ans.


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